Mercredi 9 juillet, le camp suisse est toujours en train de fêter la médaille d’argent de Paul Martin. Pourtant il ne faut pas perdre de vue que les Jeux Olympiques ne sont de loin pas terminés et que d’autres atouts helvétiques peuvent eux aussi apporter de grandes joies au Comité Olympique Suisse. C’est le cas des deux seuls athlètes qui sont en lice ce jour-là. Arthur Tell Schwab, l’Argovien d’Allemagne, prend part aux demi-finales du 10000 m marche, où les cinq premiers de chacune des deux séries obtiennent leur ticket pour la finale de dimanche. Il faut marcher dans les clous à Colombes car les juges-arbitres sont particulièrement intransigeants. Sur les 25 concurrents des deux demi-finales, 15 ont été disqualifiés pour une marche incorrecte. Arthur Tell Schwab, un pur esthète de la marche, n’a bien sûr pas failli. Il s’est facilement qualifié pour la finale en prenant la troisième place dans la seconde demi-finale.
Willy Schärer impressionne lors des séries du 1500 m
Sur 1500 m, il y a vraiment du beau monde parmi les 40 inscrits pour les séries. Les quatre Finlandais font figure d’épouvantail avec bien sûr l’inarrêtable Paavo Nurmi, mais aussi avec Jaako Luoma, Arvo Peussa et Frej Liewendahl. Les Britanniques alignent le nouveau champion olympique du 800 m Douglas Lowe, Sonny Spencer et un Henry Stallard qui a soif de revanche, tandis que les Américains misent sur Ray Buker, Lloyd Hahn et Ray Wilson. Aux côtés de ces grands coureurs, on retrouve également le Français René Wiriath et le Suisse de la GG Bern Willy Schärer, qu’on annonce en très grande forme. Le mode de qualification est assez drastique : seuls les deux premiers de chacune des six séries sont qualifiés pour la finale de jeudi. Autant dire qu’il faut vraiment être à son affaire pour ne pas manquer le bon wagon. Willy Schärer ne veut prendre aucun risque et, sans complexe, il se permet de mener la course à une bonne allure. Cette tactique s’avère payante puisqu’il prend la mesure de Douglas Lowe et s’impose dans cette deuxième série en 4’06″6, soit le meilleur chrono des six courses de 1500 m. Suivent dans l’ordre Lloyd Hahn (4’06″8), Douglas Lowe (4’07″2), Frej Liewendahl (4’07″4) et Paavo Nurmi (4’07″6). Le Bernois a marqué les esprits lors de ces demi-finales, au point que les favoris auront immanquablement un œil sur lui lors de la finale de demain.
Josef Imbach se lâche sur 400 m
Jeudi 10 juillet, on entame la seconde partie de ces Jeux Olympiques de Paris. Deux coureurs suisses entrent en piste dès 14 heures pour les séries du 400 m. La participation est dense avec 60 concurrents provenant de 27 nations, c’est ce qui explique les 17 courses au programme. Un fait est assez étonnant, la participation est très variable au fil des séries. Composée en général de quatre ou cinq athlètes, il y a aussi un tiers des courses qui se déroulent avec deux ou trois concurrents et même, pour la cinquième série, on retrouve un seul participant à la suite de quatre forfaits ! Celle-ci pourtant nous intéresse au plus haut point puisqu’on c’est celle du Genevois Josef Imbach. Aucunement obligé de se surpasser, il court à un rythme décontracté et boucle son 400 m en 51″8. Voilà une très bonne mise en jambe pour les quarts de finale qui doivent avoir lieu deux heures plus tard. Pour son compatriote Christian Simmen, les choses sont nettement plus compliquées dans la seizième course. Parmi les adversaires du Zurichois figurent le Britannique Guy Butler, vice-champion olympique en 1920 à Anvers et le Français Gaston Féry, champion national depuis 1919. Sans surprise Simmen termine au cinquième et dernier rang de sa série, malheureusement sans qu’un temps ne lui soit attribué.
