ATHLE.ch VINTAGE | BIOGRAPHIE PIERRE DÉLÈZE / EPISODE 8 | Au milieu des années '70, un jeune et prometteur coureur de demi-fond nommé Pierre Délèze intègre les cadres nationaux dirigés par Jean-François Pahud. C'est le début d'une fantastique histoire qui va conduire le Valaisan jusqu'au top niveau du demi-fond mondial. ATHLE.ch VINTAGE propose de revivre la carrière exceptionnelle du plus magnifique miler de l'Histoire de l'athlétisme suisse. Le huitième des dix-huit épisodes de cette biographie est consacré à la saison 1983, avec pour point d'orgue les championnats du monde à Helsinki.

La saison des courses sur route en automne 1982 voit Pierre Délèze réaliser de bonnes séances de résistance qui secouent un peu son rythme et qui permettent d’élever son travail d’endurance. Dès la mi-novembre, il enchaîne quatre courses en ville de très bonnes factures. Sur des parcours entre sept et dix kilomètres, Pierre remporte d’abord la Corrida Bulloise dans le temps record de 23’58″0, puis le 4 décembre il termine deuxième à la Course de l’Escalade à Genève. Une semaine plus tard, le 11 décembre, la Course de Noël à Sion met aux prises Pierre Délèze et Markus Ryffel. Malgré le mauvais temps, le duel est absolument superbe et il tourne à l’avantage du Bernois avec quatre secondes d’avance sur le Valaisan. L’année 1982 se termine par une victoire indiscutable à la Silvesterlauf de Zurich.
Pour la saison 1983, il n’y a ni saison en salle ni saison de cross au programme. L’entraînement est au quotidien avec l’envie de passer un cap. L’objectif principal de cette saison se déroulera au mois d’août avec la première édition des championnats du monde à Helsinki (Finlande). En parallèle, la chasse aux records pourrait être fructueuse grâce aux nombreux meetings européens pour lesquels le Valaisan est systématiquement invité. Cinq mois durant, Pierre s’attèle à faire progresser ses points forts et ses points faibles. Une première compétition a lieu le 23 mai 1983 lors du meeting national de Pentecôte à Zofingue. Sous la pluie, Pierre réussit une fort belle performance sur 800 m en 1’49″43, simplement la troisième de sa carrière. Toujours fidèle à l’équipe suisse pour des matchs triangulaires qui, il faut bien l’avouer, sont de moins en moins intéressants, Pierre Délèze a pourtant dû déclarer forfait, à la suite du réveil d’une douleur à l’arrière du genou, qui l’avait déjà handicapé ce printemps. À l’instar du Valaisan, les vedettes du demi-fond anglais (Sebastian Coe, Steve Ovett, Steve Cram), ainsi que Markus Ryffel ne sont pas non plus du rendez-vous que ces deux nations ont pris avec les Finlandais à Lappeenranta. La courte période de soins va lui permettre d’être à nouveau en bonne condition le 24 juin à Paris pour un meeting qui lui sourit habituellement toujours. Pour son premier 1500 m de la saison, il s’agit surtout de régler l’affaire concernant les minimas pour les championnats du monde (3’37″00). Et comme il y a du beau monde à Charléty, l’objectif devrait être atteint sans problème. Cette course va avoir une portée à l’échelle mondiale car elle marque la rentrée internationale de l’Anglais Sebastian Coe après une longue période de blessures. S’il a choisi de s’aligner à Paris face à une belle concurrence, c’est parce qu’il se sent prêt. Pourtant il a dû déchanter face à José Manuel Abascal, le miler Espagnol qui devient de plus en fort. Les deux hommes ont débouché ensemble dans la dernière ligne droite et c’est Abascal qui a eu le dernier mot en 3’34″84, après un impressionnant coude-à-coude. Coe, crédité de 3’35″17, n’a pas à rougir de sa performance. Mais sa défaite pourtant suscite quelques questions, plus d’ordre psychologiques que physiques. En clair, ses adversaires seront sans doute plus nombreux à se dire que, finalement, le Britannique n’est nullement invincible. Si c’est la réalité du jour à Paris, il faudra aussi s’en souvenir lors d’autres occasions. Derrière