Les XIVe championnats d’Europe d’athlétisme se déroulent du 26 août au 31 août à Stuttgart. Depuis trois jours, l’été semble être en très grande délicatesse avec le Bade-Wurtemberg. Les ondées se succèdent, le temps est gris, la température est même assez fraîche. C’est dire que les conditions, pour l’instant, ne sont pas idéales pour un rendez-vous de cette importance. Tous les athlètes helvétiques sélectionnés pour ces championnats d’Europe ne sont pas arrivés en même temps. Ainsi, Werner Günthör a débarqué au dernier moment en voiture, avec son entraîneur Jean-Pierre Egger. En attendant les accréditations officielles, Werner est appuyé sur une barrière délimitant l’entrée du camp retranché qu’est devenu désormais un village d’athlètes. Il prend son mal en patience et répond aux questions des quelques journalistes présents : «Je suis en pleine forme», avoue-t-il. Les exploits récents des lanceurs Est-Allemands ne semblent pas l’avoir affecté outre mesure : «Ils sont très forts. Mais cela, on le savait déjà». Puis, après un temps de réflexion, il rajoute : «De toute façon, jeudi, tout le monde partira de zéro dans le concours. Alors, tout peut arriver». S’il se refuse de formuler un pronostic car les favoris sont nombreux, Werner émet tout de même un souhait : «La limite de qualification a été fixée 20,20 m. J’aimerais bien à n’avoir à effectuer qu’un seul jet pour obtenir mon billet pour la finale», confie-t-il. «Mais, cela dépendra avant tout du temps», ajoute-t-il, en levant un regard inquiet vers les lourds nuages noirs qui obscurcissent le ciel de Stuttgart.
C’est par une cérémonie haute en couleur que se sont ouverts à Stuttgart les quatorzièmes championnats d’Europe. Alors que longtemps on avait pu craindre la pluie, le soleil est finalement au rendez-vous. Le public un peu moins, malheureusement. De nombreux trous subsistent en effet dans les gradins du magnifique stade du Neckarstadion. Suite aux différentes productions, vient enfin le traditionnel défilé des équipes. Pour la Suisse, le rôle de porte-drapeau est confié à l’homme fort de la sélection, Werner Günthör. Après quelques mots de bienvenue prononcés successivement par le docteur August Kirch, président du comité d’organisation, et sir Arthur Gold, président de l’Association Européenne d’Athlétisme, il incombe au président du Bade-Wurtemberg, M. Lothar Spath, de prononcer la formule traditionnelle par laquelle ces championnats d’Europe sont officiellement ouverts.
Le concours du lancer du poids n’a jamais été aussi attendu que cette année. Les deux Allemands de l’Est (Udo Beyer et Ulf Timmermann), un Russe (Sergey Smirnov) et un Italien (Alessandro Andrei) ont déjà lancé le poids à plus de 22 mètres cette saison. Et, depuis que le « vieux » Beyer a battu le record du monde à 22,64 m, Werner Günthör et ses 21,66 m sont définitivement rentrés dans le rang. Il ne fait plus partie officiellement des favoris. Mais pour qui le connaît, le jour du concours, il sera là, comme un lanceur venu d’une autre planète ! Le mercredi 27 août ont lieu les qualifications du lancer du poids. Il faut finalement lancer à 20 mètres pile pour décrocher une place en finale. Une formalité pour Werner Günthör et tous ses adversaires classés devant lui dans le bilan mondial annuel. Pourtant le Thurgovien doit avoir recours à deux essais pour obtenir sa qualification ! En effet, son premier jet ne retombe qu’à 19,74 m. Heureusement, au deuxième essai, il réussit 20,64 m, soit la deuxième meilleure longueur des qualifications derrière l’Allemand Ulf Timmermann, crédité de 21,13 m. Le colosse suisse nous avait habitué à des performances de choix en championnat majeur. Alors comment est-ce possible d’avoir vu un tel premier essai ? «Je n’ai voulu effectuer qu’un jet pour ne pas gâcher l’influx. Mais j’ai trop pensé à viser la ligne des vingt mètres. Beyer a d’ailleurs eu le même problème. Les qualifications, c’est difficile, car on pense déjà à la finale». Le recordman suisse ne s’inquiète pas trop, il reste imperturbable : «Pas de problème. Je vais passer une bonne nuit». Le bilan de ces qualifications montre que les favoris sont bel et bien présents. Derrière Timmermann et Günthör, Beyer a réussi 20,61 m, Sergey Smirnov 20,40 m, le Norvégien Jan Sagedal 20,38 m, l’Allemand de l’Ouest Karsten Stolz 20,34 m et Alessandro Andrei 20,27 m.
