Arrivé dans son sport à 23 ans, Bruno Galliker (BTV Luzern) a très vite réussi à se faire remarquer. Après avoir battu ses premiers records suisses et remporté son premier titre national sur 400 m haies en 1957, le Lucernois aborde en outsider les championnats d’Europe 1958 qui doivent se disputer à Stockholm. ATHLE.ch VINTAGE retourne à la fin des années ’50 en Suède pour revivre le superbe parcours du meilleur hurdler helvétique.
C’est une grande équipe nationale qui s’apprête à prendre part aux 6e championnats d’Europe 1958 à Stockholm. Privés au tout dernier moment des Jeux Olympiques de 1956 à Melbourne (pour cause d’un boycott des principales associations sportives de notre pays en signe de protestation à la suite de l’invasion russe en Hongrie le 4 novembre 1956, ceci à trois semaines de l’ouverture des Jeux Olympiques), les athlètes suisses sont très heureux d’avoir à nouveau le droit et l’honneur de porter les couleurs helvétiques lors d’un grand championnat. Parmi les 24 sélectionnés, les journalistes suisses pensent que trois d’entre-eux pourront tirer leur épingle du jeu. Il s’agit de René Weber (LC Zürich) sur 400 m, de Christian Wägli (ATV Gümligen) sur 800 m et de Walter Tschudi (LC Zürich) au décathlon. Si leurs prestations à Stockholm vont être fort honorables, spécialement pour le dernier nommé qui terminera cinquième du décathlon, ils seront pourtant surpassés par l’un des outsiders de notre équipe nationale : Bruno Galliker (BTV Luzern). Après avoir fait ses gammes sur 400 m pour en arriver à 48″4 en 1956, le Lucernois avait connu une saison 1957 prolifique avec d’abord un joli 47″7 sur 400 m, puis des débuts fort prometteurs sur 400 m haies avec un premier record suisse à 52″5 le 27 juin 1957 à Copenhague, mais pulvérisé la semaine suivante à Oslo avec un très remarqué 51″8.
Une belle maîtrise lors des séries du 400 m haies
Blessé pendant de longues semaines en début de saison 1958, Bruno Galliker arrive à Stockholm avec des performances moins clinquantes que l’an dernier. Il se met en piste le mercredi 20 août pour les séries du 400 m haies. Son but est d’assurer sa qualification pour les demi-finales avec le moins d’efforts possibles. Cette tactique est d’ailleurs adoptée par les principaux favoris au cours de leur série respective. Ainsi le Britannique Christopher Goudge, le Suédois Per-Ove Trollsås et le Soviétique Yuriy Lituyev ne poussent pas vraiment outre mesure leur talent. Seul l’Allemand Helmut Janz, dans la quatrième et dernière série, se permet de courir le plus rapidement de tous en 52″1. Troisième dans cette course en 53″0, le Suisse Galliker se contente de surveiller comme il l’a prévu ses deux plus faibles adversaires, le Norvégien Kai Sjøberg (53″2) et le Suédois Hans Lindgren (53″6). Cette qualification réussie tout à fait sereinement est plus que bienvenue car l’intensité va se renforcer lors des demi-finales qui se déroulent le lendemain.
La demi-finale de Galliker est très périlleuse
Le jeudi 21 août, le fond de l’air est plutôt frais à Stockholm. Galliker, dont on ne connaît pas vraiment l’étendue de ses possibilités, se retrouve dans la première demi-finales, assurément la plus périlleuse des deux courses du jour. En affrontant Christopher Goudge, Yuriy Lituyev, Helmut Janz, l’Italien Moreno Martini, lequel l’avait très nettement battu à Turin il y a quelques semaines, et le Polonais Janusz Kotlinski, on voit que le Lucernois va devoir sortir le grand jeu s’il veut obtenir son ticket pour la finale. Galliker tente sa chance en prenant un départ pour le moins rapide. Sur sa belle lancée, il passe les obstacles avec une merveilleuse aisance et cette attitude positive finit par payer puisqu’il n’est battu que par Litujev qui réalise 51″0. Le Suisse fait sensation avec sa deuxième place en égalant le record suisse en 51″8. En prenant la mesure du grand espoir britannique Goudge (52″0) et surtout en éliminant à la régulière l’Allemand Janz (52″5), Bruno Galliker a créé une surprise de taille dans cette demi-finale. Au terme de cette course, Bruno considère qu’il s’agit de la plus belle de sa carrière. Le fait de se frayer un chemin parmi les six meilleurs Européens est une performance que le Lucernois n’eût jamais pu espérer. Au vu des résultats enregistrés lors de la seconde demi-finale, on se rend compte qu’avec le record national du héros local Per-Ove Trollsås (51″0) et les qualifications du Soviétique Anatoliy Yulin (51″3) et du Britannique Thomas Farrell (51″8), le niveau de la finale du 400 m haies sera grandiose.
