ATHLE.ch VINTAGE | BIOGRAPHIE PIERRE DÉLÈZE / EPISODE 3 | Au milieu des années '70, un jeune et prometteur coureur de demi-fond nommé Pierre Délèze intègre les cadres nationaux dirigés par Jean-François Pahud. C'est le début d'une fantastique histoire qui va conduire le Valaisan jusqu'au top niveau du demi-fond mondial. ATHLE.ch VINTAGE propose de revivre la carrière exceptionnelle du plus magnifique miler de l'Histoire de l'athlétisme suisse. Le troisième des dix-huit épisodes de cette biographie est consacré à la saison 1978 de Pierre Délèze, sa toute première en élite.

À un peu plus de dix-neuf-ans, Pierre Délèze s’apprête à faire le grand saut et à vivre la vraie vie athlétique. Tout auréolé de son titre de sportif valaisan de l’année, Pierre va l’étrenner de la plus belle des façons le 10 décembre 1977 à l’ocCASion de la neuvième Course de Noël à Sion. Il y a du beau monde sur la ligne de départ, comme l’anglais Presland, Albrecht Moser (ST Bern) ou Blaise Schull (GG Bern), mais Pierre Délèze est beaucoup trop fort pour eux. Il s’impose facilement au terme des 7 km en 20’29″3, record du parcours pulvérisé. Voilà de quoi lancer idéalement sa saison 1978, dont le point d’orgue se situera à Prague lors des championnats d’Europe. Les minimas pour le 1500 m ont été fixés à 3’39″0 par la Fédération Suisse d’Athlétisme (F.S.A.). Cependant la limite de l’Association Européenne d’Athlétisme (A.E.A) pourrait être prise en compte pour Pierre, puisqu’il est espoir (moins de 23 ans). Dans ce cas, il faudra courir en 3’40″6 pour se qualifier. Dans un de ses nombreux articles parlant du coureur sédunois à cette époque, le journal « Le Nouvelliste » titrait : «Un œil sur la matu, un œil sur Prague». De l’aveu même de Pierre, il y aurait en fait fallu plusieurs yeux, tant cette période était difficile pour lui. Si la grosse débauche d’énergie pour les entraînements était bien gérée, il fallait aussi assurer en parallèle le bon déroulement de la maturité commerciale qu’il était en train de passer au Lycée-Collège de Sion.
La saison 1978 sur piste a débuté par quelques petites compétitions comme la Soirée Rivella du 24 mai à Lausanne avec un 600 m en 1’22″05, comme les championnats suisses de relais le 4 juin à Zoug pour un 4 x 1500 m où le CA Sion a terminé au quatrième rang derrière les grosses équipes bernoises de la ST Bern, du LV Langenthal et de la GG Bern ou comme cet autre meeting le 11 juin à Lausanne avec un 800 m en 1’52″18. Le stade Pierre-de-Coubertin à Vidy devient un lieu où Pierre Délèze se sent bien et c’est tout naturellement par le meeting international de Lausanne que la saison de Pierre est véritablement lancée, le 13 juillet. En terminant au sixième rang de ce tout premier 1500 m, le coup a bien failli être le bon car le chrono réalisé, un record personnel en 3’40″70, se situe à un dixième seulement de la limite pour les Européens de Prague. La trajectoire semble d’autant plus juste avec un nouveau record personnel sur 1000 m réalisé six jours plus tard, encore à Vidy, en 2’25″37. Au moment d’entamer les compétitions du mois d’août, Pierre Délèze n’est toujours pas assuré de participer aux championnats d’Europe. La préparation est censée le mener au Saint-Graal d’ici le meeting Weltklasse à Zurich. Mais avant cela, Pierre a couru un nouveau 800 m le 2 août 1978 à Vidy en 1’52″79. L’événement de cette course réside dans le fait que Pierre s’est fait battre par un autre valaisan, Paul Vetter (CA Sion), qui a pulvérisé son record en 1’52″39. Sans s’affoler, Pierre prend part trois jours plus tard à Berne à un 3000 m bouclé en 8’05″7, son deuxième meilleur chrono. Le samedi 12 août permet de vivre aux championnats suisses à Saint-Gall une passionnante finale du 1500 m. Au stade du Neudorf, Pierre Délèze doit affronter une nouvelle fois Bernhard Vifian; mais le lucernois du ST Bern souffre d’une tendinite et voit ses chances de se qualifier pour Prague s’évanouir les unes après les autres. Pour l’aider dans sa quête, son camarade de club Markus Ryffel décide de jouer les lièvres de luxe. Il le fait merveilleusement bien, mais pas pour Vifian qui lâche prise après 800 mètres de course déjà. Pierre Délèze – qui avait fort bien compris tout le bénéfice qu’il pourrait retirer de cette opération – est bien là dans la foulée de Ryffel, de même que l’étonnant Bruno Kuhn (LC vom Stein Baden). C’est même ce dernier qui attaque à 300 mètres de l’arrivée. Tout d’abord surpris, le duo Markus et Pierre refait rapidement le terrain qu’ils venaient de perdre, mais dès le début de la dernière ligne droite, Pierre lance un magnifique sprint qui lui permet de s’imposer de façon irrémédiable en 3’42″34 contre 3’44″22 à Ryffel. Ce premier titre national en élite est une très belle réussite pour Pierre, qui va pouvoir maintenant s’attaquer à ces fameux minimas pour Prague. Le meeting Weltklasse a lieu le mercredi 16 août à Zurich. Dans un Letzigrund bondé et qui n’a d’yeux que pour la superstar Henry Rono – le Kenyan est invaincu cette année du 3000 m au 10000 m, en passant par le 3000 m steeple – le 1500 m ne tient pas ses promesses pour Pierre Délèze. La course est partie trop lentement et, malgré un joli finish, Pierre a coupé la ligne d’arrivée au troisième rang en 3’41″51. C’est évidemment insuffisant pour espérer aller à Prague dans deux semaines. Heureusement, Délèze et Vifian ont droit à une dernière chance lors du meeting Mémorial Ivo Van Damme à Bruxelles. Mais deux jours après Zurich, est-ce que les deux hommes auront pu récupérer de leurs efforts ? La réponse est très certainement affirmative car le Bernois, à nouveau en forme, court en 3’39″29. Quant à Pierre, il frôle la catastrophe : il est d’abord victime d’un coup de poing malencontreux, puis il doit courir à moitié déchaussé ! Un peu débordé dans la dernière ligne droite, Délèze passe la ligne d’arrivée en septième position, mais dans un temps inconnu car le chronométrage est tombé en panne. Heureusement les organisateurs du meeting belge, mis au courant de l’importance de l’enjeu, ont réussi à retrouver le temps du Valaisan : 3’39″82, nouveau record personnel battu de huitante-huit centièmes. Evidemment, ce n’est pas la limite fixée par la F.S.A., mais c’est tout de même clairement la limite internationale. Sa jeunesse, sa classe, son esprit combatif et sa forme ascendante ont finalement fait pencher la balance en sa faveur. Pierre Délèze est donc retenu pour les championnats d’Europe, tout comme Rolf Gysin et Bernhard Vifian d’ailleurs. Cette clémence de la part de la Fédération a été saluée par tous comme étant un choix intelligent !