le duo Abascal-Coe, c’est Pierre Délèze qui s’adjuge la troisième place, après une course toute d’intelligence. À 200 mètres du but il se trouve avec les deux hommes, mais il doit lâcher prise dans l’ultime virage. Le contrat est pourtant largement rempli pour le Valaisan qui a réussi 3’36″47 et ainsi validé son ticket pour Helsinki; c’est toujours un souci de moins. «Pour tout dire, la course a été dure car c’est la première fois depuis le début de la saison que je courais sur un tel rythme. C’est en fait un cap à passer. Je pense que je serai mieux à mon aise dans deux jours à Edimbourg. Le 26 juin en Ecosse, Pierre retrouve la concurrence habituelle sur un mile et il s’en sort à nouveau bien puisqu’il termine également troisième en 3’56″17 derrière l’Américain Sydney Maree, qui a gagné en 3’51″48 et qui a bien repoussé le retour de l’Anglais Graham Williamson (3’52″01), mais devant le Néo-Zélandais John Walker (3’56″42). Le chrono de Pierre n’est pas celui qu’il avait imaginé, mais il a le mérite de montrer qu’il est dans le coup face aux meilleurs athlètes mondiaux. Mine de rien, ça permet de marquer quelque peu les esprits de chacun de ses adversaires en vue de la finale mondiale du mois d’août. Dans cette optique, il va jouer un coup parfait le 30 juin à l’occasion du meeting international de Lausanne. Prévu initialement sur 3000 m, Pierre Délèze s’aligne finalement sur 1500 m. La course est merveilleusement lancée par le Français Dien, qui passe en 55″57 au 400 m et en 1’54″95 au 800 m. On croit alors qu’il va se relever, mais il n’en est rien. Le vaillant tricolore continue de plus belle, suivi par l’Espagnol José Luis Abascal, alors que Pierre Délèze, longtemps dangereusement enfermé parvient à se dégager et à revenir en troisième position. À 200 mètres de l’arrivée, le Valaisan attaque sans pouvoir passer. Mais il récidive à l’entrée de la ligne droite et s’impose sous les ovations du public dans l’excellent temps de 3’35″22, le quatrième chrono de sa carrière et la septième performance mondiale de la saison. Fort de ce succès, Pierre débarque le 4 juillet à Stockholm pour un nouveau 1500 m qu’il termine au quatrième rang en 3’37″23 derrière l’Américain Jim Spivey en 3’36″94, l’Irlandais Ray Flynn en 3’37″03 et le Néo-Zélandais John Walker en 3’37″18. Pierre a avoué avoir un peu de fatigue dans les jambes. Il va pouvoir remettre les choses en place lors de son camp d’entraînement en Haute-Engadine, où il s’agira de peaufiner au mieux ce qui a bien commencé cette saison car le jeu semble favorable à Pierre cette année.
Le retour en plaine à la fin du mois de juillet passe par les championnats suisses à Frauenfeld. Comme l’an dernier, Pierre Délèze s’aligne sur 800 m et il va devoir lutter ferme pour obtenir une médaille. En effet, le niveau est toujours un poil plus vite que ses capacités de vitesse en la matière. C’est Peter Wirz (ST Bern) qui s’impose en 1’49″47, devant Christoph Ulmer (TV Binningen) en 1’49″61, alors que Pierre Délèze doit partager la troisième place avec Reinhold Studer (TV Naters) en 1’50″02. Les deux courses suivantes seront des tests sur des distances hybrides. Le 29 juillet, Pierre prend part au Neufeld à un 1000 m. Dans la foulée du Brésilien Joachim Cruz, qui boucle ses deux tours et demi de piste en 2’15″28, sixième performance mondiale de tous les temps, Pierre Délèze est chronométré en 2’16″87, soit un nouveau record suisse battu de près d’une seconde et qui prouve que le Valaisan est en grande forme à une semaine des championnats du monde. Cette impression est confirmée le 3 août, toujours à Berne, mais cette fois sur un 2000 m. Par quinze degrés au stade du Wankdorf, Pierre Délèze a battu le record suisse en 4’56″51, l’ancienne marque appartenant à Markus Ryffel en 4’59″54 depuis 1978. «Tout fut parfait et maintenant je vais me contenter de faire de l’entretien jusqu’au 12 août, date des séries du 1500 m des Mondiaux».