Une finale du 400 m haies de très haut niveau
Vendredi 22 août, le stade Olympique de Stockholm est garni de 23000 spectateurs qui attendent un exploit de la part de Per-Ove Trollsås. L’issue de cette course est pourtant indécise tant chacun des protagonistes semble déterminé à conquérir l’une des trois places du podium. Les deux Soviétiques Yulin (le tenant du titre de 1954) et Lituyev (l’ancien recordman du monde), semblent intouchables, tout comme le Suédois. Pourtant les deux Britanniques et le Suisse voudront s’accrocher et guetter, pourquoi pas, la moindre défaillance de l’un des favoris. Bruno Galliker, placé au couloir 2 a certes dans son dos Trollsås, mais il a l’avantage de pouvoir contrôler le déroulement de cette finale. Dès le départ, la cadence du Lucernois est bonne. Dans la ligne opposée, on pense qu’il va faiblir, surtout sur la quatrième et la cinquième haies qu’il n’apprécie guère. Mais il n’en est rien et dans le virage il revient même de manière fantastique sur la tête de la course. À 100 m du but, il se trouve en effet en deuxième position derrière Lituyev, précédant non seulement Yulin mais aussi Trollsås. À ce moment-là, les 23000 Suédois ne tiennent plus sur leurs bancs; dans un véritable délire, ils encouragent follement leur favori. Si devant, Lituyev a course gagnée tant son avance est grande, la bataille fait rage pour les deux autres places du podium. Galliker, qui avait donné tant d’énergie dans le virage, sent ses forces faiblir après la dixième haie et, fort logiquement, il se fait passer par le Suédois dans les derniers mètres de course. Heureusement, il parvient à contenir un autre retour, celui de Farrell. C’est ainsi qu’il peut conserver de manière absolument sûre la troisième place synonyme de médaille de bronze en 51″8, record suisse à nouveau égalé.
Yuriy Lituyev s’impose facilement dans ce 400 m haies devant Per-Ove Trollsås et Bruno Galliker
Le classement final de ce 400 m haies des championnats d’Europe de Stockholm est donc le suivant :
1. Yuriy Lituyev (URSS) 51″1
2. Per-Ove Trollsås (SWE) 51″6
3. Bruno Galliker (SUI) 51″8
4. Thomas Farrell (GBR) 52″0
5. Anatoliy Yulin (URSS) 52″3
6. Christopher Goudge (GBR) 53″6
Le camp suisse accueille cette médaille avec une joie d’autant plus belle qu’elle était quasiment inespérée. En effet les dirigeants de l’athlétisme helvétique faisaient certes grande confiance à cet athlète consciencieux entre tous, mais de là à espérer un si éclatant succès, il y avait une haie supplémentaire à franchir… Au niveau de notre pays, il faut bien réaliser qu’il s’agit là d’un superbe exploit, d’une part au vu du niveau des athlètes présents dans cette finale, mais également en constatant que ce n’est que la sixième fois seulement qu’un homme à la croix blanche sur la poitrine voit monter son drapeau au mât d’honneur. Bruno Galliker prend ainsi place dans les bilans helvétiques aux côtés d’Arthur-Tell Schwab (2e au 50 km marche en 1934), Josef Neumann (3e au décathlon en 1938), Lucien Graff (2e au saut en longueur en 1946), Fritz Schwab (2e en 1946 et champion d’Europe en 1950 au 10 km marche). L’ex-Vallorbier mérite donc toutes les félicitations que la presse helvétique a bien voulu lui adresser à son retour au pays.
PAB
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