Dans moins de deux mois, Philippe Clerc foulera la piste en tartan du stade Olympique de Munich. Afin de courir un maximum de fois (sur les huit courses du sprint, il peut potentiellement prendre part à six d’entre-elles), il faut absolument que sa préparation olympique se déroule sans accros. Son programme de compétition se poursuit le 8 juillet à Bâle pour le match triangulaire Suisse – France – Irlande. À la Schützenmatte, l’intérêt réside davantage dans la chasse aux performances, plutôt qu’au résultat final de ce match. Dans cette optique, le sauteur en longueur Rolf Bernhard (ATV Frauenfeld) tient le haut du pavé avec son nouveau record suisse à 7,87 m. Philippe Clerc n’est pas en reste lui non plus avec une belle deuxième place sur 100 m en 10″3, puis avec une victoire fort disputée sur 200 m face au Français Joseph Arame en 20″9.
Les 14 et 15 juillet lors des championnats de Grande-Bretagne à Londres, Philippe Clerc n’apparaît pas dans sa meilleure forme : il a mal aux jambes et il se sent fatigué. Ses résultats en séries du 100 m (10″9), puis en demi-finales (11″0), le font renoncer à courir la finale du 200 m. Philippe annonce qu’il ne courra plus avant les championnats suisses, mais il va assurément travailler très sérieusement à l’entraînement. Pour cela, il peut compter suite à son retour à Lausanne sur la visite de son ami Jean-Louis Ravelomanantsoa. Le Malgache, finaliste du 100 m des Jeux Olympiques de Mexico en 1968 et toujours conseillé par Bud Winter, pourrait bien rééditer cet exploit quatre ans plus tard à Munich. Lors de cette séance, les deux hommes ont bien entendu beaucoup échangé; mais ils se sont surtout astreints à un gros entraînement : un échauffement avec des assouplissements, puis des exercices de technique sur la pelouse. Ravelomanantsoa attache une grande importance à tout le travail de poussée de la jambe, aux mouvements de balancier des bras, à la montée des genoux et à la décontraction dans l’effort. Cet entraînement se termine par six fois 150 m à une allure très soutenue, croyez-le. Une fois les jeux du stade terminés, la discussion se poursuit avec un rafraîchissement sur une terrasse d’un café vers Ouchy. Sans surprise, ils évoquent la prochaine finale du 100 m aux Jeux Olympiques de Munich. Le nom de Valeriy Borzov revient bien sûr avec insistance. Il est vrai que l’Ukrainien fait très peur aux Américains, qui cherchent quant à eux les successeurs de Bob Hayes, Jim Hines, Tommie Smith, John Carlos ou autre Lee Evans. Mais lors des récents Trials US à Eugene, l’athlétisme yankee a prouvé qu’il n’avait pas abdiqué en la matière avec les impressionnants 9″9 semi-électriques d’Eddie Hart et de Rey Robinson et les non moins belles courses de Robert Taylor. Il ne faut pas sous-estimer non plus les sprinters des Caraïbes avec les Jamaïcains Lennox Miller et Michael Fray, ainsi que le jeune et prometteur Trinitéen Hasley Crawford.
