Au tout début des années ’20, du côté de Paris, le Suisse Julien Schnellmann (Club Athlétique de la Société Générale) réalise de gros progrès lors des courses à pied auxquelles il prend part. ATHLE.ch VINTAGE revient sur le plus gros succès international de ce coureur helvétique, réalisé lors du 15e cross des nations en 1922 à Glasgow. Ah oui, il faut aussi préciser un petit détail important : Julien Schnellmann a couru durant toute sa carrière pour… la France ! Quelques explications semblent être nécessaires, n’est-ce pas ?
De nos jours, nous savons que quelques athlètes suisses comme Julien Wanders, Lore Hoffmann ou Loïc Gasch sont au bénéfice de la double nationalité franco-suisse. Si ces trois athlètes ont choisi de concourir pour la Suisse, cette situation n’a pas toujours été dans ce sens. En retournant au début des années ’20, on peut retrouver un athlète binational qui a dû choisir à un moment donné pour quelle nation il désirait courir : il s’agit de Julien Schnellmann. Né le 2 septembre 1895 à Nogent-sur-Marne, il bénéficie de la double nationalité, française de par sa mère et suisse de par son père né à Wangen (BE). À 21 ans, en pleine Première Guerre Mondiale, il décide de ne conserver que la nationalité suisse, ceci très vraisemblablement afin d’éviter de risquer sa vie dans la boucherie que furent les tranchées de la Grande Guerre. À l’aube des années ’20, la décennie appelée les Années folles ne fonctionne vraiment pas comme aujourd’hui, ceci dans bien des domaines. En athlétisme justement, les règlements de l’époque permettaient de représenter le pays dans lequel on était licencié et c’est ce que fit Julien Schnellmann : il a choisi de courir pour la France. Bien lui en prit car grâce aux conditions d’entraînement particulièrement favorables qu’il a pu rencontrer en région parisienne au sein du Club Athlétique de la Société Générale (CASG), il a su faire éclore ses talents de coureur pédestre. Fondé par Louis Dorizon en 1903, le CASG pratique une politique sportive résolument moderne, qui avait en son temps permis au très populaire champion de course à pied Jean Bouin de se préparer idéalement pour les Jeux Olympiques de 1912 à Stockholm et d’y gagner là-bas la médaille d’argent du 5000 m. En 1921, le Suisse Julien Schnellmann a la chance de pouvoir s’entraîner avec Joseph Guillemot, le champion olympique du 5000 m des Jeux d’Anvers en 1920. À 26 ans, il réalise tellement de progrès en une année, qu’il décroche sa place dans l’équipe Tricolore en vue de la 15e édition du cross des nations (l’ancêtre des championnats du monde de cross actuels). Au bénéfice de la plénitude de ses moyens, c’est avec de gros espoirs que Schnellmann se retrouve le 1er avril 1922 à Glasgow pour y affronter les meilleurs coureurs d’Angleterre, de Galles, d’Irlande et d’Écosse. Sur la ligne de départ située dans le fameux Hampden Park, 45 coureurs sont prêts à en découdre sur les 10 miles (16,1 km) d’un parcours exigeant à souhait. Malgré une redoutable adversité, les « Frenchies » font la loi face à l’armada des quatre pays Britanniques. Individuellement, c’est bien entendu Joseph Guillemot qui l’emporte en 1:03’59. Il a survolé les débats puisqu’il a mis 28 secondes dans la vue de la star anglaise Bill Cotterell (1:04’27). Pour compléter le podium, ô surprise, c’est Julien Schnellmann qui débouche ensuite dans le stade. Bien que le héros local George Wallach tente le tout pour le tout pour refaire son retard, le Franco-Suisse termine troisième de cette course en 1:05’03, tout en laissant l’Écossais à 27 secondes. Avec les belles prestations de Gaston Heuet (6e) et de Jean-Baptiste Manhès (8e), les Français sont également titrés par équipe devant l’Angleterre et l’Écosse. Ces belles médailles d’or et de bronze obtenues par Julien Schnellmann restent dans l’histoire comme étant ses plus hauts faits athlétiques. C’est vrai, mais la carrière de Julien Schnellmann ne s’est pas arrêtée en si bon chemin, loin de là. Sélectionné pour les deux éditions suivantes du cross des nations, il doit certes abandonner en 1923 à Maisons-Laffitte, mais il se reprend bien en 1924 à Newcastle-on-Tyne où il termine premier non-Anglais, au septième rang en 56’51, soit à une minute quinze du vainqueur Anglais, l’imbattable Bill Cotterell. Le bon résultat d’ensemble des autres coureurs Tricolores Gaston Heuet (8e) et Jean-Baptiste Manhès (10e) rapporte à Julien Schnellmann et ses coéquipiers une très belle médaille d’argent par équipe, derrière les Anglais.
La carrière de Julien Schnellmann va se poursuivre avec d’autres succès, mais dans des courses plus régionales. Il participe souvent au Prix Lemonnier, une course pédestre organisée par le Racing Club de France reliant Versailles à Paris sur un parcours de 13 km environ. Quand on le voit traverser à grandes enjambées le pont de Suresnes en direction de l’arrivée au Bois de Boulogne ou quand on le voit poser en vainqueur à l’issue du Challenge Henri Arnaud à Saint-Cloud, quelques jours avant Noël 1924, on perçoit aisément une forme d’accomplissement chez ce jeune homme alerte. En prenant les bonnes décisions au bon moment, le Suisse Julien Schnellmann a su se construire une carrière de coureur pédestre tout à fait remarquable dans son autre pays de cœur, la France. Au terme d’une vie bien remplie, il décède le 13 février 1971 à Nogent-sur-Marne, dans sa 76e année.
PAB
P.S. Un grand merci à Monsieur Gérard Dupuy, de la Commission de la Documentation de l’Histoire de l’athlétisme français, pour son aimable suggestion d’évoquer sur ATHLE.ch VINTAGE la superbe carrière de Julien Schnellmann, le Suisse qui a brillé pour la France au cours des Années folles.
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Photos : Agence Rol
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