Après sa finale héroïque du 800 m aux Jeux Olympiques de Paris, la notoriété de Paul Martin (CS Lausanne) est montée en flèche. En surfant sur cette belle vague, le Lausannois a pu vivre pleinement son sport aux quatre coins de l’Europe. ATHLE.ch VINTAGE retourne en plein cœur des Années folles pour suivre son parcours qui doit l’amener aux Jeux Olympiques de 1928 à Amsterdam.
Depuis le 10 juillet 1924, date de la finale épique du 800 m des Jeux Olympiques de Paris, le Lausannois Paul Martin a changé de dimension en devenant – au même titre que Josef Imbach et Willy Schärer – une légende de l’athlétisme, pas seulement suisse, mais carrément mondial. Sa tournée européenne qui avait suivi les Jeux de Paris lui avait permis de courir en Belgique, en Suède et en Allemagne. Cette expérience à l’étranger sera rééditée à de nombreuses reprises durant les quatre saisons à venir, mais tout cela avant tout avec une préférence pour Paris et son stade de Colombes. Paul se trouve d’ailleurs dans la capitale française au début du mois de juillet 1925 et il prend part à une série de courses avec un certain succès puisqu’il court d’abord un 1000 m en 2’30″0, puis un 400 m en 48″6 et un 800 m en 1’54″8. Cette dernière performance lui vaut d’être invité à une soirée de gala à l’Opéra, en compagnie du colonel Arthur Fonjallaz et du Dr Francis-Marius Messerli. Ces trois Messieurs ont eu le privilège de prendre place dans la loge de M. Gaston Doumergue, le président de la République française ! Deux jours après ces remarquables honneurs, le coureur Lausannois prend part à un nouveau défi à Colombes, en étant confronté à Willy Schärer pour un 1000 m de prestige entre les deux médaillés d’argent des J.O. de Paris. Bien que le Bernois soit toujours bien entraîné, il ne peut rien faire face à la pointe de vitesse du Lausannois, qui s’impose avec trois secondes d’avance en 2’28″8, record suisse pulvérisé.
Un séjour en Finlande chez Paavo Nurmi
Paul Martin est au bénéfice d’une grande forme au début de cet été 1925. Une plénitude qu’il va entretenir à merveille ces prochaines semaines puisqu’il doit se rendre dès la mi-juillet en Finlande pour prendre part à une tournée qui doit lui permettre de courir dans les principales villes du pays. Il est de surcroît accueilli et logé par Paavo Nurmi, le maître incontesté du demi-fond et fond mondial ! Le contact entre les deux hommes est remarquable et le jeune Suisse apprend une quantité de « secrets » qui lui serviront pour la suite de sa carrière, notamment le fait qu’il n’y a pas de saison morte en hiver pour l’entraînement ! Durant cette tournée, dont il est la vedette en compagnie du sprinter Américain Charlie Paddock et du coureur de 400 m Néerlandais Adrian Paulen, Paul restera invaincu. Deux courses valent la peine d’être mentionnées : ses 1’54″2 sur 800 m le 20 juillet 1925 à Helsinki et surtout ses 1’20″2 sur 660 yards (603,504 m) réalisés trois jours plus tard à Kotka, une performance qui lui permet de battre de deux dixièmes le record du monde de l’Américain Homer Baker (1’20″4 en 1914). Ce chrono est également admis comme étant la meilleure performance mondiale de tous les temps sur 600 m en 1’20″1. Après un retour en Suisse pour les championnats nationaux à Lausanne-Pontaise, il reprend le chemin de Paris pour courir un nouveau 800 m. Le 9 août au stade de Colombes, il réalise le deuxième chrono de sa carrière en 1’53″2, soit la cinquième performance mondiale de l’année.
