ATHLE.ch VINTAGE | BIOGRAPHIE WERNER GÜNTHÖR / EPISODE 17 | Au début des années '80, un jeune lanceur du TV Uttwil nommé Werner Günthör décide de quitter le Bodensee pour s'entraîner à Macolin, où il est pris en charge par Jean-Pierre Egger. C'est le début d'une fantastique histoire qui va conduire le Thurgovien au firmament du lancer du poids mondial. ATHLE.ch VINTAGE propose de revivre la carrière exceptionnelle du chercheur d'or le plus prolifique de l'Histoire de l'athlétisme suisse. Le dix-septième des vingt épisodes de cette biographie est consacré à la saison 1991 en salle qui permet à Werner Günthör de retrouver de manière éclatante le top niveau mondial.

La préparation de Werner Günthör suit un cours favorable. Réduit à l’inactivité depuis près d’une année et demie en raison de ses problèmes dorsaux, le Thurgovien semble parfaitement rétabli. C’est en tous cas ce qui en ressort du camp d’entraînement qui vient de se dérouler à Lanzarote. Le colosse de La Neuveville attend avec impatience sa rentrée lors des compétitions en salle. Sa rentrée, prévue pour le 13 février 1991 à Berlin, met tout de même le Thurgovien dans une situation qu’il n’a que très rarement éprouvée : «C’est un défi passionnant, mais terrible, que je me suis posé là. Devant son ampleur, je me sens un peu comme un débutant : craintif, nerveux, avec des fourmis au bout des doigts. Je l’avoue, ce premier concours me fait peur, mais ma motivation n’a jamais été aussi grande. Mercredi soir à Berlin, je repars de zéro, mais j’ai envie d’aller très, très loin encore ! Mon désir secret serait de recommencer là où je m’étais arrêté le 16 septembre 1989 à Berne : à 21,27 m !».
Dans la salle du Dynamo de Berlin, 515 jours après avoir disputé son dernier concours, Werner Günthör effectue comme espéré un retour tonitruant en remportant facilement la victoire avec un jet de 21,49 m, ce qui constitue la meilleure performance mondiale de l’année. Le lendemain, il se rend à Vienne et il parvient à faire mieux encore avec 21,55 m. En 24 heures, Werner a réussi à dépasser à huit reprises les 21 mètres en douze tentatives et il en est très satisfait : «Je suis revenu à mon niveau de 1989, lorsque mes possibilités se situaient entre 21,30 m et 21,80 m. Si je réussis un jet parfait, les 22 mètres sont dans mes cordes. Je sais maintenant où j’en suis et je peux préparer les prochaines échéances sans crainte car la pression est désormais sur les autres…».
Si l’élève de Jean-Pierre Egger n’a apparemment pas changé, beaucoup de choses ont en revanche évolué autour du lancer du poids. L’effondrement du bloc de l’Est et le renforcement des contrôles antidopage ont engendré une régression très nette des performances. Le recordman du monde Randy Barnes, son compatriote Mike Stulce et le Soviétique Vyacheslav Lykho sont tous suspendus après avoir subi un contrôle positif. Le Tchécoslovaque Remigius Machura et le Soviétique Sergey Smirnov, pour leur part, ne sont plus ce qu’ils étaient. Avec ses performances, Günthör sera assurément dans le coup pour les podiums mondiaux en salle (à Séville) et en plein air (à Tokyo). Optimiste, mais prudent, Günthör attend tout de même de voir ce que les Américains et les Soviétiques sont capables de faire prochainement.
Dans le but de faire douter ses adversaires encore un peu plus, le Thurgovien s’offre une nouvelle meilleure performance mondiale de l’année lors des championnats suisses en salle le 24 février à Macolin. À deux semaines des championnats du monde indoor de Séville, Werner Günthör enfonce le clou avec un 21,61 m qui surpasse de 1,06 m la performance réussie jusqu’ici par le Russe Sergey Smirnov qui suit les bilans des meilleurs lanceurs de la saison. Quel plaisir de revoir le beau et grand Werner hanter à nouveau l’aire de lancement du poids. Ce grand moment de sport doit maintenant trouver son prolongement du côté de l’Espagne. À Séville, il sera assurément l’une des vedettes, avec la Jamaïcaine Merlene Ottey sur 200 m, le Soviétique Serguei Bubka à la perche, l’Algérien Nourredine Morceli sur 1500 m, l’Allemande Heike Drechsler en longueur ou sa compatriote Heike Henkel en hauteur.