Un troisième doublé à Genève
Le dernier week-end du mois juillet est marqué la tenue des championnats suisses à Genève. Pour la première fois depuis l’édition 1964 à Lausanne, cette compétition revient en terres romandes. Avant que ces championnats ne débutent le 29 juillet, deux questions sont sur toutes les lèvres : Meta Antenen va-t-elle pouvoir sauter suffisamment loin en longueur après son opération au genou et ainsi se qualifier pour Munich ? Mais aussi est-ce que Philippe Clerc va vraiment tenter le triplé 100 m / 200 m / 400 m ? Inscrit sur les trois épreuves, cela sous-entendrait qu’il devrait courir huit courses en deux jours… on est pas trop sûr que ce soit judicieux. Peut-être veut-il agiter quelque peu le petit monde de l’athlétisme suisse, comme il aime à le faire périodiquement ? Au stade du Bout-du-Monde, il va bel et bien y avoir un triplé pour le Lausannois, mais pas sous sa forme annoncée. Philippe Clerc, qui a finalement renoncé à s’aligner au 400 m, s’adjuge le 100 m et le 200 m, ce qui fait qu’il réussit un troisième doublé consécutif après ceux de Berne en 1970 et de Bâle en 1971. Ce n’est pas une surprise dans la mesure où ses adversaires ne sont vraiment plus ce qu’ils étaient. Wiedmer n’a plus sa superbe de 1969, Kempf est trop irrégulier, Muster n’est pas encore un crack et Diezi doit ingurgiter une multitude de pilules avant chaque course, tant son dos le fait souffrir. Les chronos du double champion suisse ne sont toutefois pas ceux qu’on espérait : 10″8 sur 100 m et 21″0 sur 200 m. Faut-il s’en émouvoir à quatre semaines des Jeux ? Sincèrement pas trop. Il faut déjà tenir compte du chronométrage qui est électrique et aussi du fait qu’il faisait très froid lors de la finale du 100 m. De plus son travail à mi-temps à l’hôpital Cantonal le fatigue un peu. Il est certain que, débarrassé de tout autre souci que ceux de l’athlétisme, il pourra à ce moment-là progresser à pas de géant. Philippe sait aussi qu’il a besoin de se frotter à une forte concurrence pour se transcender. Or ça n’a pas vraiment été le cas ce week-end à Genève. C’est pourquoi il décide d’aller le 2 août au meeting d’Oslo pour se confronter aux Américains. Même si cette première confrontation ne se terminera pas à son avantage, il doit s’habituer à gérer des courses difficiles, comme ce devrait être le cas bientôt du côté de Munich. Au stade Bislett, le Lausannois ne fait pas mieux qu’aux championnats suisses avec 10″6 sur 100 m, au chrono manuel de surcroît. Pire, le lendemain sur 200 m, alors qu’il est aux prises avec le Trinitéen Edwin Roberts sur 200 m, il est crédité de 21″3. En 1969 à Zurich, il avait battu ce même Roberts en 20″3… Faut-il d’ores et déjà enterrer les espoirs fondés sur le sprinter du Stade Lausanne ? Le simple fait de poser la question revient à dire que la tâche dans les prochaines semaines sera ardue. Matériellement, il a le temps de revenir à son meilleur niveau. Mais il ne peut plus se permettre la moindre erreur de trajectoire dans sa préparation. On se doit plus que jamais de lui faire confiance. Le soir à l’hôtel, il ne songe même pas à aller festoyer avec les autres athlètes au bar. Assis sur son lit, les coudes posés sur ses genoux, il est en train d’analyser ses deux catastrophes, exactement comme il avait dû le faire au mois de juin de l’an dernier à Paris : «Il faut voir les choses froidement. Poser le diagnostic. L’ennui, c’est que c’est plus difficile qu’en médecine. On est jamais très sûr de rien en matière de préparation athlétique. Et je n’ai plus le loisir matériel de me tromper. On est le 3 août. Ce qui est sûr, ce n’est plus une question de fatigue, d’influx nerveux. Tant mercredi avant le 100 m, que tout à l’heure, en m’échauffant pour le 200 m, je me sentais vraiment bien. Et je croyais surtout que j’allais faire un bon truc. Ma forme physique n’est pas en cause non plus. Je suis en bonne condition. Sans cela, je n’aurais jamais pu résister à Roberts comme je l’ai fait ce soir. Ce n’est pas plus un problème de force pure, de puissance. Je n’ai jamais ressenti, cette année, l’impression d’avoir les jambes en coton, comme cela m’était arrivé l’an dernier à Paris. Il faut donc chercher ailleurs. Ici à Oslo, j’ai littéralement pédalé dans le vide dans le 100 m, comme dans le 200 m; ainsi tout me porte à croire que c’est une affaire purement technique. En 1969, j’étais capable d’accélérer dans la dernière ligne droite et de l’avaler de matière presque aérienne. Depuis Athènes, je n’ai plus jamais connu cette sensation. Pourquoi ? J’ai pourtant l’impression de dégager mon bassin aussi bien que par le passé. Mais je dois donner mon impulsion au sol au mauvais moment et c’est cela qui fiche tout en l’air. Le plus curieux, c’est que ça ne va plus depuis que je me suis mis à travailler vite à l’entraînement, en alignant des 200 m appuyés. J’ai toujours eu des scrupules à m’entraîner différemment des autres sprinters, beaucoup plus long et plus lent. Je me suis longtemps demandé si je ne pourrais pas devenir meilleur encore en appliquant les méthodes universellement utilisées. Et voilà, je me suis mis à remplacer mes séries de 300 m courues à allure modérée, tout en technique, en allongeant la foulée, en travaillant le déhanchement, l’impulsion, par des 200 m beaucoup plus rapides. Je me sens d’ailleurs fort bien à l’entraînement. Mais le jour de la compétition, ça ne joue pas, je n’ai plus de jus, plus de force. Je ne vois pas d’autre explication possible. Espérons que ce soit la bonne. Dès demain, je vais reprendre mes habitudes de 1969, avec des courses longues et lentes. Mais j’avoue que c’est tout de même paradoxal. En m’entraînant lentement, je me suis hissé à 20″3. En travaillant plus vite, je fais 21″3… Il y a peut-être aussi un problème psychologique. Il y a trois ans, c’est le point de comparaison idéal, j’étais plus méchant que maintenant. Je voulais gagner ma sélection dans l’équipe d’Europe, je voulais devenir champion d’Europe. Depuis, je cours un peu comme Berruti en fin de carrière. C’est pourtant l’année ou jamais d’être en forme. Il y a les Jeux Olympiques et les meilleurs coureurs actuels ne sont pas aussi formidables que ne pouvaient l’être Tommie Smith et John Carlos à Mexico en 1968». Dès son retour à Lausanne, Philippe Clerc tient parole. Il s’astreint avec son ami Michel Busset à un entraînement basé sur 5 km de footing, des départs sur gazon, puis quelques sprints longs de 200 et 300 mètres.
