Après une saison 1969 absolument fantastique, Meta Antenen avait dû vivre une saison 1970 pour le moins déroutante parce que rien ne s’était déroulé comme prévu. Mais finalement, en fin de cette année de transition, tout est allé comme sur des roulettes avec des records personnels à la pelle, dont celui du saut en longueur avec 6,55 m. La saison 1971 doit maintenant permettre à Meta Antenen de passer un cap en direction du top niveau mondial et c’est aux championnats suisses à Bâle que le déclic va se produire. ATHLE.ch VINTAGE vous relate les événements qui se sont déroulés en ce dernier dimanche du mois de juillet 1971.
Il y a dix ans à peine, on ne pouvait décemment parler d’athlétisme féminin en Suisse sans éprouver une certaine gêne. Un préjugé poussait la plupart des gens à croire qu’une jeune fille n’était pas à sa place sur un terrain de sport. Il faut bien l’avouer, les résultats n’étaient guère faits pour changer quoi que ce fût à ces idées préconçues. Mais les choses ont bien changé depuis quelques années, dès l’avènement de Meta Antenen très exactement. Le vent ne souffle plus dans la même direction maintenant, l’entrée des championnes sur la pelouse est toujours applaudie. Elles accumulent les victoires internationales, l’une d’entre-elle nous a même donné un record du monde. Leurs visages sont rayonnants et elles promènent sur le stade des silhouettes d’une finesse et d’une beauté remarquables, de sorte qu’aujourd’hui, si on devait aborder avec un étranger un sujet touchant l’athlétisme helvétique, il s’inquiéterait bien sûr de la forme de Philippe Clerc, de la qualification d’Edy Hubacher en vue des Jeux Olympiques de… Sapporo en bob, de la santé du Dr Paul Martin et il conclurait presque infailliblement par ces mots : «Mais vous avez des filles comme ça ?».
Un exploit de taille sur le sautoir de la Schützenmatte
Les championnats suisses simples qui se disputent les 24 et 25 juillet à Bâle promettent monts et merveilles car la nouvelle piste en Tartan de la Schützenmatte est susceptible de créer de nouveaux miracles. Meta Antenen sera une fois de plus la figure de proue de ce week-end car elle devrait être imbattable aussi bien sur 100 m, que sur 100 m haies et au saut en longueur, ces deux dernières disciplines étant son choix pour Helsinki. Ces championnats représentent pour Meta Antenen une véritable répétition pour les championnats d’Europe et c’est dans cette optique qu’elle parvient à trouver tout au long du week-end des dispositions physiques et mentales encore jamais vues chez elle. Lors de la seconde journée de compétition, le vent est contraire à la ligne droite du stade bâlois, dont les gradins et les places debout sont garnis jusqu’à leurs derniers recoins par un très nombreux public (12’000 spectateurs sur les deux jours). Il est temps d’assister à la finale du 100 m haies des femmes, l’un des grands moments, non pas par le suspense d’une course indécise, mais plutôt par la curiosité de voir quel chrono la jeune Schaffhousoise va bien pouvoir réaliser. Meta, toujours généreuse dans l’effort, réussit un départ canon, puis elle enchaîne les obstacles comme jamais elle ne l’avait fait. Loin, très loin devant toutes les autres finalistes, son cassé sur la ligne d’arrivée est rageur et il valide un deuxième titre suisse, après le 100 m de samedi, en 13″3, record suisse égalé malgré un fort vent contraire de 3,3 m/s ! C’est la toute grosse forme, qui va maintenant se manifester en brillant de mille feux devant la tribune principale, le long de la piste d’élan et de l’aire de réception du saut en longueur. Les deux titres du 100 m et du 100 m haies lui ont donné une motivation supplémentaire et c’est avec un esprit quasi neuf qu’elle aborde le dernier volet de son triptyque habituel des championnats suisses. Ce concours du saut en longueur, qui se déroule avec le vent dans le dos, va tenir en haleine le public du premier au dernier essai. Sa première tentative est superbe, au point de lui donner le sourire en sortant du bac à sable. Elle a bien senti que son saut était allé très loin. L’annonce de sa performance sur le panneau d’affichage corrobore son impression et arrache un cri d’admiration de la foule lorsqu’elle constate que Meta Antenen vient d’égaler le record national de Sieglinde Ammann grâce à un clinquant 6,64 m réussi avec l’aide d’un vent favorable de 1,85 m/s. La joie est grande, mais il n’est pas question de se déconcentrer car il y a de quoi faire mieux encore.
Le premier essai de Meta Antenen est mesuré à 6,64 m, record suisse égalé
En ayant annoncé la couleur lors de ce premier essai, la Schaffhousoise attire toute l’attention sur elle lorsqu’elle se prépare pour sa deuxième tentative. Dans un stade où le silence est quasi religieux, elle se concentre longuement. Puis elle se lance, de manière rageuse, mais élégante à la fois; c’est l’un de ses secrets. Sur la planche, elle explose littéralement pour retomber, après une énorme parabole, très loin, beaucoup plus loin que la marque du record qu’elle venait d’égaler quinze minutes plus tôt. Meta, qui a une nouvelle fois explosé de joie en sortant de la fosse de réception, se tient maintenant la tête dans ses mains. Elle sait qu’elle vient de réaliser un exploit monstrueux, mais elle n’ose pas encore y croire. La classique et combien impatiente attente qui précède l’annonce officielle de toutes grandes performances est à ce moment-là très longue. Les officiels, eux, se penchent sur la chevillière, tendue entre la planche d’appel et le point de chute de Meta. Puis, enfin, le préposé au tableau d’affichage tourne ses chiffres. 6 pour 6 mètres, ça on s’y attendait. Et ensuite un 8. Le public retient son souffle, car il se souvient que c’est l’Allemande Heide Rosendahl qui détient le record du monde avec un bond de 6,84 m. Puis c’est un 1 qui apparaît sur le tableau, tout modestement, serait-on tenté de dire. Meta Antenen n’a donc que frisé le record du monde avec 6,81 m. Tout compte fait, c’est heureux, car sa performance ne sera pas homologuée officiellement, en raison du vent qui soufflait au-delà de la limite autorisée de deux mètres à la seconde (2,85 m/s exactement). L’exploit, même atténué par cette aide illicite du vent, n’en reste pas moins entier. On peut le dire avec d’autant plus de certitude que ses essais suivants furent aussi remarquables : si le troisième n’est retombé qu’à 6,23 m, le quatrième est mesuré à 6,54 m, le cinquième à 6,52 m et son ultime tentative à 6,60 m. Est-ce qu’une autre athlète aurait réussi dans le monde une pareille série ? Il y en a, mais elles se comptent sur les doigts d’une main, et encore !
