Pour sa première année chez les actifs, Werner Günthör doit faire face à des choix, afin d’orienter sa carrière sportive dans la bonne voie. Son C.F.C. d’installateur sanitaire en poche, le Thurgovien décide de séjourner à Macolin, ceci dès la fin de l’hiver 1981 et pour une période de trois mois.
Il rejoint ainsi Jean-Pierre Egger à l’École Fédérale de Gymnastique et de Sport en espérant que cette nouvelle collaboration puisse booster sa carrière. Si les grandes lignes de son plan de carrière sont définies, il y a tout de même un élément déterminant à ne pas négliger puisque Werner doit passer l’été sous les drapeaux. Son école de recrues se déroule à Wangen an der Aare, au sein de la protection aérienne. La saison 1981 reste, dans l’esprit de l’entraîneur et de l’athlète de 20 ans, une saison de transition, comme bien d’autres avant lui ont dû se résoudre à accepter. Cela ne va pas l’empêcher de progresser, encore et encore. Après avoir réussi en salle, le 8 février à Macolin, un prometteur 16,17 m au poids, il faut attendre le début du mois de juillet pour retrouver Werner Günthör sous les feux de la rampe. Le 4 juillet à Frauenfeld, le Thurgovien semble plus fort que jamais en lançant son javelot à 74,88 m. Bien qu’il ait décidé de se spécialiser pour le lancer du poids, il faut bien dire que ce résultat est absolument sensationnel puisqu’il représente à ce moment-là la deuxième performance suisse de l’année derrière les 74,96 m de Peter Maync et surtout la sixième de tous les temps jamais réalisée par un lanceur de javelot suisse. Tout cela demande confirmation, qui peut tomber par exemple un mois plus tard lors des championnats suisses à Berne. Mais au stade du Wankdorf, ses adversaires ne l’entendent évidemment pas de cette oreille et ils parviennent à contrer l’espoir d’Uttwil. Peter Maync lance à 74,90 m, Jiri Cettl (LC Zürich) à 74,60 m, Alfred Grossenbacher (TV Länggasse) à 74,02 m, Urs Von Wartburg à 72,40 m et Werner Günthör à 71,42 m. Quel concours, d’une part au vu de son niveau général pratiquement jamais vu en Suisse, mais surtout par le fait que Urs von Wartburg ne soit pas parvenu à remporter son vingt-troisième titre national. À 44 ans, l’Argovien doit laisser son spectre à Peter Maync, qui attendait depuis bien des années cette consécration. Il s’agit là d’un très gros événement dans le monde de l’athlétisme suisse, même s’il fallait bien s’attendre à ce qu’il se produise un jour. Dans l’autre épreuve de lancer du jour, le poids, le même genre de révolution se déroule, mais cette fois-ci en faveur de Werner Günthör qui bat son record personnel de dix centimètres et qui remporte là son tout premier titre national en élite avec 16,52 m. Il relègue le duo Heinz Stettler et Fritz Niederhauser à vingt-six centimètres. Sur cette belle lancée, il signe deux autres records personnels : 16,56 m le 23 août à Constance et 16,65 m le 5 septembre à Merano. Malgré l’école de recrues, la saison 1981 a bien été sauvée.