Les championnats du monde 1991 en salle à Séville
Le 8 mars à Séville, Werner Günthör a l’opportunité de combler l’une des rares lacunes de son palmarès en s’adjugeant son premier titre mondial en salle. Avec une avance de plus d’un mètre par rapport à ses adversaires, la marge de sécurité semble très confortable, ce d’autant plus que ni Smirnov (20,55 m) ni Timmermann (20,41 m) n’ont fait le déplacement en Andalousie. Comme attendu, le Palacio Municipal De Deportes San Pablo est le théâtre d’un récital de la part du Thurgovien, mais cela n’a pas été aussi facile que prévu car Werner ne lance pas aussi bien que lors de ses trois sorties de l’hiver à Berlin, Vienne et Macolin. Dès son premier essai mesuré à 20,74 m, il relègue à 92 cm son plus dangereux rival, l’Autrichien Klaus Bodenmüller, son compagnon d’entraînement. Cependant après trois essais, Bodo revient à 32 cm de son maître. Pas vraiment menacé, Günthör se réveille quand même au quatrième essai et réussit le K.O. en envoyant son poids à 21,17 m. Dès lors, le concours est plié et le Suisse peut fêter son quatrième titre majeur après celui des Européens en salle de 1986 à Madrid et ceux en plein air aux Européens de 1986 à Stuttgart et aux Mondiaux de 1987 à Rome. Klaus Bodenmüller s’empare de l’argent avec 20,42 m, alors que c’est l’Américain Ron Backes qui s’adjuge le bronze avec 20,06 m.
Le classement de ce concours du lancer du poids des championnats du monde en salle 1991 est le suivant :

1. Werner Günthör SUI 21,17 m
2. Klaus Bodenmüller AUT 20,42 m
3. Ron Backes USA 22,06 m
4. Petur Gudmundsson ISL 19,81 m
5. Lars Arvid Nilsen NOR 19,69 m
6. Gert Weil CHL 19,56 m

«Ça n’a l’air de rien, mais quand on revient de si loin… longtemps absent des grands rendez-vous, quand on sait que le monde entier vous regarde d’un œil inquisiteur, la charge psychique qui pèse sur vos épaules est grande. J’avoue en avoir senti le poids ces trois derniers jours et avoir dû faire des efforts considérables pour me tenir bien en main ! C’est un grand moment et ce titre a plus d’importance, peut-être, que tous les autres. Je suis à nouveau le chef !». Ces paroles de Werner Günthör, pour la première fois champion du monde en salle – le seul titre qui lui manquait encore avec le plus grand bien sûr, le titre olympique – viennent du cœur et sont imprégnées d’une sincérité qu’on lui connaît fort bien.