Les premiers championnats du monde ont lieu du 7 au 14 août 1983 à Helsinki (Finlande). Oui, il a fallu attendre 1983 pour que l’athlétisme évolue enfin vers un rendez-vous de format mondial autre que les Jeux Olympiques. Certes il y a depuis 1977 la Coupe du Monde, mais cette compétition par équipes continentales ne concerne que très peu d’athlètes. Cette réforme, on la doit au Président de l’I.A.A.F. l’Italien Primo Nebiolo, en poste depuis 1981. Bravo à lui pour cette initiative, logique, mais qui fallait mettre en place dans un monde athlétique relativement conservateur. Voici donc les premiers championnats du monde d’athlétisme et on ne va pas bouder notre plaisir car pratiquement toutes les stars du sport olympique numéro 1 sont présentes en Finlande. En tête Carl Lewis, le phénomène Américain qui aspire à égaler Jesse Owens en obtenant lui aussi quatre médailles lors des Jeux Olympiques dans un an à Los Angeles. À Helsinki, Lewis va faire main basse sur le 100 m, la longueur et le 4 x 100 m, mais il va s’abstenir de participer au 200 m, prétextant qu’il faisait un peu froid. Il a simplement voulu réserver l’exploit des quatre médailles d’or pour les Jeux Olympiques, soit un cadre bien plus prestigieux que ces championnats du monde naissants. Dans les autres disciplines, c’est tout simplement de la folie. Outre le triplé de Carl Lewis (10″07 au 100 m, 8,55 m en longueur et 37″86 au 4 x 100 m, record du monde avec Emmit King, Willie Gault et Calvin Smith), on a pu assister au sacre avec un lacet de chaussure détaché de l’Américain Edwin Moses sur 400 m haies en 47″50, aux débuts prometteur du Soviétique de vingt ans Sergueï Bubka au saut à la perche avec une victoire à 5,70 m ou aux efforts d’Hercule de l’Anglais Daley Thompson qui a remporté le décathlon avec 8’666 points tout en repoussant les vaillants assauts des deux Allemands de l’Ouest Jürgen Hingsen et Siegfried Wentz. Chez les femmes, les Allemandes de l’Est Marlies Göhr et Marita Koch ont réussi le doublé sur 100 m en 10″97 et 11″02. Cette dernière a ensuite battu de six centièmes la Jamaïcaine Merlene Ottey sur 200 m en 22″13. Deux doublés ont éclaboussé cette compétition : Le 400 m et le 800 m sont revenus à la Tchécoslovaque Jarmila Kratochvilova avec un record du monde au 400 en 47″99 et un non moins excellent 1’54″68 sur 800 m. L’autre doublé, nettement plus gracieux, est à mettre au compte de l’Américaine Mary Decker sur 1500 m en 4’00″90 et sur 3000 m en 8’34″62. Dans les sauts, le super duel entre la revenante Allemande de l’Ouest Ulrike Meyfahrt et la Soviétique Tamara Bykova est revenu à la Tsarine avec 2,01 m contre 1,99 m à la championne olympique de Munich en 1972, tandis que la jeune Allemande de l’Est de dix-huit ans Heike Daute a damné le pion à la Roumaine Anisoara Cusmir, qui venait pourtant de battre à trois reprises le record du monde cette année avec 7,21 m, 7,27 m et 7,43 m ! A Helsinki, la jeune Thuringienne a sauté 7,27 m contre 7,15 m à sa rivale des Carpates. Enfin le public finlandais en a eu pour son argent avec le sacre de leur star Tiina Lillak au javelot avec 70,82 m. Au classement des médailles, surprise, les Etats-Unis ont été tenus en échec par le bloc de l’Est :
1. Allemagne de l’Est 22 médailles (10-7-5)
2. Etats-Unis 24 médailles (8-9-7)
3. Union Soviétique 23 médailles (6-6-11)
Il faut comprendre que ce classement est très important à une année des Jeux Olympiques de Los Angeles. Les Etats-Unis, privés des JO de Moscou en 1980, se doivent de réagir s’ils veulent maintenir leur suprématie sur l’athlétisme mondial.
