La saison 1985 en plein air du Thurgovien débute au même moment et au même endroit que la précédente : le 18 mai à La Chaux-de-Fonds, dans le cadre d’un meeting pour lanceurs. Les conditions atmosphériques sont cette fois-ci nettement meilleures que les deux degrés subis l’an dernier. En bonne forme, Werner Günthör croit avoir amélioré son record national du lancer du poids avec un jet mesuré à 20,99 m. Cette performance ne peut toutefois pas être homologuée, car le poids utilisé était trop léger, de 39 grammes. L’élève de Jean-Pierre Egger avait pourtant été prévenu qu’il ne fallait utiliser que l’un des deux boulets de couleur bleue spécialement amenés par les organisateurs; mais il n’a pas tenu compte de la recommandation… Son meilleur essai valable est donc finalement de 20,67 m, à 13 centimètres de son record national en plein air. Ce n’est pourtant que partie remise puisque la semaine suivante, le 25 mai à Bourg-en-Bresse, à l’occasion d’une rencontre franco-suisse réservée aux lanceurs. Le Thurgovien réalise ce qu’on attend de lui en améliorant son propre record national du lancer du poids. Et plutôt trois fois qu’une : l’élève de Jean-Pierre Egger dépasse en effet à trois reprises son ancien record suisse (20,80 m) en projetant successivement son engin à 20,96 m, puis 21,15 m et enfin 21,25 m à son quatrième essai, soit une amélioration finale de 45 centimètres. Günthör franchit ainsi pour la première fois la ligne des 21 mètres en plein air, ce qu’il avait laissé entrevoir à La Chaux-de-Fonds en lançant à 20,99 m, avec un poids à peine trop léger. Il remporte bien entendu – et de fort loin – le concours, rapportant ainsi à l’équipe masculine sa seule victoire dans cette confrontation face à une formation tricolore apparue dans sa meilleure composition et qui remporté le match par 78 points à 57. Visiblement, Werner Günthör ne tient pas à dormir sur ses lauriers et se satisfaire du formidable record en salle (21,55 m) qu’il a établi le 17 février dernier à Macolin. Il entend également prendre rang tout en haut de la hiérarchie mondiale estivale, la seule qui compte véritablement. Et il n’a pas attendu que la saison en plein air ait pris sa vitesse de croisière pour annoncer la couleur de ses ambitions. Avec ces 21,25 m, Günthör aurait figuré en dix-septième position dans la liste des meilleurs performers mondiaux de la saison 1984, derrière six Américains, six Soviétiques, un Tchécoslovaque et un Italien. En février dernier, après que son protégé eut pris rendez-vous avec la ligne magique des 21 mètres, Jean-Pierre Egger avait confié : «Je ne veux pas formuler de pronostic chiffré pour ce qui concerne la saison estivale de Werner. Mais j’ai le sentiment qu’il devrait logiquement faire un peu mieux que 21,55 m». Le pari n’est pas encore gagné, bien sûr, mais Günthör a pris le problème par le bon bout.
