La saison 1982 va suivre la même configuration que la précédente, sauf qu’elle sera ponctuée par les championnats d’Europe qui auront lieu cette année à Athènes. Pierre Délèze a bien évidemment souligné en rouge bien gras cette compétition dans son agenda. Il attaque comme il se doit les courses en ville avec deux nouvelles victoires le 5 décembre 1981 à la Course de l’Escalade à Genève et le 12 décembre à la Course de Noël à Sion. Puis c’est au tour de la saison en salle avec en point d’orgue les championnats d’Europe à Milan (Italie). Un seul 800 m de préparation est prévu, ceci à l’occasion des premiers championnats suisses en salle le 21 février à Macolin. Pierre termine deuxième en 1’52″58 derrière le jeune et véloce Jürg Gerber (TV Länggasse Bern).
Les treizièmes championnats d’Europe d’athlétisme en salle se déroulent les 6 et 7 mars 1982 au Palasport di San Siro à Milan. C’est un Pierre Délèze barbu que l’on découvre lors des séries du 1500 m. Même s’il est arrivé à Milan sans prétention, il n’a pas eu trop de peine à se qualifier pour la finale en terminant au deuxième rang derrière José Luis Gonzales en 3’41″28. Pierre s’est alors mis à songer qu’il y avait peut-être quelque chose à tenter. Car derrière les deux Espagnols Gonzalez et Abascal, il y a de la place pour lui. Malheureusement les choses ne se passent pas comme il les avait prévues le lendemain pour la finale. Après avoir beaucoup voyagé à l’intérieur du petit peloton, Pierre se rend compte qu’il n’est pas dans l’allure. À 150 mètres de l’arrivée, il est irrémédiablement distancé par six adversaires et il ne peut jamais revenir. Pierre Délèze termine ce 1500 m au septième rang en 3’41″38. «Je manquais de rythme pour deux courses à ce niveau. Je suis déçu parce que j’avais commencé à y croire après les séries. En revanche, ce n’est pas un échec par rapport à ma préparation d’ensemble», a-t-il souligné avec beaucoup de lucidité. Deux médailles ont été remportées dans le camp suisse. Champions d’Europe en titre – c’était en 1981 à Grenoble – Roland Dalhäuser (TV Birsfelden) et Rolf Bernhard (ATV Frauenfeld) ont remis ça à Milan. Le Bâlois a été plus fort que jamais en franchissant 2,32 m en hauteur, nouveau record suisse. Se sentant tellement fort, il a fait l’impasse à 2,34 m pour sauter à 2,36 m. Même s’il a failli passer cette barre, ce coup de poker fut une erreur et il a dû se contenter de la médaille de bronze. Le Thurgovien a fait parler son expérience pour remporter une belle médaille d’argent au saut en longueur avec 7,82 m.
On retrouve Pierre Délèze trois mois plus tard, au moment où il va attaquer la saison sur piste 1982. Deux courses servent de mise en bouche avec un très joli 2000 m en 4’59″73 le 6 juin à Bordeaux. En battant de vingt-quatre secondes son chrono de l’époque des juniors, Pierre montre ainsi l’incroyable progression qui a été la sienne depuis cinq ans. Le 16 juin à Lausanne, il signe l’une des quatre victoires helvétiques de la première journée du mach triangulaire Suisse-France-Suède. Il a contenu de belle façon le Français Pascal Thiébaut dans les 300 derniers mètres et il s’impose en 3’50″23. La première course sérieuse pour Pierre Délèze se déroule le 26 juin à Oslo sur un mile. À l’heure où le soleil faisait timidement mine d’aller se coucher, c’est-à-dire vers 23 h 30, Pierre croise le fer avec les Américains Steve Scott et Sydney Maree, l’Anglais Dave Moorcroft et le Néo-Zélandais John Walker. Hélas cette année la magie du Bislett n’opère pas pour le Valaisan. Ce n’a pas été faute d’essayer puisqu’il passe en 3’36″80 aux 1500 m, un chrono qui lui octroie une avance d’un dixième par rapport à son record de Lausanne l’an dernier (3’51″77) et surtout qui lui permet de décrocher facilement les minimas pour les championnats d’Europe. Sentant un manque de rythme tout au long de la course et persuadé qu’il n’allait pas faire mieux que 3’55 », il soulage nettement le pied de l’accélérateur, y laissant vraisemblablement une bonne seconde. C’est dommage car il s’est finalement classé septième en 3’53″67. Une semaine plus tard, Pierre Délèze va trouver de quoi se rassurer sur son état de forme, qui n’est pourtant pas si mauvais. Le 4 juillet, il se trouve au départ du 1500 m de la Westathletic Cup à Dublin. Sur les terres de son rival Ray Flynn, par un temps assez frais et venteux, Pierre court