La reprise automnale lors des courses sur route est d’un excellent niveau. De manière impériale, Pierre Délèze s’impose dans chacune des courses auxquelles il prend part. Cela commence à mi-novembre à Bulle et ça se poursuit le 29 novembre à Bâle pour la Basler Stadtlauf, le 6 décembre pour la Course de l’Escalade à Genève, le 13 décembre pour la Course de Noël à Sion, le 28 décembre pour la Silvesterlauf à Zurich et le 31 décembre pour la San Silvestro Boclassic à Bolzano (Italie). Cette jolie période est affûtée ensuite au soleil des Bahamas. Le 24 janvier à Freeport, il prend part à une course test sur dix kilomètres dans le cadre du Bahamas Princess Country Club et il se classe dixième en 31’29″0. De retour en Europe, il passe le 12 mars par Valence (Espagne) pour y courir un mile en salle. Cette initiative isolée est couronnée de succès pour Pierre, qui parvient à courir le mile en 3’58″79, nouveau record suisse en salle. Il s’agit là du vingtième record national de sa carrière ! La saison 1987 est sur le point de s’ouvrir et elle va suivre un schéma sensiblement identique à la saison précédente. Un dernier test sur route est effectué le 2 mai à Lucerne à l’occasion de la Luzerner Stadtlauf qu’il termine au cinquième rang en 25’05″0. Les choses sérieuses sur la piste commencent le 28 juin avec le 5000 m de la Coupe d’Europe B à Göteborg (Suède). Pierre Délèze a réussi sa rentrée en 13’52″99, ne s’inclinant que de cinq centièmes devant la pointe de vitesse du Bulgare Evgeni Ignatov. Le Valaisan, dont la préparation a été perturbée récemment par un accident de la circulation, cherchera à Stockholm sur 3000 m, à Helsinki sur le mile et à Berne sur 3000 m à nouveau la pratique qui lui manque encore, avant de tenter de se qualifier pour les championnats du monde de Rome lors du 5000 m de Londres. Ces courses vont donner des résultats très inégaux : de bon le 30 juin à Stockholm avec un 3000 m bouclé en 7’48″15, à inquiétant le 2 juillet pour le mile d’Helsinki conclu à la peine en 4’09″13, en passant par un satisfaisant 3000 m le 8 juillet à Berne. Il a couru en 7’52″02, mais il n’a rien pu faire contre le sprint dévastateur de l’Italien Francesco Panetta, la nouvelle terreur du 3000 m steeple. Face à tant d’incertitudes, le 5000 m de Londres ne va pas être abordé dans les meilleures conditions psychologiques. Ce vendredi 10 juillet doit pourtant permettre à Pierre d’atteindre la limite pour les championnats du monde. Hélas l’entreprise a nettement échoué à cause d’une ampoule au pied gauche qui l’oblige de créer une ouverture dans sa chaussure. Le Valaisan ne court donc pas dans les meilleures conditions, mais il suit pourtant le rythme jusqu’au quatrième kilomètre, moment où le tempo s’accélère et qui le fait lâcher prise pour terminer loin, en seizième position en 14’01″60. Furieux, on le comprend, il quitte le stade sans donner le moindre commentaire. Pierre va pouvoir se calmer dans son fief à Saint-Moritz. Pour cela, à l’initiative de son camarade d’entraînement Bruno Lafranchi, Jean-François Pahud est averti de la situation bancale de son ex-athlète. Sans l’ombre d’une hésitation, il interrompt ses activités de Conservateur au Musée Olympique Provisoire à Lausanne et prend quelques jours de congés pour rejoindre le Valaisan en Haute-Engadine. Cette visite est salvatrice. Il reprend notamment les fondamentaux qui l’avaient fait atteindre les sommets sur 1500 m il y a deux ans. Le discours insufflé par Jean-François permet de remettre la confiance au beau fixe. Pierre est maintenant prêt à aborder ce mois d’août capital avant les championnats du monde, pour lesquels il n’est toutefois pas encore qualifié. Cette limite viendra certainement naturellement lors du meeting Weltklasse à Zurich, pour son unique 5000 m d’avant les Mondiaux.