Le 1er juin, jour de son vingt-quatrième anniversaire, Werner prend part aux championnats suisses interclubs à Berne. Après avoir lancé très loin à l’échauffement, il se déconcentre quelque peu et il perd une partie de ses moyens en réalisant sa plus mauvaise série depuis longtemps, avec pour meilleur résultat les 20,36 m de son deuxième essai. À sa décharge, il souffre d’un doigt depuis quelques jours. Cette relative contre-performance ne l’a pas empêché d’aller lancer le disque et d’être mesuré à 50,02 m. Dans l’immédiat il s’agit de guérir cette petite blessure au doigt, afin d’être prêt pour l’une des compétitions les plus importantes de la saison : les Westathletic Games à Zoug. Cette rencontre des meilleurs athlètes des petites nations d’Europe occidentale est une sorte de championnat continental des viennent-ensuite… Au départ, l’idée de Daniel Plattner (l’ancien numéro 1 de la F.S.A. et depuis président du Comité Olympique Suisse) avait de quoi séduire. Encore eut-il fallu, pour que la tentative soit couronnée de succès – une gageure difficile à une époque où les meetings à grand spectacle ont tendance à polariser l’attention – que les fédérations étrangères invitées se mettent au diapason en déléguant à Zoug tous leurs champions et des équipes suffisamment fortes. Tel n’a pas été le cas, la quasi-totalité des vedettes Ibériques, Scandinaves, ou du Bénélux ayant brillé par leur absence. Le 15 juin, Werner Günthör débarque dans le petit stade du Herti Allmend avec une grande pointe d’anxiété car malheureusement son doigt n’est pas encore complétement rétabli. Le lancer du poids est pourtant l’épreuve qui est la plus intéressante à suivre, grâce bien évidemment au médaillé de bronze des derniers championnats d’Europe en salle. De toute évidence sur la retenue, le colosse Thurgovien rentre pourtant fort bien dans son concours avec un premier jet mesuré à 20,90 m. Il enchaîne ensuite avec 20,34 m et il se prépare maintenant pour son troisième essai, qui est souvent son meilleur essai au cours de chacun de ses concours. Il se concentre longuement, puis en un coup de rein énergique il envoie son engin très largement au-delà de la ligne des 21 mètres, sous les applaudissement du public. Hélas sur le butoir, le jet est déclaré mordu par le juge-arbitre. Dommage bien sûr, mais ce jet est révélateur que Günthör n’a donc rien perdu de sa forme, même s’il souffre encore d’un doigt. Ses lancers suivants sont eux aussi convaincants avec 20,60 m et surtout 20,89 m au cinquième essai, avant de conclure sur un second essai mordu. Il fallait bien ça pour battre le Hollandais Erik de Bruin, crédité de 20,24 m. Un peu déçu tout de même, Werner se console d’avoir réalisé la cinquième performance de sa carrière. Quant à Jean-Pierre Egger, il tempère en disant à qui veut bien l’entendre que ce n’était pas son objectif prioritaire de la saison.
Deux semaines plus tard a lieu les 28 et 29 juin à Pitea le match des 5 nations. Sur la côte suédoise de la Baltique, l’équipe nationale termine troisième derrière la Suède et la France, mais devant le Japon et le Danemark. Bien que se trouvant dans une période de décompression (voulue par son entraîneur Jean-Pierre Egger), Werner Günthör remporte une facile victoire avec un jet à 20,40 m, ce qui constitue la meilleure performance du match. On le sait, le but avoué de Werner cette saison, c’est la Coupe d’Europe qui doit se disputer au mois d’août à Budapest. Nous sommes à plus d’un mois de cette échéance, donc il y a de grandes chances pour qu’on retrouve le Thurgovien en grande forme au Nepstadion.
Le 6 juillet à Lucerne, le meeting international se dispute sous une pluie battante et ne donne pas lieu à de très grandes performances. Le meilleur résultat, en valeur pure, est une fois de plus à mettre au crédit de Werner Günthör, vainqueur du poids avec 21,01 m. Le Thurgovien franchit ainsi pour la cinquième fois de sa carrière la ligne des 21 mètres, trois fois en salle et deux fois en plein air. Dans sa série d’essais, seuls les trois premiers ont été mesurés : 20,91 m, 21,01 et 20,64 m; les trois suivants ayant été volontairement annulés avec le pied sur le butoir. Dans le concours féminin, sa camarade d’entraînement Ursula Stäheli a pulvérisé son record national de 61 centimètres en projetant son engin à 17,58 m. Cette limite des 17 mètres, qui semblait la narguer depuis le début de la saison, la lanceuse d’Old Boys Basel de 28 ans l’a donc franchie, et plutôt trois fois qu’une. Après avoir frôlé la ligne des 17 mètres dès son premier jet (le poids est retombé toutefois en dehors de la zone autorisée), elle obtient 17,58 m à son deuxième essai, avec un boulet pesant 2,5 grammes de plus que les 4 kg réglementaires. Par la suite, elle réussit encore 17,03 m et 17,36 m. Une série exceptionnelle pour une spécialiste helvétique.