Prochain objectif, dans deux semaines, les championnats d’Europe à Helsinki
Meta Antenen a prouvé lors de ces championnats suisses qu’elle est actuellement la meilleure spécialiste mondiale du saut en longueur et qu’il est hors de doute qu’elle figurera parmi les trois favorites des prochains championnats d’Europe à Helsinki. Cette jeune Schaffhousoise de 22 ans, qui nous habitue depuis 1966 déjà à la voir battre record sur record, a réussi une nouvelle fois à faire bondir de leur siège les suiveurs de l’athlétisme. L’exploit n’est pas mince, à une époque où l’on devient plus vite blasé que riche. Reléguée au titre de second rôle, Sieglinde Ammann ne faillit pourtant pas à son devoir en se qualifiant pour Helsinki grâce aux 6,47 m de son cinquième essai.
La presse helvétique est dithyrambique
Après ce concours de folie, chaque journaliste y va de son papier dithyrambique à propos de Meta Antenen. La synthèse de ces comptes-rendus ont deux dénominateurs communs : la performance intrinsèque de la Schaffhousoise et la projection en direction d’Helsinki. La constatation est que seul le bond à 6,81 m échappe à la régularité totale, puisqu’il a été favorisé par un vent de 2,85 m à la seconde, alors que le règlement admet une vitesse limite de 2 m/s. Il n’en est pas moins vrai que, même si l’on fait abstraction de cet essai, les quatre autres meilleurs sauts lui auraient permis de devenir championne d’Europe l’an dernier à Athènes, puisque la Polonaise Miroslawa Sarna avait alors remporté le concours avec 6,49 m. Ceci est de bon augure pour Helsinki où elle a de réelles chances de monter sur l’une des trois marches du podium. La technique de Meta Antenen au saut en longueur s’est considérablement améliorée depuis l’année dernière : sa vitesse l’élan, en particulier, est plus grande; et son extension, au moment du ramener de jambes est parfaite. Sa performance inofficielle à 6,81 m la situe au troisième rang de la hiérarchie mondiale de tous les temps, à égalité avec l’Allemande de l’Est Margrit Herbst, la Roumaine Viorica Viscopoleanu ayant franchi quant à elle 6,82 m et l’Allemande de l’Ouest Heide Rosendahl étant détentrice du record du monde depuis le 3 septembre 1970 à Turin avec 6,84 m.
Dans la Feuille d’Avis de Lausanne, Michel Busset se lâche sur sa spontanéité et sa sportivité : « Meta Antenen gagne le 100 m plat, elle saute de joie. Meta Antenen remporte le 100 m haies et égale son propre record national, elle bondit et elle étreint ses adversaires malheureuses. Meta Antenen réussit un bond de 6,81 m au saut en longueur, elle ne sait tout à coup plus ni son âge ni son prénom. Elle reste un grand moment la tête dans les mains. Puis elle fonce vers son entraîneur Jack Müller et elle l’embrasse. Trix Rechner bat le record suisse du saut en hauteur, Meta traverse la pelouse au pas de course pour aller la féliciter. Philippe Clerc gagne la finale du 100 m et, en le croisant à l’échauffement, lui dit simplement : «Gratuliere»; un seul mot, mais celui qu’il fallait. Au-delà même de la valeur intrinsèque de son extraordinaire saut de 6,81 m, c’est ce que nous retiendrons du formidable « Show Antenen » à Bâle : cette joie explosive, presque communicative, d’où ne transperce pas un brin de cabotinage. Meta Antenen est une vedette, mais elle n’en reste pas moins constamment prête à l’émerveillement. C’est tout simplement remarquable ».
Vient ensuite la question que personne n’ose poser : « Meta Antenen a-t-elle le record du monde du saut en longueur dans les jambes ? » Michel Busset argumente qu’elle a réussi 6,81 m avec l’aide du vent, certes, mais aussi au terme d’un championnat au cours duquel elle avait déjà disputé trois 100 m le samedi et un 100 m haies le dimanche après-midi. Ceci compense peut-être cela ». Pour conclure, le journaliste lausannois s’aventure à une ultime réflexion : « Et si Meta Antenen avait la puissance musculaire de sa rivale Sieglinde Ammann ? Elle serait peut-être déjà à sept mètres… ».
Enfin Yves Jeannotat, qui est toujours sous le charme de la gente féminine, écrit son ode dans la Tribune de Lausanne : « Elle est la plus belle, la plus grande par le talent, elle est farouche et volontaire, elle sait d’où elle vient et où elle va, lorsqu’elle court, les lois de la pesanteur changent de formule. Elle est investie de la classe mondiale et est, cette année, celle qui peut ramener une médaille des championnats d’Europe d’Helsinki. Elle est celle dont on ne peut que parler et parler encore : Meta Antenen ! ».
PAB
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