À la fin du mois de juillet, Saïd Aouita, le favori du 5000 m des championnats du monde de Rome, a tâté le terrain avec délectation. Ce 17 juillet au stadio Olimpico à Rome, le Marocain a réalisé un bel exploit : celui de descendre sous la barrière des treize minutes sur 5000 m. Ce soir-là, il est entré dans l’Histoire avec un nouveau record du monde en 12’58″39. Il n’est pas inutile de rappeler que, en athlétisme, les barrières métriques et chronométriques sont étroitement liées au comportement psychologique des athlètes. Que l’une d’entre elles s’écroule et ce qui paraissait impossible jusque-là devient tout à coup accessible à deux, à dix, à cent, à mille : barrière des quatre minutes sur le mile (3’59″4 par Roger Bannister en 1954), des 20 km dans l’heure (20,052 km par Emil Zatopek en 1951) pour n’en nommer que deux parmi les plus célèbres. Il n’y a guère que celle des 44″ sur 400 m (43″86 par Lee Evans en 1968 dont l’écroulement tarde à agir comme un trou d’air, puisqu’un seul homme l’a franchie en près de vingt ans, dans les conditions très particulières de l’altitude de Mexico City en plus ! Quant au 5000 m, il a aussi sa légende et les chapitres qui la compose sont tous plus passionnants les uns que les autres. Cette épreuve, on le sait, est une des plus fascinantes, sans doute parce qu’elle exige un effort basé à la fois sur les qualités d’endurance et de résistance, parce qu’elle requiert une grande connaissance de soi-même dans la répartition de cet effort. Le coup d’éclat réussi par Saïd Aouita en ce 27 juillet ne peut que remettre en mémoire celui qu’avait signé Gunder Hägg quarante-cinq ans plus tôt, le 20 septembre 1942 : c’était à Göteborg ! Le bûcheron devenu champion de course à pied tenait à terminer en beauté une saison truffée de records, en s’attaquant à celui du 5000 m, détenu par le Finlandais Taisto Mäki en 14’08″8. Lorsque les concurrents se disposèrent sur la ligne de départ, 20000 personnes se serraient autour du stade et, bien qu’il ait plu toute la matinée, le soleil revenu avait séché à point la cendrée pour qu’elle résiste à la poussée des pointes tout en restant douce à la foulée. Nilsson, au coup de pistolet, avait pris la tête pour 500 m, relayé par Arwidsson, camarade de club de Gunder qui s’était offert pour l’aider. Mais, bien que le champion criât sans cesse: «Plus vite ! Plus vite !», le train n’était pas assez sévère et il se retrouva seul avant même la fin du premier kilomètre. Personne ne put alors s’accrocher à sa foulée ample et légère. Sentant la réussite, la foule s’était levée et ses encouragements suivaient le coureur comme un grondement de tonnerre. Au passage des 3 miles (13’32″4), Hägg améliorait de trois secondes un record du monde qu’il venait de battre une première fois une semaine plus tôt. Déchaîné, il doublait les concurrents les uns après les autres. À l’entrée du dernier tour, il se mit dans la tête d’en avaler un dernier, Johansson, qui était quarante mètres devant lui, il n’y parvint pas pour deux petits mètres, mais cette chasse avait probablement été la clé de son exploit : 13’58″2. Gunder Hägg était ainsi le premier homme à courir 5000 m en moins de quatorze minutes ! Une minute d’éternité sépare Hägg d’Aouita, mais les deux hommes sont liés par l’exploit sportif. Comme le Marocain à Rome, le Suédois prétendit qu’il aurait pu faire beaucoup mieux encore à Göteborg… s’il avait eu de bons lièvres ! Il était passé au 800 m en 2’06 », au 1500 m en 4’03″5 et au 3000 m en 8’17″5. En 1942, Hägg avait réussi à battre dix records du monde en huitante jours, s’appropriant toute la gamme qui va du 1500 m au 5000 m. Seul le Finlandais volant Paavo Nurmi fit mieux jusqu’à ce jour, grâce au 10000 m, une distance qui n’a jamais été abordée par Hägg. Son record du 5000 m (13’58″2) allait tenir pendant douze ans, battu en 1954 seulement par Emil Zatopek (13’57″2). Comme Nurmi, Hägg fut disqualifié pour avoir accepté de l’argent de la part des organisateurs. Au fait, à combien s’élèvent les cachets d’Aouita à Rome ? Les temps ont bien changé autour de l’exploit sportif… !