Stuttgart, jeudi 28 août 1986. Voilà une ville et une date qui avaient été marqués en rouge et en gras dans l’agenda des meilleurs lanceurs de poids d’Europe. On y est enfin pour cet affrontement des titans. À l’entrée des lanceurs dans le stade, sous la pluie, une première surprise – de taille – frappe les yeux des observateurs les plus affûtés. Ils ne sont que onze ! Il y a les trainings bleus des Allemands de l’Est, le rouge de Günthör, le bleu azur d’Andrei, ceux des Allemands de l’Ouest. Mais où est l’autre survêtement rouge, celui qui est flanqué du marteau et de la faucille ? Smirnov est donc forfait pour cette finale ?! La tension monte dans le stade. On voit d’abord les coureurs du 800 m en découdre pour une finale de luxe aux accents british et remportée finalement par Sebastian Coe en 1’44″50 devant Tom McKean en 1’44″61 et Steve Cram en 1’44″88. Enfin les regards se tournent à l’opposé du stade, où Werner Günthör entre dans l’aire de lancer. Son premier jet est long, assuré, propre. Le résultat s’affiche sur le tableau lumineux : 21,58 m. Un premier choc psychologique pour ses adversaires et une option sérieuse pour le titre de champion d’Europe car tous les autres restent sous la limite des 21 mètres. Mais le Thurgovien ne veut pas s’arrêter pas en si bon chemin. Il n’y a pas un bruit dans le stade au moment où il se concentre pour son deuxième essai. Dans sa cabine de commentateur, Boris Acquadro trouve les mots justes : «Est-ce que ce jeudi 28 août sera le jour de gloire pour Werner Günthör ? Il mène le concours, 21,58 m à son premier essai… Deuxième essai pour Werner, ici devant vous». Dans l’aire de lancer, le corps du géant Suisse se penche en avant, la pointe du pied gauche frappe deux fois le ciment du cercle, puis il se met soudain en mouvement : vitesse d’exécution, puissance, volonté, tout y est. Le bras fouette le poids de fonte par-dessus son épaule et s’envole loin, très loin. Le public s’exclame d’un «Ooooh !» d’admiration. Quant à Boris, il exulte au micro : «Et le poids au-delà des 22 mètres ! Un exploit fantastique de Werner Günthör !». Pour la première fois, le lanceur de Jean-Pierre Egger dépasse effectivement la ligne des 22 mètres, pour établir un incroyable nouveau record de Suisse à… 22,22 m ! Il vient de pulvériser l’ancienne marque de 56 centimètres d’un coup ! Werner Günthör réussit encore un troisième essai mesuré à 21,62 m, c’est-à-dire à 4 centimètres du record qu’il détenait avant Stuttgart, puis un cinquième à 21,24 m et annulant volontairement les deux autres en touchant le butoir. Dans le camp Est-Allemand, c’est la douche froide. Ulf Timmermann a bien entendu tout tenté pour rectifier le tir, notamment au troisième essai avec un 21,84 m qui a relancé un peu le suspense; mais la médaille d’argent est tout ce qu’il a pu obtenir. Quant à Udo Beyer, il a sauvé son affaire en chipant au dernier essai, et pour un tout petit centimètre, la médaille de bronze aux dépends d’Alessandro Andrei, avec 20,74 m contre 20,73 m à l’Italien. Dix-sept ans après son dernier titre, la Suisse a donc un nouveau champion d’Europe, le troisième de son histoire. En effet avant Werner, Fritz Schwab avait remporté le 50 km marche en 1950 à Bruxelles, tandis que Philippe Clerc s’était imposé sur 200 m en 1969 à Athènes. Le géant Suisse a même mis du panache dans sa victoire, puisque avec ses 22,22 m, il fait son entrée dans un club très fermé, celui des lanceurs à plus de vingt-deux mètres. Cet exploit le place en effet au quatrième rang de la hiérarchie mondiale ! L’événement est de taille et il prend encore une autre dimension, dans cette discipline dominée par les pays de l’Est. Personne n’aurait jamais osé imaginer une telle trajectoire il y a cinq ans. Mais depuis, Günthör avait déjà fait ses preuves aux Jeux Olympiques à Los Angeles, puis surtout aux Européens indoor de Madrid en février dernier.