En attendant les championnats suisses simples prévus pour le début du mois d’août à Genève, une période de trois semaines sans compétition s’ouvre maintenant à Werner Günthör, ce qui va lui permettre de soigner définitivement son doigt et de peaufiner sa préparation pour la deuxième partie de la saison, qu’on espère pour lui flamboyante. Une fois de plus il va pouvoir bénéficier des meilleurs conseils de Jean-Pierre Egger pour mener à bien ses objectifs. Dans l’histoire de l’athlétisme suisse, depuis quelques temps, la discipline du lancer du poids fonctionne un peu comme une fusée spatiale. Les étages se relaient dans un synchronisme presque parfait. Avant de devenir le premier lanceur du pays à expédier ses 7,260 kg de fonte au-delà de la ligne magique des 20 mètres, Jean-Pierre Egger avait profité très largement des conseils d’Edy Hubacher, son compagnon d’entraînement. Et c’est lui, aujourd’hui, qui assure la mise sur orbite de Werner Günthör. Le savoir-faire, loin de se perdre, se transmet de génération en génération. Mais cela ne veut pas dire que Günthör, aujourd’hui, s’entraîne comme Hubacher il y a une quinzaine d’années. «Mais il y a tout de même certaines constantes. En ce qui concerne la musculation pure, nous travaillons de manière très différente par rapport à Hubacher», explique Jean-Pierre Egger. «Avec le recul, je crois même pouvoir dire qu’Edy aurait pu aller beaucoup plus loin dans cette direction. En revanche, il demeure une sorte d’héritage dans ce que j’appellerai la polyvalence à l’entraînement que suit Werner, pas seulement axé sur la force ou la technique du lancer proprement dite. Il comporte une grande variété d’exercices, des sauts, de la course. La détente et la vitesse font aussi partie de nos préoccupations. Les 2 m et 122 kg de Werner Günthör, pour tout dire, appartiennent à une nouvelle génération de lanceurs. Ne nous faites pas dire ce que nous ne voulons pas, il reste imposant avec ses 122 kg de stature. Quand il se place dans des starting-blocks pour un sprint de 30 m, il n’est ni emprunté, ni ridicule… Il est loin ce temps où un lanceur de poids s’apparentait presque un phénomène de foire. Günthör est un athlète, avant toute chose. Il va faire sa rentrée en compétition prochainement à Genève, à l’occasion des championnats suisses simples. Ces championnats vont donner le coup d’envoi de la deuxième partie de la saison, avec quatre concours importants pour Werner. Genève, bien sûr, puis la Coupe d’Europe Budapest, le meeting international de Berne, sur son stade fétiche du Neufeld, là où il dépassa pour la première fois les 20 mètres, et enfin, Weltklasse à Zurich, où il a une revanche à prendre après sa piètre sortie de l’an dernier. Pas de pronostic en ce qui concerne Genève. C’est toujours difficile avant un concours de reprise. Mais, mercredi, il tout de même amélioré son record avec le poids de 8 kg en l’expédiant à 20,46 m contre 20,13 m précédemment, ce qui est bien sûr un signe intéressant. Psychiquement, je pense que Werner est mieux disposé que durant la première partie de la saison. Il a en effet été un peu perturbé de ne pas confirmer tout de suite, en plein air, ses 21,55 m de l’hiver. Il accuse d’autant plus facilement le coup que cette saison 1985 est déjà, en soit, une saison difficile pour lui. Dans tous les domaines, que ce soit à court ou à long terme, je respecte un cycle de quatre périodes, trois consacrées au travail intensif, la quatrième étant dite de récupération-relâchement. Après avoir travaillé dur en 1982, 1983 et 1984, nous sommes entrés précisément dans cette quatrième phase, qui devrait nous permettre d’envisager dans les meilleures conditions possibles les échéances de 1986 avec les championnats d’Europe de Stuttgart, de 1987 avec les championnats du monde de Rome et de 1988 avec les Jeux Olympiques de Séoul. Mais c’est évidemment un peu frustrant pour un athlète, surtout quand il consacre tout son temps à son sport, comme c’est le cas de Werner. Mais je crois qu’il a maintenant bien franchi le cap. À l’entraînement mercredi, Werner Günthör, entre deux séries d’haltères et sur fond de musique, ne respirait en tout cas pas la morosité, mais une parfaite bonne humeur. Celle d’un