Retour vers Pierre Délèze, qui effectue en ce début du mois d’août une reprise des compétitions, les trois fois sur 1500 m. Le 5 août il court à La Corogne (Espagne) en 3’38″57 pour une cinquième place. Ensuite le 9 août aux championnats suisses à Berne, au cours d’une finale qui oppose trois candidats à la victoire : Pierre Délèze (LC Zürich), Peter Wirz (ST Bern) et Markus Hacksteiner (TV Windish), dont on peut dire qu’ils sont à peu près de la même force. Il était évident que la course serait tactique : 57″39 au 400 m et 1’59″91 au 800 m par le Tessinois Marco Rapp qui reste en tête jusqu’à 200 mètres de l’arrivée. À ce moment-là, Délèze porte son attaque. À 50 mètres de la ligne, le recordman de la distance se rabat très bien à la corde pour fermer le passage à Hacksteiner qui tente de s’infiltrer. Coincé, ce dernier doit ralentir mais il repart entre Délèze et Wirz, qui fait les frais de l’opération. Et Hacksteiner coiffe encore Délèze sur le fil en 3’43″29 contre 3’43″32. Markus Hacksteiner appartient bien à l’avenir du 1500 m helvétique. Battu, mais pas vraiment déçu, tel est Pierre Délèze après cette finale du 1500 m : «À mi-ligne droite, j’ai pensé que Hacksteiner ne pourrait pas revenir, car je n’avais pas laissé le moindre espace libre à la corde. Mais le bonhomme est vraiment très fort. Il a réussi, finalement, à me déborder par l’extérieur. Au-delà de la péripétie, je suis néanmoins globalement satisfait de ce nouveau test. La forme vient, indiscutablement, et je pense que je serai au mieux dans trois semaines à Rome, pour les championnats du monde, où je m’alignerai sur 5000 m. D’ici là, je disputerai encore un 1500 m à Coblence, puis le 5000 m de Zurich, dans dix jours, pour mettre enfin sous toit ma limite de qualification qui est fixée à 13’25″00». Le 13 août à Coblence (Allemagne de l’Ouest), Pierre Délèze réussit une très belle course en 3’34″85, ce qui correspond au neuvième chrono de sa carrière. Ce superbe résultat ne lui permet toutefois pas d’établir la meilleure performance suisse de l’année. Cette perf, Markus Hacksteiner s’est chargé de la réaliser en pulvérisant son record personnel en 3’34″11 ! Pierre Délèze arrive en forme au bon moment, alors que se profile le meeting Weltklasse à Zurich, où il avait brillé l’an dernier en terminant deuxième en 13’16″00, juste devant Markus Ryffel en 13’16″28. Les deux stars du demi-fond helvétique sont bien présentes au Letzigrund, mais ce sera bien différent pour eux cette année. Ce 5000 m est gagné par l’Anglais Buckner, champion d’Europe et vainqueur en 13’10″47. Ryffel et Délèze essayent, eux, de se qualifier pour Rome, mais le Bernois termine totalement à la dérive, alors que le Valaisan, fortement à la tâche lui aussi, est chronométré en 13’27″84, alors que la limite est de 13’25″00. Qu’adviendra-t-il de Délèze et surtout de Ryffel qui a sombré en 13’51″52 ? Avant de connaître la sélection définitive pour Rome, Pierre Délèze se rend le 21 août à Berlin pour le meeting ISTAF. Là-bas, ça ne va pas forcément mieux avec un 3000 m bouclé en 7’56″45 pour une huitième place, loin derrière l’Allemand de l’Ouest Dieter Baumann, crédité de 7’40″25, meilleure performance mondiale de l’année. La Fédération sera finalement clémente avec les deux coureurs : ils seront du voyage pour Rome.