Le 1500 m de ces championnats du monde a été l’une des épreuves phares car à l’exception de Sebastian Coe, tout le gotha mondial était présent. Chaque course engendre une fantastique bagarre et à chaque fois un ou deux grands noms passent à la trappe. Pour Pierre Délèze, le spectre de Prague et de Moscou est toujours quelque part présent dans son esprit. Mais un homme averti en vaut deux, dit-on, Pierre a cette fois-ci géré ses affaires avec la plus grande des maîtrises. Le 12 août, il prend part à la première série en compagnie d’athlètes très haut cotés, mais il ne tremble pas en remportant la course en 3’42″28 devant l’Américain Sydney Maree en 3’43″13, l’Allemand de l’Ouest Uwe Becker en 3’43″18 et l’Irlandais Ray Flynn en 3’43″27. Seuls les quatre premiers étant qualifiés pour les demi-finales, on a ainsi vu le Soviétique vice-champion d’Europe Nikolay Kirov être éliminé d’entrée en 3’43″77. La deuxième série on a vu la victoire de l’Anglais Steve Cram, le favori pour le titre selon beaucoup d’observateurs. Il a dominé le Marocain Saïd Aouita, l’Irlandais Frank O’Mara et le Néo-Zélandais John Walker. Le Suisse Peter Wirz (3’41″69) et le Français Philippe Dien (3’43″15) n’ont pas eu droit au chapitre de la qualification. La troisième série, très indécise, a permis à l’Allemand de l’Est Andreas Busse de dicter sa loi en 3’38″65, devant l’Anglais Steve Ovett en 3’39″00, le Yougoslave Dragan Zdravkovic en 3’39″18 et le Tchécoslovaque Jan Kubista en 3’39″20. Cette série a été rapide et on retrouve qualifiés pour les demi-finales au temps l’Américain Tom Byers, le Belge Eddy Stevens et l’Italien Stefano Mei. Pas de chance en revanche pour le Français Pascal Thiébaut. La quatrième et dernière série a été encore plus vite et elle a vu l’Américain Steve Scott s’imposer en 3’37″87; il devance l’Espagnol José Manuel Abascal, l’Italien Claudio Patrignani et l’Anglais Graham Williamson. Trois autres coureurs ont pu se qualifier au temps : l’Algérien Abderrahmane Morceli, l’Autrichien Robert Nemeth et le Kenyan Mike Boit, alors que le Finlandais Antti Loikkanen a été éliminé. Le lendemain, le 13 août, deux demi-finales sont au programme dont les quatre premiers de chaque course passent en finale, plus les quatre meilleurs chronos. La première demi-finale va très vite sous l’impulsion de Steve Scott et de Saïd Aouita qui terminent sur la même ligne en 3’36″43. L’étonnant Jan Kubista se classe troisième en 3’37″12 et c’est Uwe Becker qui s’adjuge la dernière place qualificative en 3’37″27. La deuxième demi-finale a des odeurs soufre pour quelques favoris car ils sont au moins sept pour quatre places, dont bien entendu Pierre Délèze. Longtemps en queue de peloton, Pierre a surgi au bon moment. À l’appel de la ligne droite, il est en tous cas présent, dans la foulée de Steve Ovett, lièvre sur lequel on peut se fier en pareille circonstance. Contrairement à Sydney Maree, qui perd complètement pied dans une course menée à très bon train. Finalement c’est Steve Cram qui coupe la ligne d’arrivée en premier en 3’35″77, devant Steve Ovett en 3’36″26, José Manuel Abascal en 3’36″35 et Pierre Délèze, magnifique quatrième en 3’36″37. Grâce à leur bon chrono, John Walker (3’36″52), Dragan Zdravkovic (3’37″31) et Mike Boit (3’37″75) ont également obtenu le droit d’aller en finale, tout comme Andreas Busse qui a eu le meilleur temps des viennent-ensuite de la première série (3’35″7). Ça n’a donc pas passé pour Sydney Maree, pourtant très en forme en début de saison, mais aussi pour José Luis Gonzalez, qui avait été excellent ces trois dernières