Deux saisons moins denses
Malgré une expérience enrichie au cours de cette merveilleuse saison 1925, Paul Martin ne va pas pouvoir vivre les deux années suivantes avec le même engagement. En 1926, celui qui porte désormais le maillot du Stade Lausanne (il s’agit du nouveau nom du Cercle des Sports de Lausanne, suite à une fusion entre divers sports) possède toujours un niveau assez correct puisqu’il réalise d’abord 1’53″8 le 24 mai à Genève, puis 49″8 sur 400 m le 18 juillet à Lausanne. Ce n’est pourtant qu’en fin de saison qu’il retrouve une bonne partie de ses sensations avec un superbe 800 m couru le 19 septembre à Paris en 1’53″0, soit son deuxième chrono absolu et la quatrième performance mondiale de l’année. La saison suivante, celle de 1927, est plus compliquée pour le Lausannois avec 50″4 sur 400 m et 1’56″0 sur 800 m, ceci à l’occasion des championnats suisses à Lausanne-Vidy. Son unique sortie internationale, le 31 août à Rome, se solde par des chronos un peu plus modestes : 50″6 sur 400 m et 1’57″6 sur 800 m. Ces deux saisons, évidemment moins brillantes que celles de 1924 et 1925, ont tout de même eu le mérite d’exister et d’avoir maintenu le docteur Paul Martin aux portes du top niveau mondial sur 800 m. Au moment de préparer la saison olympique 1928, chaque détail va compter pour le coureur du Stade Lausanne.
Une troisième participation aux Jeux Olympiques
La préparation olympique de Paul Martin a été sérieuse et régulière, mais elle met du temps à vraiment se concrétiser. Le 10 juin 1928, le 800 m du match triangulaire France-Italie-Suisse à Colombes lui montre encore tout le chemin qui est à parcourir puisqu’il est battu par le Français Séra Martin et l’Italien Ettore Tavernari. À moins de deux mois des Jeux Olympiques de 1928 à Amsterdam, il en faudrait pourtant plus pour ébranler la confiance du Suisse. Ses ambitions olympiques sont de doubler 800 m / 1500 m et, dans cette optique, il ne veut pas griller d’entrée toutes ses cartouches. Il démontre pourtant lors des championnats suisses, qui se déroulent les 7 et 8 juillet à Genève, qu’il faudra compter avec lui aux Pays-Bas. Son triplé (400 m / 800 m / 1500 m) réussi lors de ce week-end à Frontenex a en tous cas fait taire les plus sceptiques.
Il débarque à la fin du mois de juillet à Amsterdam, sûr de pouvoir construire un nouveau chef d’œuvre dans sa carrière. Pourtant au sein de la délégation suisse, la confiance n’est pas forcément de mise. En effet, quelques temps avant la tenue de ces Jeux Olympiques, des voix autorisées s’étaient élevées contre la participation de nos athlètes helvétiques à cette neuvième Olympiade, prétextant que nos meilleurs hommes n’étaient pas du tout en forme ! Ébranlée, la Fédération décide toutefois de faire fi de ces critiques et de participer à ces Jeux Olympiques d’Amsterdam, avec en plus l’intention de prouver qu’elle n’a pas eu tort. Hélas la vox populi a eu raison car un seul et unique athlète parvient à sauver l’honneur suisse au stade olympique : Paul Martin !
Le Lausannois entre en lice le dimanche 29 juillet 1928 à l’occasion des séries du 800 m. Sept courses sont au programme, au terme desquelles les trois premiers de chaque séries sont qualifiés pour les demi-finales du lendemain. Sur la piste du stade olympique, mesurant pour la première fois 400 m, Paul Martin se retrouve au départ de la troisième série, en compagnie de trois dangereux concurrents : le Français Jean Keller, l’Allemand Max Tarnogrocki, ainsi qu’une vieille connaissance en la personne de l’Américain Ray Watson (finaliste du 1500 m à Paris). Comme souvent à ce stade de la compétition, le tempo n’est pas très rapide et c’est au sprint que la décision se fait. Très à son affaire, Paul Martin se montre à la hauteur de la situation. Pourtant dans le dernier virage, il a bien failli se faire piéger par le Mexicain Alfonso Garcia, qui l’a un moment enfermé. Il a pu s’extirper facilement de ce guêpier pour terminer sur les talons de Jean Keller en 1’59″4, tout en contrôlant le retour de Ray Watson (1’59″6) et de Max Tarnogrocki (1’59″8). Voilà une bonne chose de faite pour le Lausannois; cette qualification devrait augmenter sa confiance pour la suite de son périple olympique.
