La tendance à la hausse du niveau d’ensemble de l’athlétisme suisse se confirme en cette deuxième partie de la décennie des années 2010. De nouveaux visages apparaissent et cette montée en puissance de la jeunesse athlétique helvétique fait vraiment plaisir à voir. Ils sont treize à avoir été sélectionnés pour la trente-quatrième édition des championnats d’Europe en salle à Belgrade, ce qui en fait la deuxième plus grosse délégation après celle de 1992 à Gênes. Chez les hommes, quatre de nos cinq athlètes sont des néophytes et ça se passe moyennement pour eux. Sur 400 m, Luca Flück (LC Kirchberg) termine dernier de sa série en 48″29, ce qui le classe au vingt-et-unième rang. On constate le même topo pour Hugo Santacruz (LC Rapperswil-Jona) puisqu’il obtient le même rang sur 800 m en 1’52″61, à plus de deux secondes et demi de la qualification pour les demi-finales. Idem pour Jan Hochstrasser (BTV Aarau) qui reste sur 1500 m à quatre secondes de la qualification. Quant à Benjamin Gföhler (LC Zürich), il manque avec ses 7,63 m sa place en finale du saut en longueur.
Pascal Mancini à nouveau en finale du 60 m
L’honneur des hommes est donc sauvé sur 60 m par Pascal Mancini (FSG Estavayer-le-Lac). Sur la ligne droite de la Kombank Arena de Belgrade, le Fribourgeois reste fidèle à sa réputation de sprinter formaté pour la salle. Douzième en 2009 à Turin avec 6″67 en séries, puis neuvième en 2011 à Paris avec 6″61 en séries et enfin excellent cinquième en 2015 à Prague avec un record suisse égalé en 6″60 lors des demi-finales, est-ce que sa quatrième participation le verra titiller à nouveau le podium ? Les séries confirment son statut avec une victoire dans la première course en 6″76. Sans avoir trop forcé son talent, il se retrouve en demi-finales où les choses deviennent évidemment un peu plus sérieuses. Très à son affaire en matière de réaction (104 millièmes !), il termine deuxième derrière le champion d’Europe Richard Kilty en 6″66. Pascal possède à ce moment-là le cinquième chrono de ces demi-finales, donc tous les espoirs lui sont permis en finale, ce pour autant que toutes les conditions soient réunies et notamment une mise en action à nouveau super explosive. Comme l’an dernier, c’est le Britannique Richard Kilty qui s’impose en 6″54. Derrière, le Slovaque Jan Volko créé la surprise en décrochant la médaille d’argent en 6″58 et ce sont les Suédois Austin Hamilton et Odain Rose qui prennent les places # 3 et 4 en 6″63. Il y avait donc la place pour que Pascal Mancini s’immisce entre ces hommes. Hélas le faux-départ du Britannique Andrew Robertson a émoussé les chances du Staviacois, qui n’a pas réussi à bondir de ses starting-blocks lors du second départ. En retrait dans l’enchaînement, il doit constater à l’arrivée une frustrante sixième place en 6″70.
Mujinga Kambundji reste au pied du podium du 60 m, avant d’être réhabilitée !