homme parfaitement bien dans sa peau. À Genève dimanche prochain, il n’est pas exclu que son record en plein air (21,25 m) tremble… ». En évoquant également les fantastiques 21,55 m de Werner Günthör cet hiver à Macolin, qui ne se situent qu’à 67 centimètres du record du monde en plein air de l’Allemand de l’Est Udo Beyer (22,22 m), Jean Pierre Egger estime être assez normal qu’il en rêve la nuit : «On en parle quelquefois ensemble. Et il serait faux de dire que ce record ne figure pas parmi nos objectifs. Mais ce n’est pas une obsession». Quant à Werner, il doit l’avouer : «J’y songe parfois, c’est vrai. Mais, pour l’envisager de manière vraiment sérieuse, il faut s’élancer d’une plate-forme de départ suffisamment élevée, qui n’est pas encore la mienne. Pour espérer réussir un jet à plus de 22,22 m, il faut pouvoir être régulier aux alentours de 21,50 m. Sur un bon jet, il est possible de gagner d’un seul coup 50 ou 70 centimètres. Pour l’instant, ma moyenne se situe en gros à 21 mètres tout juste. L’objectif est donc encore un tout petit peu éloigné». Ces paroles corroborent parfaitement son concours des championnats suisses simples qui se disputent le 4 août à Genève puisqu’il réussit à Champel deux jets dans cette moyenne, mesurés à 21,02 m et 20,97 m. Ce sont les seules tentatives où la technique a été suffisante, le reste n’a pas été concluant. Tout comme le concours suivant, censé être le sommet de la saison. On parle de la Coupe d’Europe B à Budapest. Rien ne va pour Werner au Nepstadion, si c’est que d’avoir assuré la victoire pour son pays. Quant à la performance, elle restera comme étant la moins longue de la saison avec 20,23 m. Cette contre-performance est étonnante, mais elle a rien d’alarmant si l’on sait qu’il souffre d’un refroidissement. Il est rentré de Budapest très, très fatigué. Mais Werner Günthör tient à honorer son contrat. Il a six jours pour se remettre au mieux car il doit affronter le 16 août à Berne les Américains Brian Oldfield, Duncan Atwood et Dave Laut, soit pour la première fois de la saison une opposition digne de ce nom. Comme souvent sur l’aire de lancer du Neufeld, Werner Günthör en profite pour briller et du coup pour faire oublier la très grande déception vécue à Budapest. Pour le plus grand plaisir des 5500 spectateurs présents, le colosse Thurgovien renoue avec cette formule athlétique de diplomatie des petits pas qui doit l’amener, un jour, tout près du record du monde. Avec un jet de 21,26 m, il améliore d’un centimètre le record suisse qu’il avait établi en mai dernier à Bourg-en-Bresse. Le lanceur du STB bat ainsi le record national pour la septième fois de sa carrière. Il a réussi son nouveau record à son premier essai et il a encore dépassé les 21 mètres à ses deux tentatives suivantes avec 21,19 m et 21,18 m. Quant à ses moins bonnes tentatives, elles ont représenté bien plus que du remplissage puisqu’elles ont été mesurées à 20,49 m, 20,79 m et 20,57 m. Avec ce nouveau record, Günthör a aussi atteint un objectif que seul son trop grand désir de bien faire ne lui avait pas permis de réaliser ces trois dernières semaines. Après son couac de la Coupe d’Europe, il aura ainsi retrouvé la pleine confiance en ses moyens pour les prochaines grandes échéances. Néanmoins, on ne le saura le 3 septembre seulement, les 21,26 m que Werner Günthör a réussi ce jour-là à Berne, ne constituent plus le record suisse du lancer du poids ! Ce n’est pas que la Suisse se soit trouvée, par miracle, un nouveau recordman. Non, l’histoire est moins réjouissante. Tout simplement, la Fédération Suisse d’Athlétisme a décidé de ne pas homologuer le jet record de l’athlète Thurgovien de Berne car la règle 40.10 interdit, en effet, « l’emploi de moyens auxiliaires, par exemple, le bandage de plusieurs doigts ensemble ». Or à Berne, Werner Günthör avait bandé deux doigts de sa main de propulsion, afin de conférer plus d’assise au poids de sept kilos un quart. Les 21,26 m de Günthör ne seront donc pas considérés comme étant un nouveau record suisse. Celui-ci reste, bien entendu, tout de même en sa possession, et pour un centimètre de moins seulement : il s’agit toujours des 21,25 m réussis le 25 mai dernier à Bourg-en-Bresse.