saisons. Pierre Délèze s’est donc offert ce droit royal de courir la finale du 1500 m des championnats du monde, ceci avec une autorité qui a confirmé ses excellentes dispositions du moment. Le Valaisan n’était pourtant qu’à moitié satisfait de sa course : «Pour dire vrai, je ne me suis pas senti très bien, moins bien par exemple que lors de ma victoire du meeting de Lausanne. Nous avons passé au 800 m en 1’58″0, mais, si je m’en étais tenu à mes impressions personnelles et physiques, j’aurais plutôt dit 1’55″0. Cela dit, je ne me suis jamais fait trop de souci, car courant en deuxième série, j’avais pu voir la première et tout permettait de penser que les six premiers de ma course seraient qualifiés, les quatre premiers à la place, les deux suivants au temps». Les événements ont confirmé cette analyse, à la différence près que Délèze, prêt à spéculer, s’est malgré tout qualifié par la grande porte, comme l’on dit, à la place. Maintenant que va-t-il pouvoir faire dans cette finale de rêve ? «Au pire huitième, a-t-il répondu, sans vouloir en dire beaucoup plus. Il y a quatre candidats principaux à la médaille d’or : Steve Scott, Steve Ovett, Saïd Aouita et Steve Cram. Derrière, tout est possible. Tout au plus me situerais-je parmi les mieux placés du second groupe. En ce qui concerne la tactique, je m’efforcerai de me tenir plus près des premières positions que ce ne fut le cas en demi-finale, car il est certain que les premiers coups de feu claqueront bien avant la cloche, très vraisemblablement à 500 mètres du but, c’est-à-dire à l’entrée de l’antépénultième ligne droite».
Dimanche 14 août à 14 h 40, les douze coureurs sont sur la ligne de départ, prêts à en découdre pour une somptueuse finale du 1500 m, l’une des courses les plus relevées de toutes celles qui auront été présentées depuis le début des championnats du monde. Aux côtés de Pierre Délèze, un certain Steve Ovett, Steve Scott, le favori de beaucoup, le petit Marocain Saïd Aouita, désormais craint comme la peste par tous les autres, Steve Cram, dont on n’a pas oublié la folle cavalcade d’Athènes, John Walker, Mike Boit, José Manuel Abascal… Excusez du peu ! Cette course sent la dynamite, sauf que personne n’ose jouer les détonateurs. Le premier tour, mené par José Manuel Abascal, a été très lent en 1’05″02. Ne voulant pas se laisser endormir, Saïd Aouita prend ensuite la tête pour passer en 2’07″76 aux 800 mètres. Il attaque même à 500 mètres de l’arrivée, ce qu’avait prévu Pierre Délèze, c’est pourquoi il est bien placé à ce moment-là. La belle banderille du Marocain ne lui permet cependant pas de lâcher les plus forts. À 250 mètres de l’arrivée, Pierre Délèze est en septième position et c’est un peu plus loin que Steve Cram émerge avec un démarrage phénoménal. La ligne droite est de toute beauté, chacun jette ses dernières forces dans la bagarre. Les meilleurs sont devant, mais ils ne peuvent rien faire face au champion d’Europe Cram, qui semble voler dans les derniers mètres d’une course faite pour lui. Il s’impose en maître en 3’41″59, tout sourire et les deux poings levés. Steve Scott, venu en Finlande pour gagner, s’en sort également fort bien dans cette dernière ligne droite et, bien que déçu, il assure une belle médaille d’argent en 3’41″87. Saïd Aouita, l’agitateur de cette finale, est récompensé de la médaille de bronze en 3’42″02. Derrière, Steve Ovett et José Manuel Abascal ont tout donné, mais ils crèvent au poteau en 3’42″34 et 3’42″47. Un peu plus loin, Pierre Délèze règle le compte de tous les autres et il s’adjuge une merveilleuse sixième place en 3’43″69.