Chez les femmes, le bilan helvétique va être bien meilleur que celui des hommes. Sur 60 m, elles sont trois en lice. Après avoir couru vendredi les séries du 400 m en 54″21, Sarah Atcho (Lausanne-Sports) se met en mode guerrière samedi avec une qualification à la place pour les demi-finales du 60 m en 7″36. Dimanche, pour sa troisième course du week-end, Sarah élève encore plus son niveau, ce qui lui permet de terminer quatrième de sa demi-finale en 7″32 (record suisse U23). Première non-qualifiée pour la finale, Sarah se classe donc à un excellent neuvième rang final. Ajla Del Ponte (US Ascona) est elle aussi une sprinteuse qui commence à s’affirmer. Celle qui est officiellement la rampe de lancement du relais 4 x 100 m de l’équipe suisse court en 7″35 en séries et en 7″39 en demi-finales pour un treizième rang final. Enfin Mujinga Kambundji (ST Bern), celle qu’on attend avec beaucoup d’intérêt, est un peu moins en forme qu’en 2015 à Prague. Elle est pourtant très véloce à Belgrade puisqu’elle remporte sa série en 7″24, soit le quatrième chrono de ce premier tour. En demi-finales, l’Ukrainienne Olesya Povh est la meilleure en 7″16 et c’est Mujinga Kambundji qui réussit le deuxième temps en 7″19, à égalité avec l’Allemande Rebekka Haase. La tension pour la finale de ce 60 m est à son comble car absolument tout peut arriver. Mais le scénario qui se produit est encore plus imprévisible ! C’est la Britannique Asha Philip qui s’impose avec un record national en 7″06, devant Olesya Povh en 7″10 et la Polonaise Ewa Swoboda en 7″10 également. Avec ses 7″16, Mujinga Kambundji reste pourtant fort souriante malgré le fait qu’elle ait manqué le podium pour six centièmes. Aurait-elle flairé ce qui allait se passer cinq mois plus tard ? En effet le 3 août 2017, à la veille des championnats du monde de Londres, l’I.A.A.F. suspend Olesya Povh pour usage de produits interdits. L’Ukrainienne est suspendue, à compter du 5 juillet 2016, pour une période de huit ans. Elle est en conséquence disqualifiée de ce 60 m des championnats d’Europe en salle de Belgrade et perd donc sa médaille d’argent. Le classement a ensuite été réajusté par European Athletics et Mujinga hérite donc rétrospectivement de la médaille de bronze, qu’elle reçoit lors du meeting Galà dei Castelli le 15 septembre 2020 à Bellinzone.
L’occasion manquée de Lea Sprunger
La vérité d’un jour n’est pas forcément celle du lendemain. C’est malheureusement ce qu’a dû constater Lea Sprunger (COVA Nyon) lors du 400 m de ces championnats d’Europe indoor. Très facile lors des séries de vendredi matin (52″55), puis impériale lors des demi-finales du soir (52″17), Lea réalise deux courses dignes de son rang de numéro 1 des listes mondiales de la discipline. « Very strong, very impressive », tels furent les mots qualifiant Lea Sprunger lors de cette première journée de compétition. Quand on sait qu’ils viennent de Steve Cram en personne sur BBC Two, ces propos prennent tout leur sens. Mais, de manière absolument inexplicable, cette impression d’aisance connaît ses limites lors de la finale de samedi soir. Le départ de Lea est pourtant excellent car elle passe en tête aux 200 mètres dans le chrono académique de 23″95. Les deux mètres d’avance acquis grâce à sa belle et longue foulée ont même pu être conservés jusqu’aux 320 mètres. Alors que tout va bien, c’est à ce moment-là que l’impensable se produit : Lea commence à se désunir ! Le visage crispé et la foulée sautillante, il n’en faut pas plus pour comprendre qu’elle n’a soudain plus aucune énergie. En sortie du dernier virage, ses adversaires la dépasse facilement et c’est la mort dans l’âme autant que dans les jambes que Lea termine son calvaire, au cinquième rang seulement en 53″08. Peu après à l’hôtel des Suisses, les explications ne sont toujours pas trouvées. Ce qui est sûr c’est que Lea ne méritait pas un tel coup du sort. Habituée à gagner et à défrayer la chronique athlétique, la Ginginoise doit désormais faire face également à des échecs. Rio et maintenant Belgrade ne doivent absolument pas être tournés en négatif. Car Lea était plus forte que jamais cet hiver et c’est surtout ça qu’il faut retenir, afin qu’elle puisse continuer à construire ce qu’il faudra pour briller lors des prochaines saisons. Le vent tournera pour elle, on en est persuadé !
