ATHLE.ch VINTAGE | TIMELINE LES RECORDS DU MONDE DE L'ATHLÉTISME SUISSE / EPISODE 7 | Tout au long de l'Histoire de l'athlétisme suisse, de magnifiques performances ont été réalisées, mais rarement au point d'en devenir un record du monde. ATHLE.ch VINTAGE revient sur la carrière des onze athlètes suisses qui ont réussi à graver une fois ou l'autre leur nom sur les tablettes sacrées de l'athlétisme mondial. Le septième des neuf épisodes de ce dossier est consacré à Werner Günthör, qui a battu le record du monde du lancer du poids en salle en 1987.

Au début des années ’80, un jeune lanceur du TV Uttwil nommé Werner Günthör décide de quitter le Bodensee pour s’entraîner à Macolin, où il est pris en charge par Jean-Pierre Egger. C’est le début d’une fantastique histoire qui va conduire le Thurgovien au firmament du lancer du poids mondial. Face à la concurrence féroce des lanceurs d’Allemagne de l’Est, des États-Unis, d’Union Soviétique ou d’Italie, le Suisse sera pendant dix ans – de 1983 à 1993 – en permanence au cœur d’un âpre combat de titans. Ses débuts internationaux se déroulent en 1983 lors des championnats du monde à Helsinki où il termine quinzième. Vice-champion d’Europe indoor l’année suivante à Göteborg, le jeune Thurgovien se classe ensuite cinquième des Jeux Olympiques à Los Angeles. Ses performances se situent régulièrement au-delà de la ligne des 21 m en 1985, ce qui lui permet d’être au contact avec les meilleurs. Mieux, en 1986 il bat tout le gratin aux Européens indoor à Madrid, puis l’été venu il devient champion d’Europe à Stuttgart avec 22,22 m; les Allemands de l’Est Ulf Timmermann et Udo Beyer n’en reviennent toujours pas !

Devenu sportif suisse de l’année avec un très gros écart, Werner Günthör s’apprête à prendre part à une saison 1987 en salle qui va être lourde et importante avec les championnats d’Europe et, pour la toute première fois de l’Histoire, les championnats du monde. Pour ne pas allonger inutilement cette saison hivernale, Werner décide de réserver sa rentrée pour les championnats suisses à Macolin. Le colosse Thurgovien, qui s’est rendu à deux reprises depuis le début de l’année à Lanzarote (Îles Canaries), est attendu avec intérêt car certains l’auraient vu dépasser allègrement les 21 mètres sans élan à l’entraînement. On imagine sans grande difficulté que les 22 mètres sont d’ores et déjà sa portée et qu’il n’est même pas utopique de parler d’un record du monde en salle possible. En effet, on rappelle que celui-ci est détenu par l’Allemand de l’Est Ulf Timmermann avec 22,15 m. «Tout à fait à ma portée», dit Werner, approuvé en cela par son entraîneur, Jean-Pierre Egger. Mais je dois reprendre contact avec la compétition. Il n’est donc pas sûr que ce sera pour ce week-end. Günthör s’est fixé deux buts progressifs après les championnats suisses : défendre son titre européen à la fin février à Liévin et tenter de conquérir le titre mondial au début du mois de mars à Indianapolis : «Ma saison 1987 comporte deux grandes vagues. Indianapolis est au sommet de la première et les championnats du monde en plein air de la fin août à Rome sont au sommet de la seconde. Günthör, meilleur sportif suisse de l’année, mérite d’être vu et applaudi. Revenu la veille de son second camp d’entraînement de Lanzarote, il fait donc sa rentrée le 8 février à Macolin. Dans une salle comble, il débute modestement son concours avec un jet à 20,63 m, puis il enchaîne avec un encourageant 21,10 m. Nerveux, il se montre irrité et se fâche contre lui-même. Heureusement à son troisième essai, il réussit un très prometteur 21,68 m, ce qui a le don de le réveiller et de faire saliver le public en voyant sa progression régulière dans ce concours. Pour sa quatrième tentative, toutes les activités dans la salle de la Fin-du-Monde se sont interrompues. Il n’y a soudain plus un bruit dans la salle. La tension est à son comble car personne ne veut rater cet essai. Comme à Stuttgart, force et dynamisme sont les maîtres-mots. C’est ainsi que le poids s’envole à une vitesse folle et atterrit sur le tapis, tout proche de la barrière d’en-face. La clameur des spectateurs en dit long sur la performance atteinte par Werner Günthör. Les juges de concours, sous les yeux avisés des juges-arbitres, mesurent et remesurent la distance. Pas de doute, il vient de se passer quelque chose de grandiose. Le verdict finit par tomber : 22,26 m, record du monde en salle !!! Werner est aux anges; il vient de battre le record de Timmermann de 11 centimètres. Le public est en délire, jamais il n’y avait eu une telle ferveur dans cette salle.