Lucide et satisfait, le Valaisan fait l’analyse de sa course, pour laquelle on lui promettait une place entre les rangs 5 et 8 : «Sixième, c’est ma valeur actuelle sur le plan mondial. Je crois que j’ai fait tout ce que j’ai pu dans cette finale. À la limite, aurais-je peut-être pu espérer une cinquième place, mais il me semble tout de même qu’Abascal est légèrement en meilleure condition que moi, en ce moment précis. C’était une des épreuves les plus relevées de ces championnats du monde, et c’est aussi dans ce contexte qu’il faut juger cette sixième place. Quand on a passé en 2’07″0 aux 800 mètres, je me suis douté que la partie serait difficile. J’étais fort bien placé, à 500 mètres du but, car je savais qu’Aouita choisirait ce moment précis pour porter son effort. J’étais donc prêt à réagir. J’ai bouclé les derniers 800 mètres en 1’50″0, et les derniers 500 mètres en 1’07″0 : sincèrement, en l’état actuel de mes possibilités, je ne crois pas que je pouvais faire mieux». Son record personnel sur 800 m – 1’48″92 – laisse à penser qu’il ne raconte pas des histoires… Décevant septième l’an dernier à Athènes, dans le cadre d’une course infiniment moins relevée, Pierre Délèze a laissé une impression toute différente à Helsinki. Celle d’un athlète enfin parvenu à maturité, qui domine son sujet, qui ose prendre ses responsabilités. Toujours bien placé dans les hiérarchies chronométrées, grâce à des performances réalisées dans des courses à records, au train idéal, il a fait la preuve qu’il était aussi là dans les épreuves à la place, qui obéissent à des règles toutes autres. Il lui reste maintenant, d’ici aux Jeux Olympiques de Los Angeles, à travailler sa vitesse. «Non pas ma vitesse terminale, ma vitesse de pointe en quelque sorte, mais ma vitesse de base, sur des distances comme le 800 m ou même le 400 m». C’est sur ce point précis qu’il va donc axer sa préparation, avant de tourner définitivement la page, fin 1984, pour se consacrer ensuite au 5000 m. A Helsinki, Pierre Délèze est également apparu transformé dans sa manière d’aborder les courses, par son calme en dehors de la piste, par son approche encore plus professionnelle du sujet.