Après un bref passage aux vestiaires, il faut remettre le couvert pour les quarts de finale, disputé en six courses. Si chacun des qualifiés n’avait absolument rien montré lors des séries, le ton est sérieusement monté de quelques crans. Vainqueurs de leur série respective en 49″0, l’Américain Horatio Fitch, le Néerlandais Adriaan Paulen, ainsi que les Africains du Sud Toby Betts et Clarence Oldfield ont clairement affiché leurs ambitions, tout comme le Norvégien Charles Hoff qui suit en 49″2 et le Britannique Eric Liddell qui est crédité de 49″3. Tout en retenue, Guy Butler fait parler son expérience à ce niveau de compétition en s’imposant en 49″8. Et Josef Imbach dans ce contexte relevé, que lui est-il arrivé ? Justement on y vient, avec le sixième et dernier des quarts de finale qui se prépare. Il y a au départ, face au Genevois, le Japonais Tokushige Noto, l’Irlandais Sean Lavan, le Suédois Nils Engdahl et l’Américain Eric Wilson. Assurément ce sont ces deux derniers coureurs qu’il faudra surveiller, puisque seuls les deux premiers sont qualifiés pour les demi-finales. Comme prévu, la lutte se résume en une lutte à trois. Qui du Suisse, du Suédois ou de l’Américain fera les frais de l’affaire ? Tout reste indécis, mais au début de la ligne droite finale, le petit (par la taille) Suisse se détache irrémédiablement. Sa foulée est d’une fréquence impressionnante et il semble poursuivre son effort sans fatigue apparente. Dans les derniers mètres, Imbach sait qu’il a partie gagnée car même s’il peut sentir Engdahl proche de lui, Wilson a définitivement lâché prise.
À 5 m de l’arrivée, Josef Imbach a course gagnée. Son fabuleux chrono de 48″0 va ensuite faire couler beaucoup d’encre
Le Suisse passe la ligne en vainqueur et reste en attente de son temps. Assis sur leur échelle, les chronométreurs ont fait leur travail, bon pied bon œil. Les résultats sont transmis au speaker, qui s’apprête à lâcher une véritable bombe : «Résultats du sixième quarts de finale du 400 m. Premier, Josef Imbach, Suisse, 48 secondes, nouveau record du monde !!!». Mon dieu, mais c’est fou ! Tout le monde est pris de court, spécialement du côté des journalistes, qui n’ont évidemment pas Internet pour vérifier l’info. Il y a heureusement les érudits de l’athlétisme qui parviennent rapidement à élucider l’affaire. En 1924, le record du monde officiel du 400 m appartient à l’Américain Ted Meredith avec 47″4, mais ce chrono avait été réalisé le 27 mai 1916 à Cambridge (USA) à l’occasion d’un 440 yards. Lorsqu’on sait que 440 yards sont équivalant à 402,34 m, on se pose la question de savoir pourquoi on attribue un record du monde à Josef Imbach. C’est simple : les 48″0 du coureur du CA Genève permettent d’améliorer les 48″2 que l’Américain Charles Reidpath avait réalisé le 13 juillet 1912 en finale des Jeux Olympiques de Stockholm sur un vrai 400 m. Ce cas est donc très épineux mais, dans l’Histoire, l’I.A.A.F. ne va se rappeler que des 47″4 de Ted Meredith et ignorer tous les autres chronos supérieurs. Il faudra attendre quatre ans pour voir l’Américain Emerson Lane Spencer réussir 47″0, le 12 mai 1928 sous le soleil californien de Palo Alto. Pour Josef Imbach, ce qui est sûr, c’est qu’il vient de signer un nouveau record suisse en battant d’une seconde et quatre dixièmes les 49″4 qu’il avait réussi le 3 septembre 1922 à Francfort. Le record olympique est également entériné par le C.I.O.; c’est toujours ça de pris !
PAB
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