Les deuxièmes championnats du monde se déroulent du 28 août au 6 septembre 1987 à Rome (Italie). Plus de 1400 athlètes issus de 156 nations sont aux prises au stadio Olimpico. Parmi les faits marquants, le duel Carl Lewis vs Ben Johnson sur 100 m demeure l’événement planétaire par excellence. On assiste, naïvement, à un exploit fabuleux du Canadien, qui remporte la finale de ce 100 m en 9″83, record du monde battu de dix centièmes ! Il se fera pincer une année plus tard aux Jeux Olympiques de Séoul pour avoir pris du Stanozolol dans la période précédant sa victoire en 9″79 et il sera destitué par l’I.A.A.F. de ses titres et records le 20 janvier 1990. Du côté féminin, la Bulgare Stefka Kostadinova remporte le saut en hauteur en établissant un nouveau record du monde à 2,09 m. L’Américaine Jackie Joyner-Kersee réussit quant à elle le doublé au saut en longueur et à l’heptathlon. Du côté suisse, il y a quatre ans à Helsinki, la Suisse était rentrée bredouille de sa campagne mondiale. Seuls Stephan Niklaus, cinquième du décathlon, et Pierre Délèze, sixième du 1500 m, avaient obtenu un diplôme (classement dans les huit premiers). On peut raisonnablement penser qu’il en ira différemment cette fois et qu’après sept médailles olympiques et quatorze européennes, l’athlétisme helvétique devrait conquérir à Rome sa première médaille mondiale. Un fait est d’ores et déjà certain : dans la capitale romaine s’aligne l’équipe suisse la plus forte depuis plusieurs années. Le samedi 29 août, Werner Günthör doit faire face une fois de plus aux colosses Allemands de l’Est Ulf Timmermann et Udo Beyer, mais aussi à l’Américain John Brenner et surtout à l’Italien Alessandro Andrei qui est devenu le 12 août dernier l’homme le plus fort de la discipline en battant à Viareggio (Italie) le record du monde à trois reprises ! Alors que le record du monde était la propriété d’Ulf Timmermann avec 22,62 m, le policier Italien lance son poids à 22,72 m à son troisième essai, à 22,84 m au quatrième et à 22,91 m à sa cinquième tentative, tandis que son ultime essai est mesuré à 22,74 m. Andrei est archi favori devant son public, mais le public italien craint le géant Suisse. Il le siffle copieusement, mais Werner Günthör n’en a cure. Au contraire, cette attitude décuple ses forces, ce qui lui permet d’envoyer son poids à 22,23 m, record des championnats et surtout beaucoup trop loin pour que ses adversaires puissent répliquer. Günthör offre ainsi à la Suisse son tout premier titre mondial. Sublime ! Le mardi 1er septembre, Cornelia Bürki (LC Rapperswil-Jona) est admirable lors de la finale du 3000 m. La Soviétique Tatyana Samolenko gagne en 8’38″73 et elle devance la Roumaine Maricica Puica en 8’39″45 et l’Allemande de l’Est Ulrike Bruns en 8’40″31. Cornelia Bürki se classe à une remarquable quatrième place, à un minuscule centième du podium en 8’40″31 ! Le samedi 5 septembre, place maintenant à la finale du 1500 m des femmes avec à nouveau Cornelia Bürki et Sandra Gasser (ST Bern). Les deux coureuses ont terminé deuxième de leur série respective et il est permis cette fois d’espérer une médaille. La finale a été fantastique, d’une rare intensité, avec un finish épique à souhait. La Soviétique Tatyana Samolenko l’emporte en 3’58″56 et réalise le doublé. L’Allemande de l’Est Hildegard Ulrich-Körner termine deuxième en 3’58″67 et Sandra Gasser se pare de bronze en 3’59″06, alors que la Roumaine Doina Melinte échoue au quatrième rang en 3’59″27 et Cornelia Bürki se classe cinquième en 3’59″90. Ce superbe tableau est cependant noirci par l’annonce, à la fin du mois, de la disqualification de la Bernoise, après avoir fait l’objet d’un contrôle positif pour usage de méthyl testostérone. Elle sera suspendue deux ans par l’I.A.A.F. Mais il y a des zones d’ombre et le doute subsiste. Du coup Cornelia Bürki hérite d’une