Après un mois d’août 1980 complètement fou, Pierre Délèze a pu récupérer de cette saison olympique, dont le seul accroc a justement été cette inattention malheureuse à Moscou. En automne, Pierre a attaqué sa préparation pour la saison suivante avec peut-être moins de pression car il n’y aura pas de grands championnats en 1981. Son schéma hivernal a été mixte avec d’abord les courses sur route et deux victoires le 6 décembre lors de la Course de l’Escalade à Genève et le 13 décembre lors de la Course de Noël à Sion. Puis, une courte saison en salle, avec un 800 m en 1’52″02 le 25 janvier à Macolin et un excellent 3000 m le 1er février à Vittel en 7’57″3, là où il avait réussi 7’58″3 l’an dernier à pareille époque. Enfin le 8 mars, Pierre a conquis dans des conditions très difficiles le titre suisse de cross à Bulle. Comme l’an dernier, il va continuer sa préparation au maximum et effectuer sa rentrée à la mi-juin. Quatre jours avant que ne débute sa saison, l’Anglais Sebastian Coe place un nouveau coup de canon. Le 10 juin, à Florence (Italie), le champion olympique du 1500 m pulvérise de soixante centièmes le record du monde du 800 m en 1’41″73 ! De son côté, Pierre Délèze prend part le 14 juin au 800 m du meeting de Paris à Charléty, qu’il boucle en 1’50″57. Deux jours plus tard, il gagne le 1500 m du match triangulaire Suède-Norvège-Suisse en 3’43″05. Lors de cette compétition, la Suède remporte la victoire avec 159 points, contre 133 à la Suisse et 122 à la Norvège. Le 23 juin il se déplace à Yverdon pour un nouveau 800 m. Sur le stade de l’USY flambant neuf, il réalise une nouvelle bonne performance pour lui 1’50″97. Ce petit intermède de trois compétitions est interrompu par la toujours très belle période passée en altitude à Saint-Moritz. Les bonnes expériences de ces dernières années ont poussé Pierre à s’entraîner dans un schéma qu’il connaît bientôt par cœur. Son retour à la compétition va lui permettre de participer à une mini-tournée de belles compétitions en Suisse : Lausanne, Berne, les championnats suisses et Zurich. Mais avant ce périple, Pierre Délèze apporte comme toujours sa bonne contribution à l’équipe suisse. Le 4 juillet a lieu à Varsovie la demi-finale de la Coupe d’Europe. Dans cette poule, les Suisses retrouvent des adversaires connus, mais également les coriaces Allemands de l’Ouest et la Pologne. Sur 1500 m, les affaires de Pierre sont grandement facilitées par la chute, après 1000 mètres, du favori Thomas Wessinghage, alors que la course se disputait au ralenti. Dès lors le sprint est lancé par l’Espagnol José Luis Gonzalez et Pierre Délèze tire fort bien son épingle du jeu en prenant une méritoire deuxième place en 3’48″49, à vingt-sept centièmes seulement de la victoire et cela dans une course pas du tout faite pour lui. Son finish a été bon, en témoignent les 52″8 du dernier tour sans paraître du tout asphyxié. La Suisse termine au cinquième rang de cette demi-finale, remportée par la Pologne avec deux points d’avance sur l’Allemagne de l’Ouest. Pierre Délèze est prêt pour un nouveau morceau de bravoure. Il va se dérouler le 14 juillet lors du Meeting International de Lausanne. À Vidy il y a du très beau monde au départ du mile : Steve Ovett, John Walker, Thomas Wessinghage et José Luis Gonzalez vont permettre à Pierre Délèze de trouver un tempo idéal. Comme d’habitude, une tentative contre le record du monde est annoncée par Steve Ovett. Et ce ne fut de loin pas une tentative bidon : tiré comme convenu par son compatriote Bob Benn durant les deux premiers tours, Ovett passe en 53″71 aux 440 yards (plus d’une seconde d’avance), puis en 1’51″6 aux 880 yards (deux secondes d’avance). C’est ici que le record va s’effondrer car l’Allemand Wessinghage, qui avait promis de faire le lièvre durant le troisième tour, n’a pas pu suivre. Le Britannique reste absolument isolé. Aux trois quarts de mile, il a perdu quatorze centièmes. Bien que luttant jusqu’à la limite de ses forces, après être passé en 3’33″35 au 1500 mètres, il est chronométré en 3’49″66, c’est-à-dire à moins d’une seconde du record du monde. Bien que passant inaperçu pour la foule qui n’avait d’yeux que pour le leader, Pierre Délèze fait une course de rêve. À la lutte pour une place sur le podium, Pierre est passé au 1500 m en 3’36″90, soit le troisième chrono de sa carrière ! Il s’en est suivi une dernière ligne droite intense au terme de laquelle il bat le record suisse qu’il détenait avec 3’53″55, pour le porter à 3’51″77. Classé au vingtième rang des meilleures performances mondiales de tous les temps l’an dernier, voilà Pierre Délèze qui vient de réaliser le onzième chrono de l’Histoire du mile ! L’Espagnol José Luis Gonzalez – qui avait couru un fantastique mile en 3’49″67 et battu d’un centième l’Américain Steve Scott trois jours plus tôt à Oslo – termine deuxième en 3’50″87. Sur le podium, une scène sympa a rappelé ce qui s’était déroulé en 1924 à Paris à l’issue du 800 m olympique. Personne ne savait qui du Suisse Paul Martin ou de l’Anglais Douglas Lowe avait gagné et l’attente du verdict fut longue. C’est à ce moment-là qu’il y eut cette conversation anthologique :
– «Est-ce que vous avez gagné, Martin ?»