bien tactiquement. C’est Flynn qui assure le tempo, comme prévu très lentement. Mais dès le début du dernier tour, la cadence s’est accélérée. Délèze, bien protégé jusque-là, peut se dégager avec une belle maestria pour revenir sur Flynn à 300 mètres de l’arrivée et il l’a carrément laissé sur place dans les 200 derniers mètres. Délèze a couvert l’ultime tour de piste en 54″5, dont les derniers 300 mètres en 38″7. Vainqueur en 3’43″83, Pierre est incrédule au moment de découvrir ces chronos énoncés par Jean-François Pahud : «J’ai peine à le croire; je ne sais pas si je ferai mieux sur cette distance avec un départ arrêté !». Cette victoire est très importante pour le Valaisan, car elle lui a permis de voir que, à condition de savoir jouer le jeu, il était capable de battre les meilleurs même dans une course tactique. Après deux autres 1500 m, on le retrouvera à Lausanne dans dix jours pour une grande expérience sur 5000 m. Le 5 juillet à Stockholm, Pierre Délèze est en passe de réaliser un premier bon chrono sur 1500 m. Dans la foulée de l’Américain Sydney Maree, qui a battu la meilleure performance mondiale de la saison en 3’32″89, Pierre a pris ici la deuxième place en 3’35″10, un chrono qui est le troisième de sa carrière et qui se situe à une seconde et trente centièmes de son record national. Délèze s’est payé le luxe de battre notamment le Kenyan Mike Boit et le Britannique John Robson. Fort de cette belle performance, le rendez-vous habituel de Paris le 9 juillet revêt d’une importance moindre pour Pierre. À Charléty, il se retrouve du reste sans force et sans jambes, ce qui est sans doute la conséquence des voyages effectués durant la semaine. Cette course, bouclée en 3’40″60 est bien sûr à oublier, d’autant plus que le 5000 m de Lausanne se profile dans cinq jours maintenant. Le 14 juillet, le public de Vidy va vivre une très belle course. Tout en encourageant les meilleurs, il n’oublie pas le duel qui se dispute entre les deux meilleurs coureurs de demi-fond suisses de tous les temps : Markus Ryffel et Pierre Délèze. Déjà qualifié sur 1500 m pour les championnats d’Europe d’Athènes, le Valaisan entre sur la distance par la grande porte, afin d’y tenter la grande aventure. «Je n’ai rien à perdre, dit-il. J’ai un peu peur, mais je me réjouis déjà et je suis impatient. On me dit capable de réussir 13’20″0 ? Pourquoi pas ?». Ce 5000 m termine la soirée en point d’orgue. Le Valaisan lance crânement la course en 1’04 » au premier tour. Puis l’Américain Doug Padilla prend la tête jusqu’aux 3000 m (2’37″0 au premier kilomètre et 5’16″0 au deuxième et 7’59″41 au 3000 mètres). À ce moment-là, ils sont encore six ensembles, dont Ryffel et Délèze. Mais ce dernier commence à décrocher, sans cesser de lutter. À deux tours de l’arrivée, Ryffel tente de faire la décision mais en vain. À 200 mètres de l’arrivée, le Portugais Fernando Mamede s’envole pour terminer dans l’excellent temps de 13’15″19 devant le Kenyan Peter Koech en 13’15″92 et l’autre Portugais Carlos Lopes en 13’17″28. Markus Ryffel, quatrième, réussit le deuxième meilleur temps de sa carrière en 13’17″80, alors que Pierre Délèze, pour son premier grand 5000 m, termine septième en 13’28″77, un chrono évidemment plein de promesse ! Une fois de plus le meeting de Lausanne lui a apporté quelque chose de positif. Et c’est sur cette excellente lancée qu’il débarque à Saint-Moritz pour le traditionnel camp d’entraînement en altitude. Le 18 août, le meeting Weltklasse vient à nouveau prouver que Pierre possède la classe internationale. Les 23000 spectateurs du Letzigrund peuvent assister à un superbe 1500 m au terme duquel l’Anglais Steve Cram impressionne en gagnant la course en 3’33″66. Il devance les Américains Tood Harbour en 3’33″99 et Steve Scott en 3’34″18, ainsi que John Walker en 3’34″30. Pierre termine sur leurs talons en 3’34″40, ce qui représente ni plus ni moins que le deuxième chrono de sa carrière ! Un quart d’heure après sa course, Pierre était heureux : «Je peux m’estimer satisfait, d’autant plus que je me suis vraiment senti à l’aise dans les 300 derniers mètres. À mi-ligne droite, je me suis toutefois trouvé face à un mur de coureurs, sans quoi j’aurais pu gagner une ou deux places. En revanche il faut bien avouer que j’ai eu de la peine à me mettre dans l’allure. La course a été lancée relativement lentement, mais