1. Steve Cram GBR 3’41″59
2. Steve Scott USA 3’41″87
3. Saïd Aouita GBR 3’42″02
4. Steve Ovett GBR 3’42″34
5. José Manuel Abascal ESP 3’42″47
6. Pierre Délèze SUI 3’43″69
7. Andreas Busse GDR 3’43″72
8. Dragan Zdravkovic YOU 3’43″75
9. John Walker NZL 3’44″24
10. Jan Kubista TCH 3’44″30
11. Uwe Becker FRG 3’45″09
12. Mike Boit KEN 3’46″46

Pierre Délèze est enfin parvenu à ses fins dans une grande compétition. Et si cela s’est passé lors des championnats du monde, avec une concurrence d’un niveau encore jamais atteint en compétition, c’est encore mieux ! Pierre est dans la forme de sa vie. À lui de faire fructifier cet acquis dans les grands meetings à venir. Mais avant cette tournée de six grandes courses, il faut passer par la case équipe suisse à l’occasion de la Coupe d’Europe B qui se dispute les 20 et 21 août à Prague (Tchécoslovaquie). Contrairement à l’habitude, le 1500 m n’a pas été une course tactique. Il a été remporté de façon magistrale par l’Espagnol José Manuel Abascal, lequel s’est imposé en 3’33″63, deuxième chrono mondial de la saison. Dans cette course menée tambour battant, Pierre Délèze n’est pas parvenu à boucher le trou sur l’attaque de l’Espagnol et il a dû se contenter d’une quatrième place seulement en 3’37″30 car derrière Abascal, le Yougoslave Dragan Zdravkovic en 3’34″85 et le Tchécoslovaque Jan Kubista 3’34″87 ont pulvérisé leur record national respectif. Honnêtement, Pierre avait déjà la tête à Zurich. Et c’est bien normal car on sait qu’il va forcément se passer quelque chose de grandiose lors du 1500 m. Au Letzigrund, Saïd Aouita, le meilleur performer mondial de l’année sur 1500 m en 3’32″54, est malade et il a dû déclarer forfait. Tant mieux serait-on tenté de dire car cela va ouvrir la porte à d’autres athlètes assoiffés de reconnaissance face aux spectateurs, au nombre de 25000, et devant des millions de téléspectateurs. C’est l’Américain du Lausanne-Sports Colin McClive qui est désigné pour tirer le peloton. Il le fait remarquablement bien en passant en 56″53 au 400 m et en 1’55″65 au 800 m. À ce moment, c’est le Kenyan Mike Boit qui prend la tête et il boucle le kilomètre en 2’24″23, ainsi que les 1200 mètres en 2’52″0. L’Espagnol José Manuel Abascal porte alors son attaque, suivi de l’Américain Steve Scott. Un moment enfermé, Pierre Délèze revient comme un beau diable dans la ligne droite, passe Abascal et termine sur les talons de Scott qui s’est imposé en 3’32″71. Pierre est tellement proche, qu’on commence à jubiler. On attend le chrono, qui tarde à venir. Après quelques secondes interminables, le verdict tombe : 3’32″97, record suisse pulvérisé de huitante-trois centièmes ! Devant son public, Pierre Délèze a tenu à démontrer qu’il savait se surpasser et il l’a fait au-delà de tout ce que l’on pouvait imaginer. À vingt-six centièmes seulement du vainqueur, il signe la troisième meilleure performance mondiale de l’année et la dixième de tous les temps. Pierre vient de réaliser une véritable perle.

Sur la lancée de cette formidable performance, Pierre Délèze prend part le 24 août au meeting Mémorial Van Damme à Bruxelles en se disant que le record suisse du 3000 m, détenu en 7’41″05 par Markus Ryffel depuis le meeting de Lausanne de 1979, ne devrait pas lui poser trop de problèmes. Mais les événements ne se sont pas pliés à ses espérances. Pendant la moitié de la course, il se maintient aux avant-postes, comme à Zurich. Mais, à mesure que les hectomètres s’additionnent, il rétrograde pour finalement lâcher prise totalement. Septième en 7’46″30, Délèze a subi les lois inévitables de la récupération et payé peut-être aussi un départ de course trop rapide, compte tenu de l’état de fraîcheur des principaux protagonistes. Il a toutefois droit aux circonstances atténuantes, pour le moins. Témoin la huitième place, en 7’48″19 de Steve Scott, son vainqueur de Zurich. Les hommes ne sont pas des machines et c’est peut-être tant mieux ! Dans ce meeting, l’Anglais Steve Cram a frôlé l’exploit est courant le 