Les exigences du contrôle anti-doping retardent la sortie du stade du nouveau champion d’Europe. Amis, dirigeants et journalistes l’attendent, mais en vain; deux bières n’ont pas suffi… Il faut encore patienter car Werner doit se rendre vers les officiels pour la cérémonie protocolaire. L’émotion est grande dans le camp suisse, surtout lors de la montée des drapeaux, celui de la Suisse étant entouré des deux Est-Allemands. Ce n’est pas « Auferstanden aus Ruinen » qui résonne dans le Neckarstadion, mais bien « Trittst im Morgenrot daher (Sur nos monts, quand le soleil) ». Sublime !
Après ce grand moment, Günthör débarque enfin en zone mixte. Egger et Werner se donnent l’accolade avec la vigueur que l’on imagine. La scène rayonne de bonheur et la joie est bien légitime. L’entraîneur laisse ensuite son élève recevoir les félicitations de chacun et, tout sourire, il se confie aux journalistes : «J’ai retrouvé le Werner de Madrid. Aujourd’hui il aurait fait n’importe quoi, il voulait gagner. Il a eu ce geste sublime, celui qui va une fois plus loin que la moyenne. L’ambiance l’a certainement aidé à le déclencher, car Werner est très sensible à l’environnement. D’ailleurs nous parlons souvent de technique entre nous, mais je lui répète souvent : la technique, c’est un état d’âme. Et aujourd’hui tout allait bien dans sa tête». On apprend à ce moment-là qu’Egger et Günthör avaient même pris un petit risque avant le concours. La pluie persistant à tomber, Werner s’était échauffé en salle, au sec. Gymnastique, assouplissements, concentration, mais il ne toucha pas le boulet, alors que d’habitude il exécute toujours six jets préparatoires. Peut-être a-t-il conservé ainsi un influx précieux. Udo Beyer interrompt Jean-Pierre Egger. Il tenait lui aussi à le féliciter : «La victoire de Günthör n’est pas une surprise. Je le félicite pour sa performance et pour son attitude toujours très fair-play». Le succès de l’athlète, c’est aussi celui de l’entraîneur. Le Neuchâtelois a su amener son protégé au top niveau les deux jours les plus importants de l’année. «Ceux qui connaissent bien cette discipline tireront eux-mêmes leurs conclusions», termine l’entraîneur. En effet au royaume des géants, Werner Günthör ne craint désormais plus personne : «Après mon titre de champion d’Europe en salle à Madrid, certains avaient évoqué l’absence des Allemands de l’Est. Cette fois, Ulf Timmermann et Udo Beyer étaient bel et bien là», constate-t-il, quelques heures après son exploit. Et d’ajouter : «Ce titre me comble, bien sûr. Mais je suis surtout content d’avoir battu de tels adversaires, qui représentent l’élite mondiale actuellement. Certes, je respecte leurs records, mais je préfère l’affrontement direct, homme à homme. Là, les conditions sont identiques pour tout le monde». Et, inlassablement, le Thurgovien revient sur le meilleur concours de sa jeune carrière. «Dans mon for intérieur, je pensais récolter une médaille. Mais le titre…», explique-t-il d’emblée. D’autant que les qualifications, la veille, ne s’étaient pas déroulées de manière optimale. «J’avais de la difficulté à coordonner mes mouvements. Mais le premier essai de la finale allait totalement me rassurer. J’ai senti d’emblée que je me trouvais dans un bon jour. Pour moi, ce premier jet a conditionné la suite du concours. Il m’a donné confiance et sûreté», constate-t-il. À Zurich quinze jours plus tôt, Werner Günthör avait dit qu’il pensait battre son record de Suisse. Mais de là à passer la ligne des 22 mètres, il y avait une marge : «J’ai été le premier surpris par mon deuxième jet. Je pense qu’il était parfait, alliant à la