Les effets de cet entraînement ne se ressentent pas forcément lors du match Suisse vs Allemagne de l’Ouest des 12 et 13 août à Zurich. Philippe termine dernier du 100 m en 10″8 et d’aucuns l’attendent au coin du bois pour le 200 m de dimanche. Eh bien ceux-là ont dû garder leur ricanements pour une autre occasion car davantage que son temps (21″2 face à 2,5 m/s de vent), le comportement du Lausannois, son virage, son esprit de lutte dans la ligne droite, parlent en sa faveur.
Au lendemain de ce match, Philippe Clerc retourne à Macolin pour un camp d’entraînement. Il retrouve la sérénité grâce à la présence et aux conseils de Jean-Louis Ravelomanantsoa. En fin de semaine, le 19 août, une compétition se déroule sur ce stade. Malgré le mauvais temps, les deux athlètes réussissent de belles prestations avec 10″3 et 20″9 pour le petit Malgache et 10″4 et 21″4 pour le Suisse. Pour ce dernier, ce test est jugé concluant. Il semble qu’avec une semaine de repos supplémentaire, Clerc soit susceptible de retrouver à Munich la forme qui était la sienne en juin lorsqu’il réalisa 20″7 à Turin, puis 10″2 à Stuttgart. Ses deux courses de samedi lui ont en tout cas redonné confiance.
Les Jeux Olympiques de Munich
Le 24 août, c’est le grand départ pour Munich. La délégation de l’athlétisme suisse est forte de vingt-sept athlètes, dont Philippe Clerc en est le seul sprinter. Ce dernier ne se sent pas trop à l’aise au village olympique. De plus à l’entraînement, il connaît d’importants problèmes techniques par rapport à sa ligne de course. Par-viendra-t-il à se retrouver pleinement d’ici jeudi prochain, date de son entrée dans l’arène olympique sur 100 m ? Tout s’améliore au contact des Français Alain Sarteur et Dominique Chauvelot avec qui il s’entraîne. Tous trois ont effectué successivement un 60 m, un 80 m, un 100 m, puis encore un 60 m et un 80 m, sans starting-blocks ni starter, un des coureurs comptant jusqu’à trois pour donner le départ, un peu comme dans les cours d’école. Dans le 100 m, où Clerc se donne plus à fond que sur les autres distances, il termine sur la même ligne que Sarteur, le champion de France en titre. Rassuré quant à son état de forme, Philippe doit pourtant faire l’impasse sur la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, histoire de soigner un rhume apparemment sans gravité. Au niveau technologique, cette quinzaine de jours de compétition va passer dans une autre ère en matière de chronométrage. En effet, pour la première fois aux Jeux Olympiques, les temps seront pris au centième de seconde, en oubliant les chronos manuels. Enfin on y arrive ! Il faut vraiment saluer les efforts de la firme allemande Junghans, qui met au service des athlètes et du C.I.O. son savoir-faire en matière de mesure du temps, adapté à l’évolution des technologies : les pistolets de départ envoient simultanément un signal acoustique aux coureurs et électrique à une machine. Le chrono tourne en direct à la télévision et sur la ligne d’arrivée, des appareils photo et des caméras captent des images claires du finish, puis distribuées à la presse, pour la toute première fois en couleur.