1500 m en 3’31″66, à trente petits centièmes du record du monde de Steve Ovett, qui a eu chaud en la circonstance. Le record du monde du 1500 m a vacillé à Bruxelles, mais il va tomber deux jours plus tard, le 28 août à Cologne. Douze jours après son vingt-septième anniversaire, le Noir Américain Sydney Maree, né en Afrique du Sud mais naturalisé depuis peu, a couru son 1500 m en 3’31″24, ce qui lui a permis d’améliorer le record du monde que le Britannique Steve Ovett détenait en 3’31″36 depuis le 27 août 1980 à Coblence. Pierre Délèze est également engagé dans cette course, la troisième en cinq jours. Il a été entraîné dans le tempo fou de l’Américain pour terminer deuxième en 3’34″22, soit le quatrième chrono de sa carrière. Quatre jours de répit vont faire du bien à Pierre, alors qu’il met le cap au sud en direction de Rome. Le 1er septembre, il se présente au départ d’un mile. Le nouveau recordman du monde du 1500 m Sydney Maree est de la partie, tout comme, Saïd Aouita et José Manuel Abascal. Tous ces athlètes sont dans une forme resplendissante, mais Pierre Délèze aussi ! La course n’a pas débouché sur un chrono de folie, mais Abascal s’est tout de même imposé en 3’51″71 avec douze centièmes d’avance seulement sur Délèze, qui a de nouveau réalisé un exploit en passant au 1500 m en 3’36″44, soit son meilleur temps jamais réalisé dans les conditions d’un mile. Au final il a été chronométré en 3’51″83 et il met derrière lui le Français José Marajo, Saïd Aouita et Sydney Maree ! Avec ses performances, Pierre Délèze est demandé partout. Le 4 septembre, il est parti de Rome pour aller à Rieti, en pleine Péninsule Italienne. Il y retrouve Steve Ovett, qui a pour unique souci de reprendre son record du monde qu’il a perdu il y a une semaine au profit de Sydney Maree. L’Américain David Mack s’avère être le lièvre idéal. Il passe au 400 m en 54″17, puis au 800 m en 1’51″19. À l’attaque du troisième tour, Ovett se trouve soudain livré à lui-même. Il est chronométré en 2’49″14 aux 1200 mètres. Dans un finish rageur, Steve Ovett est parvenu à ses fins en couvrant la distance en 3’30″77. Il vient de retrancher quarante-sept centièmes au record du monde de Maree, qui ne l’aura possédé qu’une semaine. «C’est à moi !», s’est exclamé le Britannique à l’arrivée, tout en estimant que sans le vent, il serait descendu au-dessous des 3’30″00. À nouveau dans une course où un record du monde est battu, Pierre Délèze s’assure un nouveau deuxième rang en 3’34″55, le sixième de sa carrière. Pour la dernière course de la saison, Pierre Délèze doit se rendre à Londres pour un mile annoncé explosif puisque Steve Cram a défié Steve Ovett. La course tient toutes ses promesses et au final c’est Cram qui l’emporte de très peu, quinze centièmes d’avance sur Ovett, en 3’52″56. De son côté, Pierre Délèze est fatigué par un mois de compétition absolument harassant. Il termine tout de même au quatrième rang en 3’59″30.
Pierre Délèze achève ainsi la plus belle saison de sa carrière. La plus aboutie, que ce soit au niveau des chronos avec le record suisse du 1500 m en 3’32″97, mais aussi au niveau des championnats du monde avec sa formidable sixième place sur 1500 m à Helsinki. Pour la première fois il peut partir en vacances l’esprit tranquille, le devoir accompli. Il peut savourer sa nouvelle notoriété et surtout recharger ses batteries pour que sa préparation pour les Jeux Olympiques se passe au mieux. A Los Angeles, il aura à coup sûr son mot à dire pour l’obtention d’une médaille. C’est le prochain grand objectif de Pierre Délèze. Cette seconde quête olympique doit être une finalité sur 1500 mètres avant d’entamer la deuxième partie de sa carrière sur la distance supérieure du 5000 mètres. Pierre a de grandes choses à réaliser dès 1984 et il devra se rappeler de tous les bons coups réussis lors de cette fantastique saison 1983. Go Pierre, go !

PAB

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Pierre Délèze

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