fois la technique et la puissance», remarque-t-il dans un grand sourire. Et pourtant, le géant Thurgovien aura encore connu, de son propre aveu, un court instant de frayeur, lorsque Timmermann expédia l’engin à 21,84 m lors de son troisième essai. «Mais j’ai refait les comptes, je me suis vite ressaisi. Sur l’ensemble du concours, j’avais bien les meilleures longueurs». Compétition majeure oblige, Jean-Pierre Egger a dû suivre ce concours depuis la tribune. L’ancien recordman de Suisse partage avec son élève une joie bien légitime : «Werner avait déjà montré de grandes possibilités. Mais là, il a vraiment explosé. Je crois, sans forfanterie, qu’il a l’étoffe d’un champion olympique. En toute honnêteté, ce titre, je l’avais plus espéré qu’escompté !».
Dans l’avenir proche, Jean-Pierre Egger a fixé deux buts pour son champion : stabiliser en quelque sorte cette nouvelle longueur, mais surtout améliorer la moyenne sur l’ensemble de plusieurs concours. Werner Günthör aura l’occasion de le faire dès mardi à Lausanne, puis à Bruxelles et enfin à Rome, pour la finale du Grand Prix Mobil.
Très sportivement, après le concours, Ulf Timmermann et Udo Beyer n’ont laissé à personne d’autre le soin de donner l’accolade à Günthör. Le premier reconnaissait : «C’est une gifle que nous avons reçue là. Au premier essai de Werner, à 21,58 m, j’ai pensé qu’il était dans ses possibilités. Mais au deuxième… Je n’ai pas été véritablement choqué; surpris quand même. Et, ensuite, la pression était sur nous». Udo Beyer, le recordman du monde, était lui catastrophé : «C’est mon plus mauvais concours dans une grande épreuve. Dans ces conditions, impossible d’approcher Günthör». Mais à 31 ans, Beyer puise une nouvelle motivation dans cette défaite. «Pas question d’arrêter sur un tel échec. Je veux ma revanche et dès les prochains concours», s’exclame-t-il, avec une saine agressivité. Le rendez-vous est pris. Mais pour l’instant, les pendules sont à l’heure helvétique et Werner Günthör n’a plus à craindre personne !
Le classement final de ce concours du lancer du poids des championnats d’Europe 1986 est le suivant :
1. | Werner Günthör | SUI | 22,22 m CR |
2. | Ulf Timmermann | GDR | 21,84 m |
3. | Udo Beyer | GDR | 20,74 m |
4. | Alessandro Andrei | ITA | 20,73 m |
5. | Lars Arvid Nilsen | NOR | 20,52 m |
6. | Karsten Stolz | FRG | 19,89 m |
7. | Vladimir Milic | YOU | 19,85 m |
8. | Udo Gelhausen | FRG | 19,76 m |
De retour en Suisse, Werner Günthör prend part le mardi 2 septembre au meeting international de Lausanne, désormais baptisé « Athletissima ». Transféré pour sa onzième édition des berges du Léman (stade Pierre-de-Coubertin à Vidy) aux hauts de la capitale vaudoise (stade Olympique de la Pontaise), ce meeting connaît un beau succès populaire avec 16000 spectateurs, nouveau record de la manifestation. Largement vainqueur à l’applaudimètre lors de la présentation des stars de la réunion, le champion d’Europe Werner Günthör est bien évidemment suivi avec les yeux de Chimène par le public lausannois. Débutant discrètement avec 20,15 m, il est piqué au vif face aux 21,24 m d’Alessandro Andrei réussis à son deuxième essai. Le colosse Thurgovien s’améliore progressivement avec 20,73 m et 21,00 m, pour finir par s’imposer avec un jet à 21,36 m réalisé à sa quatrième tentative. La décompression prévue par son mentor Jean-Pierre Egger n’a pas empêché celui que toute la Suisse appelle désormais affectueusement « Werni » ou « Kugel Werni », de faire honneur à sa nouvelle couronne européenne. Il s’agit tout de même d’une victoire avec douze centimètres d’avance sur le champion olympique en titre.