Déménagement à Macolin, changement de club et mise en place du projet
En novembre 1981, Werner Günthör décide de s’installer à Macolin. Loin des rives du Bodensee, il doit également intégrer l’un des clubs bernois et son choix se porte en faveur du ST Bern, qui est capable de soutenir financièrement le Thurgovien. L’Aide Sportive Suisse entre également dans le jeu, ce qui laisse à penser que rien n’est laissé au hasard. Comme tout semble avoir été mis en place administrativement parlant, il ne reste plus qu’ à assurer l’essentiel : l’épanouissement d’un athlète talentueux et prometteur, ceci jusqu’à la plus grande plénitude physique et technique possible. Certes le niveau mondial est encore loin, mais il a le mérite d’être visible, ce d’autant plus qu’une partie du chemin a déjà été emprunté par deux autres lanceurs suisses hors du commun : Edy Hubacher et Jean-Pierre Egger. Comme évoqué en préambule, le Bernois avait défriché la voie au cours des années ’60, en battant son premier record suisse en 1964. Il le fera ensuite passer, via quatorze exploits entre 1964 et 1970, de 16,18 m à 19,34 m. Quant au Neuchâtelois, il s’est engouffré dans cette voie dès 1969. Il est parvenu à prolonger l’exploration en améliorant dès 1976 le record suisse à six reprises pour le porter, le 9 juin 1979 à Neuchâtel, d’abord à 19,90 m, puis à un très respecté 20,25 m. On le voit, Werner Günthör a pour ainsi dire tout pour bien faire. Dès lors il va se créer une véritable symbiose entre l’athlète et son entraîneur, un peu à l’image de Meta Antenen et de Jack Müller. Les deux avaient fait la paire entre 1961 et 1976 et l’athlète, extrêmement populaire, avait réussi des moments de prouesse hors du commun comme un record du monde du pentathlon en 1969 à Liestal, une médaille d’argent au pentathlon des championnats d’Europe 1969 à Athènes, une autre médaille d’argent au saut en longueur des championnats d’Europe 1971 à Helsinki et un titre européen en salle, toujours en longueur, en 1974 à Göteborg. Assurément le duo Günthör / Egger est fait de la même étoffe. Avec les qualités physiques de l’un et le savoir-faire de l’autre, ceci couplé à un cadre d’entraînement absolument propice, tout est fait pour réussir ! Très vite une relation « père-fils » s’installe entre les deux hommes, ce qui renforce la confiance mutuelle : «Jean-Pierre Egger est clairement le patron; c’est lui qui dit où il faut aller», déclare Werner Günthör.
La saison 1982 débute comme l’an dernier avec une compétition en salle. La nouveauté réside dans le fait qu’il s’agit là des premiers championnats suisses en salle de l’histoire. Nous sommes le 21 février et le public est venu en masse dans la salle de la Fin du Monde à Macolin. Le lancer du poids n’est pas la discipline vedette, pourtant Werner Günthör va crever l’écran en pulvérisant son record personnel de huitante-six centimètres avec un jet à 17,51 m, tout en laissant ses adversaires à deux mètres et plus. Preuve en est que les choix effectués quelques mois plus tôt sont on ne peut plus judicieux. Ce bond en avant, il a ensuite fallu le digérer. Raison pour laquelle on voit Günthör un peu moins fringuant durant l’été. Les deux premières compétitions du mois de mai, le 16 à Uster et le 23 à Berne se soldent par le même résultat : 16,50 m. Le mois de juin permet de régler la mire avec un nouveau record en plein air à 16,92 m réussi le 5 juin à la Chaux-de-Fonds. Il enchaîne avec 16,64 m la semaine suivante à Zurich, puis il prend part au match triangulaire Suisse-France-Suède à Lausanne. À Vidy, les deux Français remportent la victoire devant Werner Günthör qui, pour l’occasion, améliore une nouvelle fois son record en plein air avec un joli 17,14 m. À la fin du mois de juillet, une petite escapade du côté d’Aix-les-Bains permet à Werner de lancer le javelot à 72,34 m, soit la deuxième performance de sa carrière. Ce sera la dernière fois qu’il lancera cet engin en compétition. Enfin aux championnats suisses simples, qui ont lieu les 21 et 22 août à Bâle, le Thurgovien du ST Bern remporte son second titre suisse en plein air avec un jet à 16,57 m.
PAB
Version imprimable de l’article (PDF)
A découvrir prochainement
Werner Günthör – La ruée vers l’or d’un colosse
Episode 4 / 20 | Saison 1983 : Connexion avec le niveau mondial