seconde quatrième place ! Dans le 5000 m des hommes, Markus Ryffel et Pierre Délèze sont en lice pour les séries le vendredi 4 septembre. Placé dans la première série, le Bernois a terminé neuvième en 13’33″07 et il ne disputera pas la finale de dimanche. Jamais encore il n’avait été sorti d’une grande compétition officielle de cette manière et il en était évidemment fort déçu : «Compte tenu de ma vitesse terminale du moment, je savais qu’il fallait prendre des risques, afin que le peloton soit le plus réduit possible à l’attaque du dernier tour. J’ai donc assuré ma part de travail pour qu’il en soit ainsi, mais sans succès. Nous étions encore trop nombreux, à la cloche, pour que je me fasse des illusions. J’ai bouclé les derniers 400 m en 59″0 alors qu’il m’est souvent arrivé de le faire en 54″0-55″0. Toute l’explication tient dans ces chiffres». Pierre Délèze, en revanche, a su prendre le bon wagon. Il a terminé troisième de la deuxième série en 13’24″07, après une course tactiquement fort bien menée. «J’aurais peut-être pu m’économiser un tout petit peu, étant donné que, dans le groupe de tête, nous étions tous assurés de la qualification. Mais il m’est arrivé tellement de bricoles en séries, par le passé, que j’ai préféré ne pas jouer au plus malin… Je suis donc satisfait de ma course. À Zurich et à Berlin, j’étais fatigué et j’espère que ça a donné le tour. J’étais en tout cas bien. Pas aussi facile que Ngugi, qui avait l’air de faire son jogging, mais bien. Reste maintenant à savoir comment je vais récupérer d’ici la finale de dimanche. Il n’y a en effet que deux jours entre les deux courses, contre trois l’an dernier à Stuttgart». Cette finale, le coureur Valaisan de Fribourg pressent qu’elle sera dominée par un trio formé d’Aouita, Ngugi et Buckner. «Je préférerais qu’elle se dispute sur des bases relativement lentes, mais je ne crois pas que ce sera le cas. Elle devrait tourner aux alentours de 13’10″0». Sauf que la prédiction de Pierre ne sera pas juste. En effet, la course a bel et bien évolué sur des bases assez lentes. Une course lente et tactique, puis une course au train. Tout était bon pour Saïd Aouita, le caïd du demi-fond mondial. Le petit Marocain a donc laissé faire ses adversaires, très empruntés. Le Kenyan John Ngugi, champion du monde de cross, a été le dindon de la farce. Il a tenté quelques à-coups pour décontenancer Aouita, mais il aurait fallu plus pour le désarmer. En passant au troisième kilomètre en 8’16″19, la course tarde encore à s’emballer. Elle ne s’accélère véritablement qu’à l’amorce du dernier kilomètre. Après avoir bien amorti, en queue de peloton, la seule véritable accélération de Ngugi, tout en début de parcours, Pierre Délèze s’est à ce moment-là intégré au groupe de tête, prêt à saisir toutes les opportunités. Dans les deux derniers tours, le rythme imprimé est idéal pour Pierre. Idéal au point que le Valaisan semble être en mesure de réaliser quelque chose de grandiose. Aouita est parti à 300 mètres de l’arrivée et c’est le Portugais Domingos Castro qui est le plus prompt à réagir. Bien lui en prend car il réussit à tenir son rang. La dernière ligne droite permet à Saïd Aouita de remporter un titre logiquement et largement mérité en 13’26″44. Castro a suivi la manœuvre et il s’empare de la médaille d’argent en 13’27″59. À soixante mètres du but, Pierre Délèze est encore en troisième position et on croit que ça va le faire pour lui. Mais à dix mètres de la ligne d’arrivée il voit l’Anglais Jack Buckner le déborder tel un Boeing de la British Airways, et lui souffler une médaille de bronze qu’il croyait déjà attachée à son cou, Pierre Délèze laisse sa main gauche aller à un geste de dépit, bien compréhensible. Si près du but. Si près du bonheur. Mais non : il échoue à la place la plus ingrate en 13’28″07 contre 13’27″74 à Buckner.
