L’état de santé de Werner Günthör n’est absolument pas au top en ce début de saison 1990. Au point de se devoir se soumettre le mardi 13 mars à une intervention chirurgicale. Il est opéré avec succès à l’hôpital cantonal de Bâle. Au cours d’une intervention chirurgicale classique d’une heure environ, le professeur Otmar Gratzl a procédé à l’ablation d’un morceau de disque intervertébral de la grosseur d’une perle, qui faisait pression à travers une vertèbre. L’opération avait été rendue nécessaire moins par la douleur que par les dommages causés à la colonne vertébrale. Après dix jours d’hospitalisation, durant lesquels une première thérapie est entreprise, Günthör se rend durant trois semaines en convalescence à Loèche-les-Bains. Il espère pouvoir reprendre ensuite un léger entraînement. En cas de convalescence rapide, le champion du monde et d’Europe du lancer du poids compte avec une pause forcée de six semaines.
À sa sortie d’hôpital, Werner Günthör est plongé en plein cauchemar. Par les temps qui courent, il ne fait pas bon être dans la ligne de mire de l’hebdomadaire de Hambourg, Der Spiegel. Tant que les victimes étaient des athlètes ou des scientifiques Est-Allemands, la lecture était des plus agréables : enfin, des révélations fraîches et saignantes sur le dopage, le cancer du sport ! Mais dans son numéro qui paraît le lundi 26 mars, les choses se gâtent avec en page 236 la photo de Werner Günthör !
Der Spiegel lance des accusations graves, qui vont avoir un grand retentissement en Suisse puisqu’il est en effet affirmé dans ce journal : « En 1988, Werner Günthör aurait reçu une dose moyenne journalière de 12-15 milligrammes d’un anabolisant appelé Stromba oral ». Werner Günthör apporte un démenti formel, de même que son entraîneur Jean-Pierre Egger et son médecin le Dr Bernhard Segesser. En fait, le recordman suisse du lancer du poids a certes pris un médicament qui entre dans la catégorie des anabolisants, mais il s’agissait d’un remède prescrit durant une période thérapeutique de trois semaines, en 1988, alors qu’il était blessé. Le Dr Segesser, qui est le médecin de l’équipe suisse olympique depuis 1976, ne cache pas son indignation face à ces révélations sulfureuses, qui ne reposent sur aucun 
constat scientifique crédible : «Il est trop facile de jeter le doute sur les performances d’un athlète, d’insinuer qu’il n’est pas possible de lancer le poids à plus de 21 mètres sans être dopé ! Une catastrophe. Or Günthör est vraiment un athlète sain, qui n’a jamais eu besoin de doping pour atteindre le niveau mondial. Cette campagne diffamatoire est une véritable catastrophe !». Stromba n’est que le nom d’emprunt du Stanozolol, le stéroïde trouvé dans l’urine de Ben Johnson. Tout est parti du 16 mai 1988, quand Werner s’est blessé au cours d’une séance de musculation : il lui fut effectivement prescrit, pour trois semaines, un traitement au Stromba. «En 1988, déclare Werner Günthör au journal zurichois Tages Anzeiger, j’ai été contrôlé trois fois et je devais compter avec deux autres contrôles en compétition. Prétendre que j’ai été constamment sous anabolisants est ridicule».
Le 19 avril, la Fédération Suisse d’Athlétisme communique qu’elle n’entend pas donner suite à l’article du Spiegel. La F.S.A. a pris connaissance d’une thèse de Norbert Wolf mentionnant, sur quatre lignes, le nom du lanceur de poids suisse. Elle a ensuite examiné le dossier et aussi pris langue avec l’auteur de la thèse, publiée à l’Université de Heidelberg. C’est sur cette thèse que s’appuie le journal allemand. À la lumière de tous ces éléments, la F.S.A. a décidé d’abandonner l’affaire. Ces quatre lignes de cette fameuse thèse ont été reprises et sorties de leur contexte. Et plus probablement grossies, voire déformées en vue de conférer plus d’audience d’une série d’articles qui se fondaient surtout sur des dossiers il est vrai assez complets, avec les aveux de Kalman Konya et Claus-Dieter Föhrenbach, deux lanceurs Ouest-Allemands pour le moins modestes. Ces quatre lignes n’ont finalement pas réussi à jeter le discrédit sur la préparation du médaillé de bronze olympique. Tout au moins pas officiellement. En revanche, l’image de l’athlète et de son sport auprès du vaste public en a pâti.
Le 5 mai pourtant, une interview du Dr Segesser remet de l’huile sur le feu. Interrogé par le Tages Anzeiger et par la Berner Zeitung, le Dr Bernhard Segesser relance l’affaire de suspicion de dopage, lancée à l’encontre de Werner Günthör. Le médecin de la délégation olympique suisse a en effet déclaré : «Au cours de l’hiver 1988, Günthör s’était vu prescrire pendant trois semaines des anabolisants suite à une opération à un genou et qu’un tel traitement avait déjà eu lieu une ou deux fois en 1985 et 1986». Le Dr Segesser prétend en outre que Günthör a toujours été au courant de ce qu’il prenait, ce que le champion avait nié après les déclarations du Spiegel. Dans les couloirs de Macolin, Werner Günthör confie à Yves Jeannotat, du journal Le Matin : «Comme il s’agissait d’une ordonnance médicale, j’ai jugé qu’il ne m’appartenait pas d’en parler. L’entente entre le Dr Segesser et moi-même a toujours été parfaite et j’ai en effet eu connaissance du mode de traitement qu’il m’appliquait. Cette façon d’étaler les choses me dégoûte. Segesser n’a rien fait d’autre que de me soigner, soucieux qu’il était de ma santé. Je lui garde ma pleine confiance !». Ce nouveau coup n’est en tous cas pas le meilleur moyen pour améliorer la convalescence de Werner après son opération au dos : «J’ai encore des douleurs considérables. Je suis dans l’impossibilité de m’entraîner. D’ailleurs, s’il me dégoûte d’entendre parler de dopage, je ne peux bientôt plus entendre parler de sport non plus». Ce château de cartes qui s’écroule signifierait-il la fin d’une carrière ?