Malgré cela, Werner Günthör voit avec soulagement que la forme est revenue au beau fixe. Il peut le vérifier cinq jours plus tard, le 21 août à Zurich à l’occasion du meeting Weltklasse. Res Brugger, le patron du meeting le plus prestigieux du monde, est un ancien lanceur de poids. Il se fait donc un immense plaisir en mettant sur le devant de la scène un concours qui ressemble à un véritable « Masters du lancer du poids ». L’affiche de cette épreuve est effectivement plus qu’alléchante avec la participation d’Udo Beyer, Ulf Timmermann, Remigius Machura, Alessandro Andrei, Dave Laut, Brian Oldfield et Werner Günthör. Voilà de quoi se surpasser. En réalité, Beyer, Andrei et Laut ne sont pas venus, ce qui est bien dommage. Toujours souffrant de son doigt – depuis bientôt trois mois – le Thurgovien ne reçoit pas l’autorisation de lier ensemble le majeur et l’index de sa main droite comme il l’avait fait Berne. Il dépasse néanmoins la marque des 21 mètres, avec le très bon jet de 21,10 m, ce qui ne l’empêche pourtant pas de subir sa première défaite de l’année en plein air : en effet, nous avons droit au Letzigrund au même podium qui s’était produit à Athènes cet hiver lors des championnats d’Europe en salle. Le Tchécoslovaque Remigius Machura l’emporte avec 21,88 m, devant l’Est-Allemand Ulf Timmermann avec 21,66 m et donc Werner Günthör avec 21,10 m. Loin des fastes de Zurich, Werner participe le 24 août aux championnats régionaux ouest à Yverdon. On s’en doute, il réalise le meilleur résultat de la compétition non seulement au poids où il propulse son engin à 20,95 m, mais également au disque où il améliore son record personnel de 2,76 m avec 54,48 m. Une semaine plus tard a lieu à Hengelo la rencontre opposant la Hollande à la Suisse. Werner va s’y distinguer à plusieurs titres. Il remporte le poids avec une avance de plus de quatre mètres. Puis vient l’impensable : Roland Egger (TV Zofingen), prévu pour le saut en hauteur, est appelé à boucher un trou au saut en longueur, où il se fait une contracture au niveau de l’aine lors de son quatrième saut. Il faut alors lui trouver un remplaçant pour le saut en hauteur et c’est finalement Werner Günthör qui s’est dévoué. Il saute avec les chaussures (trop petites pour lui…) de Roland Dalhäuser, franchit 1,90 m au deuxième essai, 2,00 m à sa première tentative et échoue à une reprise à 2,05 m avant de devoir aller au lancer du disque où il décroche la troisième place avec 51,80 m. La saison 1985 se termine par deux compétitions qui engendrent le même résultat : 20,59 m. Elles se déroulent le 8 septembre dans le Vorarlberg et le 14 septembre au stade du Wankdorf à Berne pour la finale des championnats suisses interclubs. Malade, mais bien là, Werner Günthör est atteint d’une mauvaise grippe intestinale depuis plusieurs jours, ce qui l’oblige à renoncer à tout entraînement. Sans joie, mais pour le club, il remporte le poids avec 20,59 m et le disque avec 52,26 m.