Philippe Clerc connaît désormais ses adversaires lors des séries du 100 m qui doivent se disputer le 31 août à partir de 11:00. Dans la sixième des douze courses, il doit affronter l’Américain Rey Robinson, corecordman du monde avec 9″9, ainsi que cinq autres représentants dont il ne connaît même pas le nom. Mais attention, ce n’est pas parce que cette série est teintée d’un exotisme fort prononcé, qu’elle sera facile. Il se présente au stade Olympique avec toute la concentration possible, sachant qu’il doit faire partie des trois premiers de sa série pour être qualifié directement pour les quarts de finale. Au vu des cinq séries qui se sont disputées avant lui, un chrono de 10″60 électrique peut suffire; traduit en chrono manuel classique, cela s’apparente à environ 10″3-10″4, donc pas si facile que ça ! Sans surprise, c’est Rey Robinson qui remporte cette sixième série en 10″56, juste devant Philippe Clerc en 10″58. Ce résultat est franchement remarquable pour le Lausannois, qui ne flanche pas le moins du monde dans sa tâche, un brin périlleuse il faut bien le dire. Sa course a été propre sur le plan technique, au point qu’il s’est retrouvé en tête aux 50 mètres. Il se permet alors de tourner la tête pour jauger la situation et c’est à ce moment-là que l’Américain a pu le passer. Derrière le Suisse, on retrouve le Surinamais Sammy Monsels (10″61), le Ghanéen George Daniels (10″65), le Haute-Voltais André Bicaba (10″71), le Lésothien Motsapi Moorosi (le premier olympien de ce pays / 10″74) et l’Ougandais William Dralu (10″92).
Les quarts de finale ont lieu le même jour, à 16:15. Il y a cinq courses, donc les trois premiers se qualifient pour les demi-finales, plus le meilleur temps des viennent-ensuite. Philippe Clerc est engagé dans le premier de ces quarts de finale, à nouveau face à Rey Robinson. Sauf que l’Américain manque à l’appel et, sur le moment, personne ne sait où il se trouve ! On comprend quelques minutes plus tard qu’il vient de se passer un quiproquo complétement ahurissant au sein de la délégation yankee : Stan Wright, le coach US, a utilisé sans le savoir un horaire périmé. Les trois Américains (Rey Robinson, Eddie Hart et Robert Taylor) se trouvent dans le studio de télévision d’ABC quand ils voient avec stupeur sur la retransmission en direct que les quarts de finale du 100 m vont bientôt débuter; ils se précipitent comme des fous au stade. Mais Robinson arrive en retard, tout comme Hart qui aurait dû s’élancer dans la deuxième course. Finalement Taylor est le seul à avoir pu rallier l’appel à temps et il a pu sauver in extremis sa place. Même si la disqualification de Robinson est une aubaine pour Philippe Clerc, l’enjeu de cette course va être fort ardu pour lui. Il joue pourtant sa chance à fond et longtemps on croit qu’il peut s’en sortir. Sur la ligne d’arrivée on a vu bien les deux premiers, l’Allemand de l’Ouest Jobst Hirscht en 10″25 et le Tchécoslovaque Jaroslav Matousek en 10″35. En revanche pour la troisième place qualificative, c’est l’incertitude la plus totale avec quatre coureurs qui sont arrivés pratiquement en même temps. C’est maintenant aux chronométreurs de Junghans de travailler le plus précisément possible. Ils livrent très vite leur verdict : bien que le Trinitéen Ainsley Amstrong (10″47) et le Bahaméen Michel Sands (10″50) soient classés derrière le Suisse, il faut amèrement constater que Philippe Clerc est battu d’un centième par l’Allemand de l’Est Bernd Borth (10″44). C’est la douche froide dans le camp suisse car avec ses 10″45, rarement le Lausannois n’avait été aussi rapide avec un chronométrage électrique. En fait deux fois seulement : à Zurich en 1969 (10″23 inofficiels) et Zurich 1970 (10″42 officiels). Il ne reste plus qu’espérer une qualification au temps, avec une seule place disponible. Dans la deuxième course, c’est bon puisque le Polonais Stanislaw Wagner est crédité de 10″61. Mais le château de carte du Suisse s’effondre suite à la troisième course car le Polonais Zenon Nowosz, le médaillé de bronze du 200 m à Athènes, court en 10″40. Finalement, il y aura quatre autres sprinters, également non-qualifiés, qui feront à peine mieux que lui. Ainsi il termine au 21ème rang de ce 100 m olympique, sur huitante-cinq participants. C’est bien, mais l’intéressé est en colère : «C’est vrai, je suis en rogne. J’ai raté aujourd’hui l’occasion de faire un truc énorme. Au vu de ma forme du matin, je m’en sentais tout à fait capable. Mais voilà, lors de ces quarts de finale, je n’ai pas été aussi bon , techniquement parlant. J’avais les jambes trop en avant par rapport au buste. C’est dommage car je suis très bien actuellement, musculairement parlant. Il faut dire aussi, par la faute des Américains, je n’ai pas eu le temps d’effectuer avant la courses les accélérations auxquelles je procède habituellement et qui me mettent en rythme. On attendait vainement Robinson du côté de la chambre d’appel et je n’ai pas pris attention au mouvement de mes adversaires. Ils sont partis sans que je m’en aperçoive et on a dû venir me chercher au tout dernier moment. Je suis arrivé sur le stade une minute seulement avant le départ. Le temps de régler mes starting-blocks et de partir. C’est tout de même rageant d’échouer si bêtement, pour un centième de seconde». Il n’empêche que les deux courses de ce jeudi, dans l’optique du 200 m qui débute dans trois jours, permettent de nourrir à nouveau quelque espoir au sujet du sprinter lausannois.