Une demi-finale ardue
Les demi-finales du 800 m, au nombre de trois, se disputent le lundi 30 juillet. Placé dans la troisième course, Paul Martin n’a pas hérité d’un tirage favorable car il s’agit bien là, et très nettement, de la demi-finale la plus corsée. Dans la première, l’Américain Earl Fuller a dominé le champion olympique en titre Douglas Lowe et Jean Keller, tandis que dans la deuxième, le Suédois Erik Byléhn a survolé les débats devant Ray Watson et l’Allemand Hermann Engelhard. On en vient donc à cette ultime demi-finale, aux allures de cruel couperet, tant les huit athlètes semblent tous en mesure de se qualifier. La nervosité prévaut sur la ligne de départ et, immanquablement, deux faux-départs sont sanctionnés; l’un d’eux est dû à Paul Martin. Le troisième coup de pistolet libère les huit coureurs, prêts à en découdre pour obtenir l’une des trois places qualificatives. Sagement placé en dernière place durant le premier tour, le Lausannois entame une remontée progressive dès la cloche. S’il parvient à avaler facilement le Norvégien Olaf Strand, puis le Britannique Wilfrid Tatham, il en va tout autrement lorsqu’il faut s’attaquer aux cinq meilleurs. Paul engage toutes ses forces pour revenir au niveau des meilleurs, mais cette grande débauche d’énergie s’avère fatale au moment d’aborder la ligne droite finale. Il parvient à dompter l’Américain John Sittig et l’Allemand Fredy Müller, mais hélas trois autres adversaires ne sont déjà plus du tout à sa portée et il doit déchanter. Finalement la course est remportée par l’Américain Lloyd Hahn en 1’52″6, devant le Canadien Phil Edwards en 1’52″8 et le Français Séra Martin en 1’53″0. Pour Paul Martin, classé au quatrième rang en 1’53″3, la marche était malheureusement trop haute et la déception est très grande. Sa belle performance chronométrique lui laisse par contre quelques bons espoirs en vue de l’autre épreuve prévue à son programme, le 1500 m. Comme à Paris en 1924, la demi-finale que Paul Martin a dû disputer a été d’un niveau incroyablement haut. On en veut pour preuve que le sixième de cette troisième course aurait gagné avec deux secondes d’avance dans les deux autres demi-finales ! Et comme à Paris en 1924, c’est le Britannique Douglas Lowe qui remporte ensuite la finale de ce 800 m olympique en 1’51″8. Il devance Erik Byléhn en 1’52″8 et Hermann Engelhard en 1’53″2. Phil Edwards en 1’54″0, Lloyd Hahn en 1’54″2 et Séra Martin en 1’54″6 – soit les trois vainqueurs de Paul Martin lors de la demi-finale de feu – sont boutés hors du podium.
Le 1500 m pour laver une grosse déception
Mercredi 1er août, Paul Martin retrouve la piste du stade olympique d’Amsterdam pour les séries du 1500 m avec un sentiment de revanche. Cette distance, bien que n’étant pas sa préférée, ni la plus courue ces dernières années, paraît être tout à coup celle qui pourrait sauver sa quête olympique 1928. Cependant les séquelles physiques de sa demi-finale du 800 m de lundi sont toujours bien présentes dans ses jambes. Il y a également cette polémique étonnamment montée par la presse helvétique, qui se demande si Paul Martin n’avait pas eu tort de porter son entraînement sur deux distances différentes ? Opposé dans le 1500 m à des spécialistes comme Jules Ladoumègue, Harri Larva ou Eino Purje, Paul Martin répond qu’il peut assurément défendre ses chances et on comprend tout à fait son point de vue.