Trois jours plus tard à Bruxelles, Werner Günthör rencontre Ulf Timmermann. Les deux hommes font jeu égal puisque les deux ont réussi un jet à 21,51 m. C’est finalement l’Allemand de l’Est qui s’est imposé au bénéfice d’un meilleur second essai. Günthör réalise cependant une excellente opération au stade du Heysel. En devançant les deux Américains John Brenner et Ron Backes, le protégé de Jean-Pierre Egger prend une première option sur la victoire dans le Grand Prix Mobil. Mercredi prochain à Rome, lors de la finale de ce Grand Prix, il devrait logiquement s’emparer de la première place du classement du poids, une première place récompensée par un chèque de 10’000 dollars. À peine revenu de Belgique, Werner Günthör se retrouve le soir même au stade de la Maladière afin de donner le coup d’envoi du match de football opposant le Neuchâtel Xamax au FC Zürich (4:0). Formidablement ovationné par les 9100 spectateurs, au moment de taper dans le ballon, Robert Lüthi, l’attaquant de poche (1,70 m) de Gilbert Gress, aurait murmuré : »Balance quand même pas le ballon trop loin, champion !».
Le 10 septembre, Werner Günthör se déplace à Rome pour la finale du Grand Prix Mobil. L’objectif pour Günthör est réaliser la passe de trois. Déjà champion d’Europe en salle en février à Madrid, puis champion d’Europe il y a deux semaines à Stuttgart, il peut prétendre réussir un exceptionnel triplé. Au poids, il se trouve actuellement en deuxième position, à deux points de l’Américain Backes. Timmermann est cependant l’adversaire le plus dangereux. Toutefois, même si l’Allemand de l’Est gagnait en battant le record du monde, une troisième place serait suffisante à Günthör, pour autant qu’il termine devant Backes. Tout ça pour une poignée de dollars, mais il faut bien vivre, pas vrai ? Dans le stade qui va accueillir les prochains championnats du monde, Werner Günthör remplit parfaitement son contrat. Après ses victoires à Madrid et à Stuttgart, le protégé de Jean-Pierre Egger remporte aussi le classement final du poids du Grand Prix Mobil et atteint son troisième objectif de la saison. Günthör prend la seconde place derrière Ulf Timmermann. Le Suisse prend la tête au quatrième essai avec 21,61 m.
Mais le Berlinois riposte lors de l’essai suivant en réussissant 21,67 m. Derrière, Alessandro Andrei prend sa revanche sur Udo Beyer avec 21,20 m contre 21,10 m. Quant à l’Américain Ron Backes, qui devançait Günthör de deux points avant cette compétition, il prend la sixième place avec 19,80 m. Le Thurgovien empoche donc un chèque de 10’000 dollars pour sa victoire finale.