Le dimanche 3 septembre est le jour des deux premiers tours du 200 m. Pour les séries qui se disputent dès 11:00, les règles de qualifications sont différentes du 100 m; ce sont en effet les quatre premiers des neuf courses, plus les quatre meilleurs chronos qui se voient propulsés en quarts de finale. En lice dans la toute dernière série, Philippe Clerc n’a apparemment pas besoin de tirer à fond son effort pour passer le cap. C’est ce qui se produit avec une quatrième place assurée en 21″32 derrière l’Américain Larry Burton (20″80), le Français Lucien Sainte-Rose (21″09) et le Néo-Zélandais Bevan Smith (21″17); le Philippin Tukal Mokalam restant à une demi-seconde du Suisse. Voilà qui est fort bien joué de la part de Clerc, qui a ainsi économisé une précieuse dose d’énergie pour la suite de la compétition.
L’après-midi pour les quarts de finale, le vent souffle de manière irrégulière et ce paramètre pourrait s’avérer déterminant pour l’équité entre les cinq courses du programme. Comme pour le 100 m, ce sont les trois premiers se qualifient pour les demi-finales, plus le meilleur temps des viennent-ensuite. Le tirage au sort n’a pas été clément avec le Lausannois. S’il avait été placé dans la deuxième course, il aurait eu une chance formidable de passer en demi-finales. Hélas il se trouve dans la troisième, nettement plus compliquée à aborder. Il retrouve de vieilles connaissances avec l’Allemand de l’Est Siegfried Schenke et le Trinitéen Edwin Roberts, mais surtout l’Américain Larry Burton et l’Allemand de l’Est Martin Jellinghaus. Ça fait beaucoup de client pour trois places disponibles seulement. La lutte concerne finalement six athlètes est la situation reste extrêmement serrée jusqu’à la fin. À l’instar du 100 m, il faut avoir recours à la photo-finish pour départager les concurrents. Et le verdict de cette course ressemble à s’y méprendre à celui qu’on a vécu trois jours plus tôt. Burton gagne en 20″68, devant Jellinghaus (20″70) et Schenke (20″79). Classé quatrième en 20″82 (+0,4 m/s), Philippe Clerc n’accède donc pas aux demi-finales pour trois centièmes de seconde seulement. Son unique espoir est désormais de passer au temps et pour cela il a fait mieux que le quatrième des deux premières courses. Dans la quatrième, c’est toujours bon puisque le Soviétique Wladimir Lovetskiy a couru en 20″83. La cinquième et ultime course doit indiquer si le pouce ira contre en haut ou contre en bas pour le Suisse. C’est Pietro Mennea qui s’impose en 20″47, devant Hans-Joachim Zenk 20″59 et un duo composé de Richard Hardware et de Lucien Sainte-Rose. Leur temps : 20″76 (+1,2 m/s) ! Là aussi tout s’effondre pour Philippe Clerc, qui termine au dix-huitième rang de ce 200 m olympique. En sortant du contrôle antidopage, son sac à la main, la déception au fond du cœur, il lâche à Michel Busset : «J’aurais dû m’arrêter trois ans plus tôt, après Athènes». Plusieurs fois il lui avait fait cette confession. Mais il avait décidé de continuer et, pris au jeu, il ne désespéra jamais, surtout cet été, de regravir la pente au sommet de laquelle il était une fois allé. Pourtant, tiraillé par les impératifs de sa double vie, celle d’athlète et celle d’étudiant en médecine, il n’eut pas le temps d’assurer ses pitons aussi solidement qu’il l’aurait voulu. À Munich, malgré sa classe qui lui permit de rester premier de cordée jusqu’à 50 mètres du but, devant l’Américain Larry Burton, il dégringola jusqu’au quatrième rang, celui qui le privait d’une place en demi-finales. À la rigueur, s’il avait couru six centièmes