Ils sont 44 en lice pour ce 1500 m olympique, répartis en six séries. Le Lausannois a tiré la quatrième et il devra faire face au tempo souvent rapide du Finlandais Harri Larva et du Britannique Reg Thomas. Sûr de sa vitesse terminale, Paul Martin reste en cinquième position jusqu’à la cloche. À ce moment-là, Larva accélère et dépasse Thomas. Martin, qui a suivi la manœuvre, remonte sur la tête dans le dernier virage, puis passe sans coup férir le Finlandais dans la dernière ligne droite. Il s’impose très frais en 4’00″8, soit un nouveau record personnel. Cette belle entrée en matière devrait lui donner encore plus d’envie pour la finale, d’autant plus que certains favoris comme Otto Peltzer, Séra Martin ou Lloyd Hahn – mal remis de leurs 800 m épuisants – ont connus l’élimination.
Le jeudi 2 août est très important pour l’athlétisme suisse car les prestations de nos compatriotes au stade olympique d’Amsterdam restent fort modestes. Paul Martin fait bien sûr figure d’exception dans ce marasme, malgré son élimination en demi-finales du 800 m. À la recherche d’une revanche, le Lausannois pense même qu’il aura droit au chapitre lors de cette finale du 1500 m. Mais la concurrence s’avère être rude avec notamment les Finlandais, les Français et les Allemands. Son manque d’expérience sur cette distance pourrait-elle être préjudiciable ? Pas sûr car une erreur commise dans un 1500 m est certainement pas aussi rédhibitoire que sur 800 m. Placé sur la ligne de départ en milieu du peloton, aux côtés de Jules Ladoumègue, Paul Martin prend un départ moyen. Mais contrairement à sa demi-finale du 800 m, il choisit judicieusement de ne pas traîner en queue de peloton. Après 700 m de course, le Suisse pointe en sixième position et c’est à ce moment-là qu’il décide de fournir un bel effort pour se placer au deuxième rang derrière l’Allemand Hans Wichmann, une place qu’il maintient durant 100 mètres. Cependant ce coup de bluff ne fait pas long feu car on voit Martin rétrograder à l’entame du dernier tour, lorsqu’un groupe de cinq coureurs menés par Larva se détache irrémédiablement. Paul Martin reste quant à lui à cinq mètres derrière et il ne semble pas être en mesure de suivre les meilleurs. Sans s’affoler, Martin a laissé passer l’orage et il parvient à recoller aux 1200 m. Dans la ligne opposée, Ladoumègue prend la tête, mais Larva montre qu’il est le patron de cette finale et il contre le Français en le passant à l’entrée de la dernière ligne droite. Harri Larva remporte facilement le titre en 3’53″2, nouveau record olympique. Jules Ladoumègue s’empare de la médaille d’argent en 3’53″8 et le Finlandais Eino Purje gagne son duel pour la troisième place sur Hans Wichmann en 3’56″4 contre 3’56″8. Au cinquième rang on retrouve le Britannique Cyril Ellis en 3’57″6, juste devant Paul Martin qui remporte un très joli diplôme olympique grâce à sa sixième place en 3’58″4, soit un record personnel battu de deux secondes et quatre dixièmes.
Harri Larva remporte facilement le 1500 m olympique devant Jules Ladoumègue. Paul Martin termine sixième en 3’58″4
En grand connaisseur de l’athlétisme, l’ancien recordman du monde du 100 m Charlie Paddock donne son avis suite à cette finale : «Je n’en reviens pas de la course de Paul Martin. Je suis convaincu qu’avec sa vitesse et son endurance, Paul aurait dû se spécialiser sur cette distance. S’il l’avait fait, il aurait été champion olympique du 1500 m…». Cette affirmation donne de l’eau au moulin de la presse suisse qui, même si elle félicite leur compatriote pour cette belle sixième place, n’en démord pas et pense elle aussi que Paul Martin aurait dû se préparer uniquement sur 1500 m. Cette finale a également une autre signification pour la Suisse. Alors que les épreuves d’athlétisme allaient se terminer sans que nos athlètes n’aient marqué le moindre point, le sixième rang de Martin en vaut finalement un; c’est peu de chose, mais au moins l’honneur est sauf !
PAB
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