En ce jeudi 10 juillet, le camp helvétique n’est de loin pas encore au bout de ses émotions, puisque c’est maintenant l’annonce de la finale du 1500 m. Auteur du meilleur chrono des séries la veille, Willy Schärer sait qu’il n’aura pas la vie facile dans cette finale, face notamment aux quatre Finlandais, aux trois Anglais et aux trois Américains. Le Bernois, qui considère le sport comme un équilibre à ses études et qui ne s’affiche que très rarement en compétition, est pourtant en train de gravir en solitaire un très haut sommet. Deux mois plus tôt, lors du meeting préolympique du 1er juin à Berne, il avait brillé en abaissant le record suisse à 4’01″8. Ce n’était pour lui qu’un camp de base. Il a ensuite pris de l’altitude grâce à sa demi-finale remportée de main de maître face à Douglas Lowe, l’Anglais qui avait privé Paul Martin d’un titre olympique un jour plus tôt sur 800 m. Le voilà maintenant en vue du sommet. S’il ne manque pas d’oxygène durant cette finale, il pourra planter le drapeau suisse tout là-haut, en signe de victoire, ou tout au moins de podium.
Les douze coureurs sont prêts derrière la ligne de départ. Willy Schärer, qui a tiré le numéro 1, se retrouve donc à la corde. Tiens, comme Paul Martin lors de sa finale du 800 m; serait-ce un signe du destin ? On veut bien le croire.
Le départ de la finale du 1500 m olympique avec Sonny Spencer, Ray Watson, Paavo Nurmi, René Wiriath, Douglas Lowe, Ray Buker, Jaako Luoma, Arvo Peussa, Lloyd Hahn, Henry Stallard, Frej Liewendahl et Willy Schärer
Le starter lâche son coup de pistolet, mais il doit rappeler les concurrents car Douglas Lowe a provoqué un faux-départ. Chacun tente de rester calme; le calme… avant la tempête. Le deuxième départ est le bon et on voit Lowe prendre d’entrée le commandement des opérations. Les trois tours de 500 m promettent d’être somptueux. Schärer est bien parti et sa troisième position dans ce peloton compact semble être une tactique judicieuse. Après une bonne centaine de mètres, Nurmi jette un coup d’œil à sa montre qu’il garde toujours dans sa main droite, ce qui engendre un changement de rythme. Le Finlandais est maintenant en tête, suivi comme son ombre par Lowe. Le rythme des deux hommes est tellement soutenu qu’il va créer une petite rupture avec le reste du peloton après déjà 300 m de course. Toujours en troisième position, Schärer emmène la meute, composée entre autres de Wiriath, Stallard et Watson. Le premier tour est bouclé en 1’13″2. Le rythme imprimé par Nurmi est trop rapide pour Lowe, qui doit rentrer dans le rang. Au contraire, l’Américain Watson – l’homme qui a perdu sa main droite à l’âge de 13 ans dans un accident de tir – tente de suivre à son tour le « Finlandais volant », qui passe aux 1000 m en 2’32″0 (un chrono qu’il vérifie évidemment sur sa propre montre).
La cloche retentit et c’est là que Nurmi accélère, ce qui provoque le vide derrière lui. Watson tente de résister maintenant au retour de ses adversaires, qui sont en pleine bourre. Le plus fringant de tous, c’est Stallard. En produisant un bel effort, il passe sans difficulté Wiriath et rattrape Schärer, qui dans le même temps s’apprête à déborder Lowe et Watson qui n’avancent plus trop. Alors qu’il ne reste plus que 80 m, Nurmi se retourne sur sa gauche et constate qu’il va gagner ce 1500 m. Vu que dans deux heures il sera au départ de la finale du 5000 m, il ne se dépense pas outre mesure dans ces derniers décamètres de course. Derrière, les différents sprints font des ravages. Stallard et Schärer sont au coude à coude, tandis que Lowe se débat pour contrer le retour de l’Américain Buker. Sans sourciller, Paavo Nurmi remporte ce 1500 m olympique en 3’53″6. Au niveau du podium en revanche, c’est l’incertitude qui plane pour l’ordre du classement. Henry Stallard donne tout ce qui lui reste pour repousser l’attaque finale de Willy Schärer, mais – on le saura plus tard – la fracture de fatigue qu’il a au pied l’empêche de pousser sa foulée comme il le voudrait. Le Suisse n’en a cure des problèmes de Stallard et finit par le passer rageusement dans les vingt derniers mètres. Il décroche ainsi une merveilleuse médaille d’argent en 3’55″0, soit un record suisse battu de presque sept secondes ! Au bout du rouleau, Stallard passe la ligne d’arrivée en 3’55″6 et s’écroule lourdement sur l’herbe. Malgré ses douleurs, il a sauvé la médaille de bronze face à Douglas Lowe, qui termine quatrième en 3’57″0 et qui précède le trio Américain composé de Ray Buker en 3’58″6, Lloyd Hahn en 3’59″0 et Ray Watson en 4’00″0. Les trois autres Finlandais n’ont cette fois-ci pas eu droit au chapitre.
Paavo Nurmi remporte sans forcer le 1500 m olympique. Derrière, c’est la guerre entre Henry Stallard et Willy Schärer. Mais le Suisse est en train de passer le Britannique et va s’emparer d’une magnifique médaille d’argent en 3’55″0, un record suisse pulvérisé de près de 7″
Le classement final de ce 1500 m des Jeux Olympiques de 1924 à Paris est le suivant :
1. Paavo Nurmi (FIN) 3’53″6
2. Willy Schärer (SUI) 3’55″0
3. Henry Stallard (GBR) 3’55″6
4. Douglas Lowe (GBR) 3’57″0
5. Ray Buker (USA) 3’58″6
6. Lloyd Hahn (USA) 3’59″0
7. Ray Watson (USA) 4’00″0
8. Frej Liewendahl (FIN) 4’00″3
9. Arvo Peussa (FIN) 4’00″6
10. René Wiriath (FRA) 4’02″8
11. Sonny Spencer (GBR) 4’03″7
12. Jaakko Luoma (FIN) 4’03″9
L’insolente facilité de Paavo Nurmi ne surprend pas. En revanche la médaille d’argent de Willy Schärer est un énorme exploit car il faut bien comprendre que le niveau de cette finale était absolument énorme. Galvanisé par la facilité de sa qualification lors des séries, face à un coureur de la trempe de Douglas Lowe, le coureur de la GG Bern a su saisir sa chance dans cette finale en courant très intelligemment (au contraire de Lowe et de Watson qui ont commis l’erreur de vouloir suivre le rythme de Nurmi). Au final, Willy Schärer apporte une seconde médaille d’argent à la Suisse, deux jours seulement après celle remportée par Paul Martin. En faisant preuve d’une totale abnégation dans leur dernière ligne droite de Colombes, ces deux coureurs ont véritablement fait honneur à notre pays. Leur médaille d’argent n’est que la juste récompense de tous leurs efforts fournis ces dernières années.
PAB
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