Les douzièmes championnats d’Europe d’athlétisme s’ouvrent le 29 août 1978 à Prague pour six jours de compétition. L’ambiance dans le stade Vezen-Rosicky est assez froide, mais les luttes sur la piste sont très intenses et les performances sont de tout premier ordre. On en veut pour preuve le record du monde de la Soviétique Vilma Bardauskiene au saut en longueur avec 7,09 m lors des qualifications et celui égalé de l’Italienne Sara Simeoni au saut en hauteur avec 2,01 m. Vingt-six records des championnats sont battus, ce qui témoigne de la grande qualité rencontrée lors de cette compétition. L’entrée en lice de Pierre Délèze pour les séries du 1500 m a lieu le quatrième jour de compétition, le vendredi 3 septembre. Le mode de qualification est clair : les trois premiers de chacune des trois séries, plus les trois meilleurs temps se qualifient pour la finale qui aura lieu deux jours plus tard. Dans la première série, l’Irlandais Eamonn Coghlan a été le plus rapide en 3’39″98. Il devance de peu l’Anglais David Moorcroft (3’40″0) et l’Allemand de l’Est Olaf Beyer (3’40″1), tous deux qualifiés à la place. Derrière, l’Allemand de l’Ouest Thomas Wessinghage (3’40″1) et le Français José Marajo (3’40″6) ont réussi un chrono qui va les qualifier au temps. Pas de chance par contre pour Bernhard Vivian qui termine septième en 3’42″5 et se voit déjà éliminé. La deuxième série est allée sur un rythme plus lent et seuls les trois premiers de cette course ont pu se qualifier. C’est l’Anglais Steve Ovett qui s’est imposé en 3’42″94 devant l’Allemand de l’Est Jürgen Straub (3’43″1) et Rolf Gysin (3’42″2), qui a coiffé sur la ligne le Belge Marc Nevens, crédité également de 3’43″2. La troisième série, celle de Pierre Délèze, laisse un sérieux atout aux viennent-ensuite car ils savent qu’il faut courir en 3’40″0 pour être sûr de passer. Cette série s’est courue aussi vite que la première. Le Finlandais Antti Loikkanen remporte la victoire en 3’39″66. Il devance l’Anglais John Robson (3’40″0) et le Français Francis Gonzalez (3’40″4) Derrière, les places pour la qualification deviennent très chères car tout est serré, au dixième près. Cela concerne directement Pierre Délèze, qui a réussi une très belle course avec une dernière ligne droite impressionnante. Le bémol c’est qu’il a attaqué un peu tard et n’a pas pu rejoindre le Tchécoslovaque Jozef Plachy qui se classe quatrième en 3’40″6 et c’est lui qui reçoit le dernier ticket pour la finale. Pierre n’est resté qu’à un souffle de Plachy puisqu’il termine cinquième en 3’40″7. Il n’a donc manqué qu’un dixième pour que Pierre puisse se qualifier lui aussi pour la finale. L’occasion était pourtant bien réelle, mais rien n’y fit. Il termine treizième de ces championnats d’Europe, ce qui est satisfaisant pour une première participation à ce niveau. Quant à la finale, elle a été dominée par l’Anglais Steve Ovett qui a couru en 3’35″59 pour remporter son premier titre européen. Suivent à une seconde Eamonn Coghlan en 3’36″57 et David Moorcroft en 3’36″70. Quant au Tchécoslovaque Jozef Plachy, il a terminé dernier de cette finale en 3’42″2.