moi j’avais la curieuse impression que ça allait diablement vite. Mais en termes de bilan, cette course de reprise est plus que satisfaisante à mes yeux». Ces bonnes sensations, Pierre va les retrouver en séries du 800 m des championnats suisses le 22 août à Bâle. Le matin, il court avec une facilité incroyable en 1’48″92, nouveau record personnel ! «J’aurais pu faire une seconde et demie de moins si je l’avais voulu !». La finale s’est avérée être la plus belle course du jour et le nouveau champion suisse s’appelle Christoph Ulmer (TV Binningen) qui a gagné en 1’51″02. Il devance de peu le Versoisien de Zurich Sébastien Wschiansky (TV Unterstrass) en 1’51″15. Pierre Délèze termine troisième en 1’51″16, juste devant un autre Valaisan, Reinhold Studer (TV Naters), en 1’51″26. «J’étais presque mieux lors des séries, mais une médaille sur 800 m, pour moi, c’est tout de même quelque chose d’important». Elle apporte surtout la confirmation d’une forme étonnante, à quelque deux semaines des championnats d’Athènes. Une forme telle que Pierre n’en a jamais connue. Plus à son aise dans les changements de rythme, récupérant les efforts avec une facilité dérisoire, apparemment mieux dans sa peau, on le sent parfaitement prêt et ce serait bien le comble si ces impressions étaient fallacieuses. Elles ne trompent personne le 25 août, le jour du meeting de Coblence (Allemagne de l’Ouest). Sur la piste fétiche de Steve Ovett – il y a établi les records du monde du 1500 m (3’31″36 en 1980) et du mile (3’48″40 en 1981) – Pierre Délèze s’est encore mis en évidence en prenant la quatrième place d’un mile très rapide remporté par l’Américain Steve Scott en 3’49″72 devant son compatriote Sydney Maree (3’49″75) et l’Allemand de l’Ouest Thomas Wessinghage en 3’50″19, record national. Un sort qui a également été jeté à celui de la Suisse car Pierre Délèze a suivi de très près les trois milers pour améliorer en 3’50″38 son propre record suisse d’une seconde et trente-neuf centièmes. C’est la quatrième fois que le Valaisan améliore ce record après les 3’55″29 et les 3’53″55 en août 1980, les deux fois à Londres, ainsi que les 3’51″77 de Lausanne l’an dernier. Ce nouveau chrono de top niveau mondial lui permet de voir venir les championnats d’Europe d’Athènes avec une très grande sérénité.
Les treizièmes championnats d’Europe se déroulent au début du mois de septembre 1982 à Athènes, sur une durée de sept jours de compétition. De nombreux suisses peuvent prétendre à un podium : Roland Dalhäuser (TV Birsfelden) et Gaby Meier (Old Boys Basel) en hauteur, Rolf Bernhard (ATV Frauenfeld) en longueur, Stephan Niklaus (LC Basel) au décathlon, Markus Ryffel (ST Bern) au 5000 m et bien sûr Pierre Délèze au 1500 m. Cependant il règne une ambiance bizarre à Athènes. Il n’y a pas de village où tous les athlètes seraient rassemblés. L’équipe suisse est isolée dans un hôtel loin du stade. Rien n’est bien organisé pour les déplacements car il faut prendre le métro, comme tout un chacun, et évidemment il est bondé à toute heure de la journée ! Cette sensation de ne pas se sentir comme dans un grand championnat va peser sur l’équipe dans son ensemble. Après de très bons championnats d’Europe en 1978 à Prague, la délégation nationale se voit recevoir des quolibets de la part de la presse, dont ceux de Jean-Jacques Besseaud dans le journal « 24 Heures », qui n’hésite pas à parler de fiasco helvétique. C’était peut-être un peu trop fort, mais il est vrai qu’il y a eu un lot de contre-performances assez inhabituelles, notamment pour Roland Dalhäuser qui a terminé septième du saut en hauteur avec 2,21 m, pour Rolf Bernhard qui s’est classé neuvième du saut en longueur avec 7,75 m ou pour Markus Ryffel qui a sombré au dixième rang du 5000 m et même pour Stephan Niklaus qui a abandonné lors de son décathlon. Des bonnes surprises il y en a pourtant eu comme la très belle quatrième place de Gaby Meier au saut en hauteur avec un nouveau record suisse à 1,94 m ou les magnifiques 8’036 points de Christian Gugler (BTV Aarau) valant une huitième place au décathlon. Pour Pierre Délèze, les séries du 9 septembre ont été maîtrisées avec succès. Placé dans la première série, il remporte cette course de très belle manière en 3’42″75. Il a réussi à contenir facilement les assauts de l’Anglais Graham Williamson – son vainqueur de Mexico City en 1979 – et