Une saison estivale avec Tokyo dans le viseur
Rassuré sur son état de forme, le Thurgovien se permet une escapade particulière le 16 mars en Jamaïque. Il entame ainsi sa saison estivale à Kingston en lançant modestement à 20,31 m. Cela n’a pas la moindre importance, si ce n’est que le voyage et la destination ont été ma foi fort agréable. Le véritable lancement de sa saison a lieu le 1er juin à Berne à l’occasion des championnats suisses interclubs. Hélas au Neufeld, il doit lancer dans l’indifférence générale et Werner se contente de deux jets à 20,56 m et à 20,96 m, meilleure performance mondiale de l’année. Il s’en explique: «Je suis rentré vendredi d’un camp d’entraînement qui a formidablement bien marché à Lanzarote. Aujourd’hui, je fête mes 30 ans et si j’ai accepté de lancer, c’est uniquement par esprit de solidarité envers mon club. Deux essais, dans ce cas, c’est assez ! Mon entraînement se poursuit et c’est à Barcelone, dans le cadre de la Coupe d’Europe que je ferai pour la première fois le point avant les championnats du monde de Tokyo».
Trois semaines se passent et l’on retrouve effectivement Werner Günthör à Barcelone. Dans la splendeur du stade Olympique de Montjuich complètement vide, le Thurgovien désire véritablement connaître son niveau. Il ne va pas tarder à le savoir avec une série qui, vu avec les yeux de l’an dernier, tiendrait du miracle : 20,87 m, 21,32 m, 21,64 m, 21,74 m, 21,59 m et nul pour terminer. Pour comparaison, l’Autrichien Bodenmüller qui est son dauphin du jour, se retrouve à 2,67 m et son second au bilan mondial, le Soviétique Smirnov, à 2,41 m ! Malgré cela, Günthör garde les pieds sur terre : «D’ici Tokyo, mes adversaires vont s’améliorer, l’Allemand Timmermann en particulier, j’en suis sûr. Ce serait vraiment un plaisir pour moi de le retrouver au Japon !».
Pour nous, le plaisir continue de plus belle avec une série de quatre meetings en une vingtaine de jours. Le lendemain de Barcelone, il confirme ses bonnes dispositions en remportant le concours du lancer du poids de la journée olympique de Berlin avec un jet de 21,26 m. Surtout, il pulvérise Ulf Timmermann (20,27 m), Klaus Bodenmüller (19,83 m) et Smirnov (19,66 m). Le 5 juillet à Linz, Günthör atteint une nouvelle fois facilement les 21 mètres avec 21,34 m à son troisième essai. Juste après ce meeting, il doit s’organiser pour se rendre à Oslo. Mais le timing est tellement serré qu’il choisit de ne pas dormir : «Le temps de prendre un repas, je n’aurais pu me coucher à Linz qu’au-delà de minuit; et vu que je devais me lever à cinq heures du matin pour prendre l’avion pour la Norvège, je me suis alors dit que je serais mieux samedi sans dormir du tout ! Avec Jean-Pierre Egger, nous avons ainsi passé toute la nuit en discussions…». Le 6 juillet au stade du Bislett, le Thurgovien se sent en bonne forme quand il aborde le concours et il va réaliser une fantastique série. Son premier lancer est mesuré à 21,50 m et c’est à ce moment-là qu’il sent que les 22 mètres sont à sa portée. Il ne doit pas attendre longtemps puisqu’au deuxième essai il projette son engin à 22,03 m ! Cette performance est absolument incroyable et les 23000 spectateurs – qui n’avaient d’yeux que pour leurs compatriotes Nilsen, Andersen et Sagedal – l’applaudissent à tout rompre; on est loin de l’ambiance de Rome en 1987… Le spectacle est excellent jusqu’au dernier essai avec 21,62 m, 21,20 m, 21,38 m et 21,55 m. Le second du concours, Arvid Nilsen, termine à 2,22 m du Suisse.
Géant parmi les grands, Werner retrouve le 10 juillet le public suisse à l’occasion du meeting Athletissima à Lausanne. À l’applaudimètre, c’est incontestablement lui qui tire l’as de cœur. Le public de la Pontaise réserve en effet une grosse ovation au Thurgovien, qui le lui rend bien en dominant le concours avec un jet à 21,35 m. Une coupure intervient ensuite pour mettre à profit une période d’entraînement à Loèche-les-Bains, puis une nouvelle série de quatre compétitions est programmée dès le début du mois d’août. Les 2 et 3 à Olten, les championnats suisses lui permettent de remporter son dixième titre national en plein air. La série de Günthör est allée crescendo pour se terminer à un bon 21,54 m. «C’est mieux que je n’espérais, car je suis au terme d’une période de musculation qui demande un certain temps pour être parfaitement exploitée». Ce processus doit se peaufiner lors des trois meetings à venir durant la semaine qui suit. Le 7 août lors du meeting Weltklasse à Zurich, le Wimbledon de l’athlétisme comme Werner aime si bien le dire, il remporte la victoire avec 20,99 m. Deux jours plus tard il se rend à San Marin dans une petite ville appelée Serravalle où il réussit un joli 21,46 m, tout en regrettant un manque de constance dans sa technique, ce qui l’empêche de donner le maximum de son potentiel. Enfin le samedi 10 août, le Thurgovien achève sa mini-tournée à Lindau avec 21,10 m. Malgré un programme très chargé ces dix derniers jours, Werner Günthör n’éprouve aucune fatigue. Il peut retourner du côté de Loèche-les-Bains d’autant plus sereinement qu’il apprend une nouvelle de taille en vue des championnats du monde de Tokyo. En effet l’un des principaux favoris de l’épreuve, l’Allemand de l’Est Ulf Timmermann qui est âgé maintenant de 28 ans, souffre depuis quelques semaines des hanches et du fémur et il ne se sent pas en condition suffisante pour briguer une médaille en terres nippones. Après un examen médical subi à Freiburg-im-Brisgau, il a préféré déclarer forfait. La voie vers un titre mondial au lancer du poids s’esquisse de manière de plus en plus précise pour Werner Günthör. En tous cas de l’avis des experts, il est mieux placé que quiconque pour conserver son bien à Tokyo.

PAB

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