En athlétisme, les lancers sont des disciplines ingrates car, dans les réunions au programme complet, elles passent souvent inaperçues, se disputant dans un coin du stade, voire sur un terrain annexe comme pour le lancer du marteau. C’est donc une aubaine de pouvoir assister un meeting qui leur est exclusivement réservé, ce qui est le cas le 13 septembre à La Chaux-de-Fonds, où est organisée une Coupe des lancers par équipe. Une importante formation parisienne (le Racing Club de France) a fait le déplacement avec ses champions. Werner Günthör, déjà en pleine période de décompression, a accepté de prendre part à cette compétition. La beauté du geste enchante les spectateurs du stade de la Charrière et ils applaudissent à tout rompre les 20,68 m du champion d’Europe. Sa série avec trois jets sous les 20 mètres, ne le satisfait guère : «Ce n’est pas fameux, mais je considère que ma saison est terminée. Je me sens déjà avec un bras et une jambe en vacances, même si je vais encore lancer le poids et le disque le week-end prochain dans le cadre de la finale des CSI à Saint-Gall». Le 16 septembre, Werner Günthör retourne à la Maladière pour donner le coup d’envoi du match de Coupe d’Europe Neuchâtel Xamax – Lyndby (2:0). Après ça, il faut qu’il se repose en vue des CSI. Le 20 septembre, il fait froid à Saint-Gall, 12 degrés à peine. Cela n’empêche pas les athlètes de donner le meilleur d’eux-mêmes pour leur club. Werner Günthör fait partie de ces athlètes sans reproches qui aident leur club à totaliser un maximum de points. Si le champion d’Europe du poids n’a pas atteint la marque des 21 mètres, il y a une semaine à La Chaux-de-Fonds, ce n’est pas parce que sa forme était en train de s’effriter, mais tout simplement parce qu’il était fatigué en raison des fêtes et réceptions de toutes sortes que lui a values son titre européen. Au stade du Neudorf, il réussit une nouvelle une série incroyable. Après avoir mordu un premier essai près des 22 mètres, il enchaîne des performances ahurissantes : 21,51 m, 20,81 m et 21,56 m à son quatrième essai. C’est fantastique, mais on n’avait pas encore tout vu. Son cinquième essai traverse l’aire de lancer et va se loger non pas sur la cendrée mais dans l’herbe, c’est-à-dire un niveau surélevé de 6 centimètres par rapport à la surface réglementaire. Ce handicap lui fait certainement perdre plusieurs centimètres, mais cela n’entame en rien sa joie et son grand bonheur au moment de la mesure de ce jet d’exception : 22,16 m ! Il obtient, dans une compétition mineure, la deuxième performance de sa carrière, à 6 cm seulement de son record national de Stuttgart. Il signe même sa troisième meilleur performance lors de son ultime tentative avec 21,89 m. «Oui, je suis vraiment heureux d’avoir dépassé une fois encore la marque des 22 mètres. Mais je suis presque content de n’avoir pas battu mon record car si j’y étais parvenu, je me serais très sincèrement posé des questions : depuis deux semaines, en effet, je ne m’entraîne pour ainsi dire plus. Obtenir dans ces conditions ce qu’on a de la peine à réussir lorsqu’on prépare un concours jusque dans les moindres détails… Il est vrai que je me suis rarement senti aussi décontracté qu’aujourd’hui». Voilà qui explique bien des choses ! Si cette qualité pouvait se concrétiser dans les concours majeurs, Günthör pourrait sans doute battre d’ores et déjà le record du monde ! Et maintenant, voici une période de vacances, avant la reprise en vue d’une saison 1987 fort chargée en grands championnats.
Enfin le 27 décembre, les mérites sportifs suisses sont décernés à Lausanne. Il est évident que le lauréat masculin ne pouvait être autre que Werner Günthör, dont le triplé réussi en 1986 (champion d’Europe en salle, champion d’Europe en plein air et victoire dans le Grand Prix) a fait date dans les annales de l’athlétisme suisse. Il devance avec un très gros écart le cycliste Urs Zimmermann, le nageur Dano Halsall, le cycliste Urs Freuler et le cyclo-crossman Albert Zweifel.
PAB
Version imprimable de l’article (PDF)
A découvrir prochainement
Werner Günthör – La ruée vers l’or d’un colosse
Episode 10 / 20 | Saison 1987 : Record du monde indoor !