Si la saison de Werner Günthör est désormais terminée, celle de son rival Ulf Timmermann bat son plein. En effet en cette fin de saison, c’est la mobilisation générale en Allemagne de l’Est, Coupe du Monde à Canberra oblige. Les athlètes sont cloîtrés chez eux depuis un bon moment afin de préparer au mieux cette compétition. Leur seule sortie, lors de Weltklasse à Zurich, avait montré de belles choses. On n’avait pourtant rien vu… Le week-end avant le départ pour l’Australie, tout le monde est sur le pont à Berlin-Est, sur le stade du Dynamo Sportforum (l’équivalent de Macolin ou de l’I.N.S.E.P. à Paris). Trois records du monde en ressortent. Pas moins. Les 7,44 m d’Heike Drechsler en longueur, les 53″56 de Sabine Busch sur 400 m haies et les 22,62 m d’Ulf Timmermann au poids. C’est pourtant le recordman du monde Udo Beyer qui débute le mieux avec 21,88 m, alors que Timmermann réussit 21,86 m; le duel sent la poudre. Au deuxième essai, les feux sont allumés et le boulet est expédié 40 centimètres plus loin que le record du monde : 22,62 m ! Le Berlinois, qui se prend la tête à deux mains, sait qu’il a réussi le jet parfait. Il explique que ce n’est pas un coup dû au hasard : «Je suis parti du principe que j’avais assez de puissance dès 1984 pour dépasser largement les 22 mètres. J’ai tout axé sur la technique et notamment ma vitesse d’exécution dans le cercle. J’ai bien fait attention cet hiver à ne pas prendre un gramme de plus, justement pour progresser en dynamisme et en vitesse». Ce formidable exploit de l’Allemand de l’Est met de manière évidente en berne les envies de record du monde de Werner Günthör. Ce dernier a pourtant tout l’avenir devant lui.
Werner Günthör a progressé à tous les niveaux lors de la saison 1985 : physiquement, techniquement et mentalement, ce qui lui a donné l’occasion de se payer de bonnes places dans les bilans mondiaux avec ses performances en salle (21,55 m) et en plein air (21,25 m). Pour la seule année 1985, il se classe au troisième rang en salle et au onzième en plein air. Et au bilan de tous les temps, il pointe en cinquième position en salle et à la trente-sixième place en plein air.
Il devient de plus en plus populaire en Suisse, comme en témoigne sa participation le jeudi 15 novembre au Super-décathlon à Saint-Gall, ceci au bénéfice de l’Aide Sportive Suisse. Dix participants venant de différents sports à savoir le vainqueur de la précédente édition Max Julen (ski alpin), Urs Freuler (cyclisme), Werner Günthör (athlétisme), Markus Lehmann (gymnastique), Max Schär (handball), Ernst Schläpfer (lutte suisse), Dano Halsall (natation), Jörg Weitnauer (aviron), Pirmin Zurbriggen (ski alpin) et Manfred Braschler (football), s’affrontent dans un steeple-chase, une course d’obstacles, ensuite dans un ring de boxe contre un adversaire à désigner (un vrai boxeur…), dans un mini moto-cross, les quilles, la danse (!), dans le GP des kangourous (une course au sac), dans un tournoi des chevaliers métalliques, dans un parcours du globe (numéro de cirque sur une balle géante), ainsi qu’une course pied par élimination. Tout un programme.
Le 10 décembre, comme chaque année à cette époque, sont décernés les mérites sportifs suisses. Onzième en 1984, Werner se classe en 1985 au quatrième rang derrière le skieur Pirmin Zurbriggen, le cycliste Urs Freuler et le nageur Étienne Dagon.
PAB
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