Sur le fil, le mot de Cambronne ne peut pas lui échapper et quelques cônes placés sur la piste font les frais de sa rage et de sa déception. «Ce soir, je suis certainement déçu d’être passé si près de la médaille de bronze. Mais dans deux ou trois semaines, je me dirai sans aucun doute que cette quatrième place est déjà exceptionnelle. C’est en tout cas le meilleur résultat de ma carrière». Pierre Délèze n’a rien à se reprocher. Sa course a été empreinte de bon sens. «Au fil des tours, j’ai compris que cette course serait parfaitement dans mes cordes. Dans un premier temps, j’ai essayé d’amortir les éventuels à-coups, tout en restant très attentif à ce qui se passait à l’avant du peloton. En fait, je n’ai jamais eu le sentiment de prendre le moindre risque. À 200 mètres de l’arrivée, j’ai essayé de suivre Aouita mais j’étais déjà à 99% de mes possibilités, ce qui ne m’a pas permis de repartir lorsque Buckner a attaqué. Pourtant je peux dire que j’ai donné le maximum. Je réalise la course idéale. C’est très rare. Je n’ai rien à me reprocher, même pas d’avoir raté une médaille. Simplement les autres étaient plus forts. Il me manquait peut-être une ou deux bonnes courses dans les jambes». Après sa performance mitigée de Zurich, Pierre Délèze s’est parfaitement repris en allant se reposer à Saint-Moritz, évitant le stress et l’ambiance de ces Mondiaux. «Je n’étais pas parti pour faire une médaille comme à Stuttgart, mais j’étais prêt à lutter pour chaque place». En signant la meilleure performance de sa déjà longue carrière, Pierre Délèze a atteint un nouveau palier. Et à vingt-neuf ans, il a encore bien des courses à gagner.
Loin de l’excitation des championnats du monde du stadio Olimpico, c’est dans un autre stade Olympique, celui de la Pontaise à Lausanne, que se déroule la dernière compétition sur piste de Pierre Délèze. Pour ce second meeting Athletissima sur les hauteurs de la ville, il y a la grande foule : 19000 spectateurs ! Carl Lewis est de la partie et Ben Johnson aussi, mais les deux sprinters ne vont pas s’affronter, le Canadien demandant à courir sur… 60 m ! Deux records suisses tombent ce soir-là. L’un est largement médiatisé, c’est celui d’Anita Protti (Lausanne-Sports) qui améliore le record suisse du 400 m en 52″44. L’autre passe inaperçu aux yeux de la presse, c’est celui de Pierre Délèze sur 2000 m. Dans une course aux accents très anglophones, c’est l’Américain Jim Spivey qui s’impose en 4’52″44 devant une armada britannique. Pierre Délèze s’est bien accroché à ce train et il finit sa course en trombes en 4’54″46. Jean-François Pahud ne manque pas de venir le féliciter d’avoir battu un vingt et unième record suisse !
Le 26 septembre, pour la troisième fois, Pierre Délèze participe au 5th Avenue Mile. Tous les habitués sont présents et bien motivés, à commencer par Peter Elliott qui gagne en 3’53″52. Derrière l’Anglais, de grands noms viennent s’inscrire au palmarès de cette septième édition puisqu’on retrouve dans l’ordre Marcus O’Sullivan, Jim Spivey, Frank O’Mara, John Walker, Steve Ovett, José Manuel Abascal, Ray Flynn, Pierre Délèze, Ross Donoghue, Sydney Maree, Jama Aden et Dieter Baumann. La saison 1987 s’achève sur cette note. Pierre Délèze part en vacances, puis va commencer à préparer une nouvelle saison, celle de ses trente ans, mais surtout celle qui le verra prendre part à ses troisièmes Jeux Olympiques !
PAB
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