Selina Büchel cravache pour conserver son titre du 800 m
À l’instar des huit autres champions d’Europe indoor helvétiques avant elle, Selina Büchel (KTV Bütschwil) doit défendre à Belgrade son titre du 800 m magnifiquement acquis deux ans plus tôt à Prague. Chose peu aisée à réaliser si l’on constate que seul Markus Ryffel (ST Bern) y est parvenu, en 1979 à Vienne, après avoir triomphé en 1978 à Milan. Pourtant la Saint-Galloise croit en ses chances et elle va œuvrer durant tout le week-end pour mettre à bien son objectif. Si elle laisse une excellente impression lors des séries en signant le deuxième chrono en 2’03″11, sa course en demi-finales provoque des sueurs froides à ses supporters, la faute à quelques erreurs tactiques qu’on ne lui connaissait pas. Dans une course que personne ne veut mener, Selina se trouve longtemps en troisième position, en courant d’abord de manière enfermée, puis souvent à l’extérieur au deuxième ou parfois au troisième couloir; les nombreux mètres parcourus en trop lui coûtent évidemment du temps et de l’énergie qui, indubitablement vont compter lors de l’emballage final. Et c’est effectivement ce qui se produit car la Suissesse n’arrive pas à contrer le finish de la Britannique Shelayna Oskan-Clarke, vainqueur en 2’03″09. Selina, en 2’03″23, se qualifie bien entendu pour la finale, mais il serait de bon ton qu’elle revoie sa copie au niveau du placement en course. Cela vaut vraiment la peine car excepté Oskan-Clarke, la concurrence n’est pas si farouche que ça cette année.
Dimanche en fin de journée, le duel face à la Britannique promet monts et merveilles. La Saint-Galloise a passé en revue tous ses errements de la demi-finale et elle est maintenant prête pour la grande bataille. En voulant minimiser le risque de bousculade, Büchel prend la course à son compte, suivie comme son ombre par Oskan-Clarke. Le tempo est assez rapide puisque la Suissesse passe en 59″52 aux 400 m. Prise dans une bousculade qui la met aux prises avec l’Espagnole Esther Guerrero et la Suédoise Lovisa Lindh, Oskan-Clarke accélère et revient à la hauteur de Büchel au moment où la cloche retentit. Dans le virage, la Britannique tasse même la Suissesse à la corde, mais cette dernière la repousse d’un coup de coude autoritaire signifiant « no way » (certainement pas). Du coup un écart d’un mètre se forme dans la ligne opposée et dans le dernier virage. Il ne reste que quarante mètres et le sprint fait rage comme jamais. Büchel est toujours en tête, mais comme en 2015 à Prague, elle sent son adversaire revenir à chaque foulée. Ses talents de bagarreuse lui font dans un premier temps le plus grand bien. Mais à mesure que la Britannique se rapproche, la Suissesse se crispe; pire, à dix mètres du but, une foulée part un peu dans le vide, ce qui la désuni et la déséquilibre. Dans un ultime effort, à la désespérée, Selina se lance sur la ligne d’arrivée en même temps que Shelayna. Les dés sont jetés et ce sont maintenant les préposés au chronométrage qui doivent trancher. Dans les tribunes, Sir Sebastian Coe se retourne vers un ami en montrant deux doigts; il parle de Oskan-Clarke, bien sûr. Mais que veut dire ce signe : victoire ou deuxième ? On est guère avancé. Selina Büchel, couchée sur la piste, se redresse et voit le verdict tomber en sa faveur. Surprise puis tout sourire, elle se relève en oubliant la fatigue et met ses mains sur sa tête, presque en signe d’incrédulité. C’est pourtant fait et bien fait : elle a réussi à conserver son titre européen, comme Markus Ryffel il y a 38 ans. Oh ce fut juste, très juste, puisqu’au terme de cette course pleine de suspense, un tout petit centième départage les deux coureuses. Le chrono de 2’00″38 est lui aussi de tout premier ordre car il représente un nouveau record suisse, battu de 52 centièmes.