de l’excellent Yougoslave Dragan Zdravkovic. Dans les deux autres séries, l’Espagnol José Manuel Abascal et l’Anglais Steve Cram ont tous deux remporté leur course avec une jolie maîtrise. Deux jours ont séparé ces courses de qualification et la finale, qui a donc lieu le samedi 11 septembre. Il est 17 heures et dans moins de deux heures, Pierre Délèze va entrer en scène pour la finale. La pluie a chassé toute la gent athlétique dans l’interminable couloir blanchi à la chaux qui conduit du terrain d’échauffement à la chambre d’appel. Jean-François Pahud promène bien sûr sa grande silhouette en ces lieux étranges, où tant de choses semblent se jouer, dans le secret des âmes. C’est la poisse, Pierre a mal au dos. Il vient d’aller chez le physiothérapeute : c’est après le petit entraînement de ce matin que les douleurs sont apparues. Pierre est de retour. Il essaye de toucher le sol de ses mains, jambes presque tendues, quelques grimaces traduisent ce qui se passe. Un peu plus tard, il court à nouveau comme un lièvre; le mal au dos est presque oublié ! En tout cas, il n’est plus d’actualité. La trappe s’ouvre, les dés sont jetés. Jean-François Pahud lui rappelle le mot d’ordre : «Si ça ne va pas vite, n’oublie pas de te dégager assez vite, à 500 mètres au plus tard». La finale du 1500 m part en 28″50 pour les 200 premiers mètres de course. Pierre, un moment en tête sans l’avoir vraiment cherché, se fait passer par l’Irlandais Ray Flynn. Bien joué, lance Pahud, assis dans la tribune de presse, chrono en main, regard d’aigle. Il paierait cher pour savoir ce qui se passe réellement. Si Pierre est vraiment bien, si la machine fonctionne sans à-coups. Il va le savoir, malheureusement. Quand l’Anglais Steve Cram s’en va à 700 m de l’arrivée, Pierre n’est pas du voyage, mais il n’y a pas lieu de s’affoler. Le coup est d’une telle audace, qu’il est peut-être prudent de ne pas jouer les copieurs. La contre-offensive a encore le temps de s’organiser. Le Valaisan n’en sera toutefois pas la locomotive. Le verdict est vite tombé : Steve Cram a plané sur le 1500 mètres et pendant son long cavalier seul, personne n’a pensé une seconde à Coe ou à Ovett. Son attaque a été à la fois surprenante, audacieuse et courageuse, comme seuls les Anglais savent le faire. Il remporte la course en 3’36″49, précédant le Soviétique Nikolay Kirov qui s’empare de la médaille d’argent en 3’36″99 et l’Espagnol José Manuel Abascal qui se pare du bronze en 3’37″04. Pierre Délèze termine quant à lui à une frustrante septième place en 3’39″64. C’est bien pour un athlète qui voulait dans un premier temps effacer son dur échec des Jeux Olympiques de Moscou, où il avait été sorti dès les éliminatoires. Ça l’est moins pour le Pierre Délèze qui s’était persuadé, non sans raison, qu’il était l’un des candidats les mieux placés pour la conquête d’une médaille. Trois bons quarts d’heure se sont écoulés et Pierre revient de son galop de récupération. L’homme n’est pas abattu et il accepte même ce qui est malgré tout un échec. «Bien sûr que je suis déçu. Tout pouvait arriver et c’est le pire qui est sorti du chapeau, pour ce qui me concerne. Quand Cram est parti, j’ai essayé de réagir, mais j’ai alors senti que la forme n’était pas celle des grands jours. À 300 mètres de l’arrivée, une médaille aurait encore été possible si j’avais eu des jambes. Je n’ai pu jouer aucun rôle dans cette course et c’est ce qui tempère ma déception».
De grandes vacances ont permis à Pierre Délèze de recharger ses batteries. Toutes les émotions vécues au niveau international depuis 1977 font de cet homme un coureur de plus en plus expérimenté et sûr de sa valeur. Bien entendu la décevante septième place d’Athènes ne va pas disparaître comme ça. Beaucoup de gens ont été très critiques à propos de sa course d’Athènes et ce n’est pas en rabâchant sans cesse ses échecs en championnats qu’on va l’aider à trouver la parade dans ce genre de courses lentes et incertaines. Nous trouvons donc injuste que quelques journalistes puissent s’acharner sur Pierre et sa soi-disant mauvaise tactique de course. Le niveau atteint par le champion Valaisan est absolument grandiose et il est tout à fait incroyable de vouloir toujours chercher le négatif, alors que l’essentiel de sa carrière est fait de courses merveilleuses.
PAB
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