plus rapidement, aurait-il pu décrocher sa qualification en étant le meilleur des quatrièmes. Six centièmes, c’est bien peu de chose, certes, mais il refusait pourtant d’accuser la malchance et de s’y achopper : «Bien sûr, Sainte-Rose s’est qualifié avec six centièmes de moins que moi, après avoir bénéficié de l’aide d’un vent nettement plus fort. Mais l’important, n’est pas tellement là. Ce n’est pas de six centièmes qu’il faut parler, mais ces cinq dixièmes qui me séparent de ma forme de 1969. Aujourd’hui, j’étais parti pour faire un temps de l’ordre de 20″40-20″50 au chronométrage électrique et je croyais bien y parvenir lorsque je suis sorti en tête du virage, comme à la plus belle époque, devant Burton, Jellinghaus et Roberts. Mais, et ce n’est pas une surprise puisque ce fut comme cela toute la saison, ma dernière ligne droite n’a pas été à l’image des premiers 120 mètres. Je me suis battu, mais rien à faire. Ils m’ont passé de tous les côtés». Après une pause à l’extérieur du stade Olympique, il reprend son analyse, sur un ton plus grave : «Je crois que ce 200 m à moitié réussi, à moitié raté, aura été ma dernière course. Les cinq années qui se profilent à l’horizon de ma carrière professionnelle seront difficiles et je pense que je n’aurai pas le temps de sacrifier tellement à l’athlétisme et continuer pour faire des 20″8 et des 10″3, cela ne m’intéresse pas du tout. En 1969, j’étais au niveau de Borzov et je pouvais prétendre suivre la même courbe ascendante que lui. Avec mes études, je n’y suis pas parvenu. C’est finalement le seul regret que j’aie, comme cela, au moment de dresser un premier bilan fugitif».
Ne reverra-t-on plus Philippe Clerc sur une piste, ne serait-ce que pour un championnat interclubs avec le Stade Lausanne ? Avant d’en être certains, il faudrait attendre encore quelques mois. On ne vient pas à bout si facilement du virus de la course à pied, même avec un diplôme de médecin dans sa poche. Philippe Clerc, 25 ans et demi, va bientôt se marier avec une charmante Anglaise : Janet Simpson. Après, il aura le temps de reposer toutes les pièces sur l’échiquier, de juger, puis de décider.
Dr Clerc ♥ Miss Simpson
Prévu initialement en juin, le mariage de Philippe Clerc et de Janet Simpson est finalement célébré le 7 octobre dans la banlieue nord-ouest de Londres. Ce jour-là, Territet et Northwood ne sont plus deux petits points isolés sur la carte de l’Europe. Philippe Clerc, inutile de le présenter car on connaît sa carte de visite par cœur. Janet Simpson, elle, est bien sûr moins connue sous nos latitudes lémaniques. Pourtant elle est une véritable star en Angleterre. À 27 ans, elle a derrière elle un passé athlétique assez étonnant. Fille de Violet Webb (qui a remporté la médaille de bronze du 4 x 100 m des Jeux Olympiques de Los Angeles en 1932), Janet a pris part à trois Jeux Olympiques : en 1964 à Tokyo où elle décroche comme sa maman le bronze au 4 x 100 m, en 1968 à Mexico où elle termine quatrième du 400 m en 52″5, et encore il y a quelques semaines à Munich où elle termine cinquième du relais 4 x 400 m. Sur le plan européen, elle n’a pas à rougir face au palmarès de celui qui est désormais son mari. Elle apporte elle aussi dans la corbeille conjugale une médaille du plus beau métal, celle qu’elle remporta en 1969 à Athènes au 4 x 400 m avec l’équipe britannique. Sur le plan professionnel, elle est professeur de dessin. Et nous ne serions pas complet si nous n’ajoutions qu’elle est très jolie…
PAB
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