Les espoirs féminines de l’athlétisme suisse emmagasinent de l’expérience
Il faut encore parler des trois gros espoirs de l’athlétisme suisse féminin. Invitée par European Athletics à prendre part au pentathlon, Caroline Agnou (SATUS Biel-Stadt), 21 ans, a pour objectif de battre le record suisse détenu depuis l’an dernier par Michelle Zeltner (GG Bern) avec 4’369 points (8″63 – 1,81 m – 13,83 m – 5,83 m – 2’21″40). Face aux performances de la Bernoise, la Seelandaise fait jeu égal sur 60 m haies en 8″61 et en longueur avec 5,85 m, limite l’écart au poids avec 13,38 m et au 800 m en 2’23″44, mais se fait laminer en hauteur avec 1,72 m. Au décompte des points, Caroline totalise pile 200 unités de retard avec 4’169 points. Quant à son classement dans ce concours à Belgrade, elle débute en dixième position, puis elle navigue entre la onzième et la quatorzième place, pour finalement terminer au treizième rang. Championne d’Europe U20 de l’heptathlon en 2015 à Eskilstuna, Caroline Agnou peut préparer son concours des championnats d’Europe U23 de cet été à Bydgoszcz avec beaucoup de sérénité.
Angelica Moser (LC Zürich) en est quant à elle à sa deuxième participation dans cette compétition. En 2015 à Prague, elle avait franchi 4,10 m pour un vingt-et-unième rang. Depuis, cette talentueuse athlète de 19 ans et demi a brillamment enrichi son palmarès de deux nouveaux titres majeurs : championne d’Europe U20 en 2015 à Eskilstuna et championne du monde U20 en 2016 à Bydgoszcz. Récente championne suisse en salle, la Zurichoise prend la onzième place de ce concours de Belgrade en franchissant 4,25 m au premier essai et 4,40 m au deuxième, avant d’échouer à 4,55 m. Sa progression en deux ans est tout de même appréciable et pour le moins prometteuse.
Enfin la benjamine de l’équipe Yasmin Giger (Amriswil Athletics) prend part, à 17 ans et 4 mois, à sa première grande compétition en élite. Elle aussi a vécu de grandes joies lors des compétitions jeunesse avec deux médailles d’argent, sur 400 m lors du F.O.J.E. en 2015 à Tbilissi et sur 400 m haies lors des championnats d’Europe U18 en 2016 également à Tbilissi. À Belgrade, la Thurgovienne est engagée dans la cinquième série du 400 m. Opposée notamment à la Française Floria Gueï et à la Danoise Sara Petersen, elle sait qu’elle n’a aucune chance de se qualifier. Elle donne pourtant le meilleur d’elle-même et elle termine troisième en 54″76, ce qui la classe au vingt-cinquième rang. Cette expérience lui servira cet été à Grosseto lors du 400 m haies des championnats d’Europe U20.
PAB
Résultats
Hommes
60 m | : | 6. | Pascal Mancini (FSG Estavayer-le-Lac) 6″70 / 6″76 en séries et 6″66 en demi-finales |
400 m | : | 21. | Luca Flück (LC Kirchberg) 48″29 en séries |
800 m | : | 21. | Hugo Santacruz (LC Rapperswil-Jona) 1’52″61 en séries |
1500 m | : | 14. | Jan Hochstrasser (BTV Aarau) 3’49″49 en séries |
Longueur | : | 13. | Benjamin Gföhler (LC Zürich) 7,63 m en qualification |
Femmes
60 m | : | 3. | Mujinga Kambundji (ST Bern) 7″16 / 7″24 en séries et 7″19 en demi-finales |
9. | Sarah Atcho (Lausanne-Sports) 7″36 en séries et 7″32 en demi-finales | ||
13. | Ajla Del Ponte (US Ascona) 7″35 en séries et 7″39 en demi-finales | ||
400 m | : | 5. | Lea Sprunger (COVA Nyon) 53″08 / 52″55 en séries et 52″17 en demi-finales |
21. | Sarah Atcho 54″21 en séries | ||
25. | Yasmin Giger (Amriswil Athletics) 54″76 en séries | ||
800 m | : | 1. | Selina Büchel (KTV Bütschwil) 2’00″38 (record suisse indoor) / 2’03″11 en séries |
et 2’03″23 en demi-finales | |||
Perche | : | 11. | Angelica Moser (LC Zürich) 4,40 m |
Pentathlon | : | 13. | Caroline Agnou (SATUS Biel-Stadt) 4’169 p |
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