– «Non, c’est vous»
– «Oh ! Comme je regrette, Martin, que vous n’ayez pas gagné»
En 1981 à Vidy, ce fut encore plus laconique lorsque l’Anglais Ovett a demandé au Suisse Délèze :
– «Swiss record ?»
– «Euh, yes !»
– «Oh ! Good !»
Tordant, mais évidemment le plus important était ce « good » sorti du fond du cœur de la part du recordman du monde « him-self » envers ce petit Suisse qui devient de plus en plus fort. Trois jours après Lausanne, c’est au tour de Berne d’organiser son meeting international. Au Neufeld, Pierre a choisi de courir un nouveau 800 m qu’il boucle en 1’50″41. Une nouvelle période à Saint-Moritz va lui donner l’occasion de peaufiner sa forme pour les championnats nationaux et surtout pour Zurich où il va s’aligner sur un nouveau mile. Aux championnats suisses à Berne, et contrairement à l’an dernier à Lausanne, Pierre choisit cette fois de doubler 800 m / 1500 m. Qualifié facilement pour la finale du 1500 m en 3’49″62, il doit cependant déchanter au 800 m en se faisant éliminer dès les séries en 1’52″22. Le dimanche 9 août, il parvient à décrocher son septième titre suisse sur 1500 m en 3’50″62, devant un petit jeune qui monte, Dieter Elmer (GLAV) et le Tessinois Marco Rapp (GA Bellinzona). Pour Pierre Délèze il ne reste plus que dix jours avant le meeting Weltklasse à Zurich. Dix jours c’est long ! Le 19 août arrive enfin avec son mile tant attendu. Pierre sait que la course sera à nouveau folle puisque Sebastian Coe a juré de jeter un sort au record du monde de Steve Ovett. En préambule à cette course, l’Américain Reynaldo Nehemiah avait montré la voie à suivre, battant le record du monde du 110 m haies en 12″93 et devenant du coup le premier homme à courir sous la barrière des treize secondes. Le mile qui conclut cette nouvelle soirée des Césars a connu le même sort. La course bien lancée sur les bases souhaitées par Coe, en 56″ pour le premier tour de piste, n’est pas été suffisamment bien menée avec une seconde de trop pour que le grand chelem reste du domaine des possibilités. Aux 1500 mètres, Sébastian Coe, qui s’est retrouvé seul face à l’Annapurna un peu après le passage au 1000 m, est pointé en 3’33″28 alors qu’Ovett, en 1980 à Oslo, était passé en 3’32″7. Il a perdu le premier de ses paris, mais le record du mile reste toujours en bout de ligne droite. Coe va l’avaler dans un style d’une pureté extraordinaire pour un athlète qui pousse son corps dans ses limites les plus reculées. En retard de plus de quatre dixièmes en début de ligne droite, il passe la ligne d’arrivée en 3’48″53, soit avec 27 centièmes d’avance sur le record du monde; Coe en possède à nouveau trois sur sa carte de visite : celui du 800 m, celui du 1000 m et celui du mile ! Il n’aura maintenant de cesse que de reconquérir celui du 1500 mètres qui reste la propriété d’Ovett. La rencontre du « à toi à moi » entre les deux hommes n’est pas terminée car Ovett va courir une semaine plus tard un mile à Coblence, sur la piste où il avait battu le record du monde du 1500 m l’an passé. La densité de ce mile zurichois a été folle avec notamment le Kenyan Mike Boit en 3’49″74, l’Anglais Steve Cram en 3’49″95, le Néo-Zélandais John Walker en 3’50″12 et l’Allemand de l’Ouest Thomas Wessinghage en 3’50″95. Pierre Délèze s’est fait déborder en terminant neuvième en 3’54″80, après être passé tout de même en 3’38″37 au 1500 mètres. La réussite n’a pas été au rendez-vous de ce Weltklasse pour Pierre, qui court encore le 23 août à Nice sur 1000 m en 2’21″62; il décide ensuite de mettre un terme à sa saison.
Dépossédé du record du monde du mile par Coe, Steve Ovett débarque comme promis le 26 août à Coblence pour, dit-il, reprendre ce qui lui appartient. Et il y est parvenu avec cette grande assurance qui le caractérise : 3’48″40 et treize centièmes de mieux que Sebastian Coe à Zurich ! C’est absolument parfait et fantastique. Sauf que le Londonien Coe n’a pas dit son dernier mot. Il a depuis longtemps dans la tête le meeting Mémorial Van Damme à Bruxelles qui a lieu deux jours après Coblence. Vexé par la réussite de son rival, Sebastian Coe va répliquer et lui assainir un coup fatal. Dans une course de feu, porté par 40000 spectateurs, Seb Coe a avalé la distance mythique du mile en 3’47″33. Il atomise le chrono de Steve Ovett d’une seconde et sept centièmes et signe un exploit absolument dantesque. On croit que ce record restera accroché pour longtemps. Mais on va en reparler plus tôt qu’on ne le pense…
PAB
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