Les compétitions continuent sans Günthör
La saison 1990 va donc se dérouler sans Werner Günthör, qui voit ainsi le train s’éloigner sans lui. Les événements se précipitent puisque le premier record du monde de la saison tombe le 20 mai à Los Angeles et il concerne le lancer du poids. En effet, au 
cours d’un meeting dans la cité californienne, l’Américain Randy Barnes lance ce jour-là son poids à 23,12 m. Deuxième aux Jeux de Séoul derrière Ulf Timmermann, mais devant Werner Günthör, Barnes bat donc de six centimètres l’ancien record du monde de Timmermann, établi le 22 mai 1988 à La Canée, en Crète. Le 20 janvier 1989, Barnes avait déjà battu le record du monde en salle de Werner Günthör. Cet hiver pourtant, Barnes n’avait pas témoigné du même punch puisqu’il n’avait jamais dépassé la ligne des… 20 mètres. Âgé de 24 ans, 145 kg pour une stature de 1,94 m, le nouveau recordman du monde du lancer du poids est assurément taillé comme un roc.
Au début du mois de juin, Werner officialise ce que tout le monde redoutait : il renonce aux championnats d’Europe à Split. Il précise qu’il s’entraîne actuellement de façon réduite et souffre de ne pas pouvoir effectuer d’exercices de rotations du corps, évidemment essentiels dans sa discipline. Son prochain objectif est donc reporté à la saison hivernale en salle avec les championnats du monde 1991 indoor à Séville. Aux championnats d’Europe à Split, à tout seigneur tout honneur, c’est Ulf Timmermann qui succède au Suisse dans le palmarès avec un jet à 21,32 m. Son compatriote Sven Oliver Buder décroche la médaille d’argent avec 21,01 m et le Russe Vyacheslav Lykho s’adjuge le bronze avec 20,81 m devant le Norvégien Georg Andersen avec 20,71 m et le Russe Sergey Smirnov avec 20,45 m.
Le 16 octobre, Jean-Pierre Egger est invité par le Panathlon Club d’Yverdon-les-Bains. Il présente un exposé sur le mode de préparation de Werner Günthör, lequel a repris l’entraînement en septembre consécutivement à son opération d’une hernie discale. Jean-Pierre Egger aborde naturellement le domaine du dopage. S’il affirme que Günthör n’a jamais cédé à ce maléfique chant des sirènes, il explique longuement pourquoi il fut accusé à tort de dopage en 1988. Il termine son brillant exposé en affirmant que Werner Günthör va pouvoir revenir en compétition dès l’hiver 1991 et ceci pour au moins deux saisons, au terme desquelles il abandonnera la compétition. Sa mésaventure à Tirrenia, où il s’est blessé, a été une extraordinaire leçon pour lui. II a compris qu’on ne pouvait pas, même à l’entraînement, être tous les jours à son meilleur niveau. Il a désormais un contrôle parfait de son corps.
PAB
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Werner Günthör – La ruée vers l’or d’un colosse
Episode 17 / 20 | Saison 1991 : Retour au top niveau mondial
Werner Günthör
| Titre | Saison | Thème | Site | |
|---|---|---|---|---|
| Preview | 1972-1993 | Werner Günthör, la ruée vers l'or d'un colosse |  |  |
| Accueil | 1972-1993 | Werner Günthör, la ruée vers l'or d'un colosse | | |
| Episode 1 | 1906-1980 | Le lancer du poids en Suisse : une famille extraordinaire | | |
| Episode 2 | 1972-1980 | Le teenager surdoué du TV Uttwil | | |
| Episode 3 | 1981-1982 | Du Bodensee à Macolin | |  |
| Episode 4 | 1983 | Connexion avec le niveau mondial | | |
| Episode 5 | 1984 | Un diplôme olympique à Los Angeles | | |
| Episode 6 | 1985 | Une saison indoor de haut niveau | | |
| Episode 7 | 1985 | Régularité autour des 21 mètres | | |
| Episode 8 | 1986 | Un premier sacre européen indoor | | |
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| Episode 17 | 1991 | Retour au top niveau mondial | | |
| Episode 18 | 1991 | Günth-or à Tokyo | | |
| Episode 19 | 1992 | Catastrophe en Catalogne | | |
| Episode 20 | 1993 | Un nouveau bon coup à Stuttgart | | |
| Bilans | 1972-1993 | Le palmarès et les statistiques | | |
| Livre | 1972-1993 | Werner Günthör, la ruée vers l'or d'un colosse | | |