1. Steve Ovett GBR 3’35″59
2. Eamonn Coghlan IRL 3’36″57
3. David Moorcroft GBR 3’36″70
4. Thomas Wessinghage FRG 3’37″19
5. Antti Loikkanen FIN 3’37″54
6. José Marajo FRA 3’38″20
7. Jürgen Straub GDR 3’38″88
8. John Robson GBR 3’39″6
9. Olaf Beyer GDR 3’39″7
10. Francis Gonzalez FRA 3’40″1
11. Rolf Gysin SUI 3’41″0
12. Jozef Plachy TCH 3’42″2
13. Pierre Délèze SUI 3’40″7

Au niveau de l’équipe suisse, ces championnats d’Europe sont une belle réussite avec la fantastique médaille d’argent de Markus Ryffel (ST Bern) acquise au terme d’un 5000 m au final épique : à neuf petits centièmes du vainqueur l’Italien Venanzio Ortis et à égalité avec le Soviétique Aleksandr Fedotkin ! Peter Muster (LC Zürich) s’est emparé d’une remarquable médaille de bronze au 200 m en 20″64 derrière l’intouchable Italien Pietro Mennea (20″16) et l’Allemand de l’Est Olaf Prenzler (20″61). Deux belles quatrièmes places sont décrochées par Franz Meier (LV Wettingen-Baden) au 400 m haies en 49″84 et par le relais 4 x 400 m composé de Rolf Strittmatter (LC Zürich), Peter Haas (OB Basel), Konstantin Vogt (GG Bern) et Rolf Gisler (LV Winterthur); dans les deux cas il n’aura manqué que quelques centièmes pour atteindre le podium. Ce bilan est excellent si l’on connaît le palmarès helvétique de ces vingt dernières années dans cette compétition : le bronze de Bruno Galliker (TV Unterstrass Zürich) sur 400 m haies en 1958 à Stockholm, le bronze du 4 x 400 m en 1962 à Belgrade, rien en 1966 à Budapest, le titre sur 200 m et le bronze sur 100 m de Philippe Clerc (Stade Lausanne), ainsi que l’argent au pentathlon de Meta Antenen (LC Schaffhausen) en 1969 à Athènes, l’argent, toujours elle, en longueur en 1971 à Helsinki et rien en 1974 à Rome. Les jeunes sont mis en avant dans cette équipe nationale et cette politique va porter ses fruits pour Pierre Délèze. La déception de ne pas avoir pu atteindre la finale a été assez grande, mais Pierre se dit que le meilleur reste à venir. Cette première saison en élite est en tout point remarquable et il aurait tort de ne pas vouloir surfer sur cette vague qui l’a conduit en 1978 vers quelques jolis sommets du 1500 m avec le titre suisse et la qualification pour les championnats d’Europe. Quant à la performance, ses 3’39″82 le situent juste derrière Rolf Gysin (3’39″04), Bernhard Vifian (3’39″29) et Markus Ryffel (3’39″3). Ce premier chrono sous les 3’40 » n’est qu’une étape pour Pierre. Il fait surtout office de plate-forme qui devrait lui permettre de s’envoler vers des sphères encore inconnues de tout coureur de quinze cents mètres en Suisse. Cette recherche de la plénitude athlétique doit mener Pierre Délèze vers un objectif désormais avoué : les Jeux Olympiques 1980 à Moscou. Le chemin est encore long, mais il a bien été entamé et, ce qui ne gâche rien, il est bien balisé par un entraîneur qui sait exactement où il va. C’est dans cette optique que Pierre Délèze prend part à une ultime course le 6 septembre à Lausanne sur… 5000 m. Il s’agit là d’une petite projection sur le long terme, une sorte de curiosité pour voir ce qui se passe derrière le rideau, juste pour voir. Mais pour Pierre ce jour-là ce ne fut pas « Veni, Vidi, Vici » comme il en a l’habitude pour une course régionale, mais plutôt « Veni, Vidy, Perdidi » ! En effet au stade Pierre-de-Coubertin, Michel Délèze – le grand frère – est pour une fois à l’honneur grâce à ses 14’34″27. Michel a fait un magnifique coup double en battant le record valaisan et en battant son Pierrot de frère de quatre dixièmes ! L’histoire ne le dit pas, mais on aimerait bien savoir comment les deux frangins se sont chambrés à l’issue de cette course… ?

PAB

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Pierre Délèze

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