D’habitude après ce genre d’exploit, l’athlète se déconcentre et perd ses moyens. Mais là, c’est de Werner Günthör dont on parle ! Très fort, trop fort, il engage son cinquième essai de la même façon et récolte une autre performance de super choix : 22,23 m ! Lancer à deux reprises plus loin que l’ancien record du monde, c’est tout à fait phénoménal et ceci démontre bien le niveau hors du commun atteint par le double champion d’Europe cet hiver. Pour la postérité de sa série, il faut encore signaler que son dernier essai est retombé à 20,90 m. Werner Günthör s’est donc approprié le record du monde en salle du lancer du poids avec un jet de 22,26 m. Car oui, depuis le 1er janvier de cette année, on ne parle plus pour l’athlétisme en salle de meilleure performance mondiale, mais bien de record du monde ! Werner Günthör est donc le troisième athlète suisse à établir un record mondial, après Ilsebill Pfenning (SA Lugano) au saut en hauteur avec 1,66 m en 1941 et Meta Antenen (LC Schaffhausen) au pentathlon avec 5’046 points en 1969. Ce record du monde, bien sûr, était dans l’air. Mais comme rien n’est jamais programmé avec certitude – c’est ce qui fait la beauté de la compétition – personne ne pouvait juger de rien, même pas l’intéressé lui-même : «Depuis Stuttgart, tout a tellement tourbillonné autour de moi que j’ai l’impression de suivre, encore, le cours d’un rêve. Et pourtant, croyez-moi, mes résultats ne me tombent pas du ciel : ils sont le fruit d’un travail dur et terriblement astreignant. Mais la compétition, c’est le moment fatidique de la récolte. Pendant un quart d’heure, aujourd’hui, j’ai réellement craint qu’elle soit légère et de mauvaise qualité. Puis je me suis souvenu des dizaines de tonnes de fonte que j’ai levées durant tout cet hiver pour me faire des muscles de recordman du monde. C’est comme si je m’étais donné une gifle pour me réveiller. J’ai retrouvé mon équilibre et les choses se sont alors enchaînées comme elles le devaient». C’est en apprenant à se battre lui-même, quand il est seul, que Werner Günthör se met en mesure de battre ses adversaires, qu’ils soient présents ou pas.

La suite de la carrière de Werner Günthör va être tout à fait incroyable. Il décroche d’abord deux médailles d’argent aux Européens à Liévin et aux Mondiaux à Indianapolis. Le début de l’été est également fantastique avec des records suisses à 22,43 m à Lüdenscheid et à 22,47 m à Helsinki. Aux championnats du monde de Rome, le recordman du monde Italien Alessandro Andrei est favori; malgré les sifflets des Tifosi, Günthör devient champion du monde ! La machine, parfaitement huilée jusqu’alors, se grippe avec des douleurs récurrentes au dos. Il parvient pourtant à revenir en super forme le 23 août 1988 à Berne où il lance coup sur coup 22,70 m et 22,75 m, soit la 3ème performance mondiale de tous les temps. Aux Jeux Olympiques à Séoul, il décroche une belle médaille de bronze derrière Ulf Timmermann et Randy Barnes. La saison 1989 le voit encore lancer un excellent 22,18 m à Berne et remporter la 2ème place de la Coupe du monde à Barcelone. En mars 1990, c’est la tuile : il doit se faire opérer du dos et sa saison est compromise. Dans le même temps, il est pris dans une tourmente médiatique orchestrée par le journal Der Spiegel. Il répond de la meilleure des façons lors de son retour en 1991 avec des victoires aux Mondiaux indoor à Séville et en plein air à Tokyo. Alors que tout indique qu’un titre olympique lui soit promis, Werner Günthör doit subir les nouvelles foudres du Spiegel. Déstabilisé, le colosse Thurgovien se rate lors des Jeux Olympiques de Barcelone en 1992 en n’obtenant que la quatrième place du concours. Il réalise une ultime saison en 1993, celle qui lui permet de décrocher à Stuttgart son troisième titre mondial. Werner Günthör, affectueusement surnommé « Kugel Werni » en Suisse Alémanique, restera à jamais l’un des sportifs suisses les plus connus et les plus titrés de l’Histoire du sport suisse.

PAB

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Les records du monde de l'athlétisme suisse

EpisodeAthlèteRecordAnnéeSitePDF
AccueilLes records du monde suisses
Episode 1Josef Imbach100 m
400 m
1920
1924
Episode 2Paul Martin600 m1925
Episode 3Francesca Pianzola
Louise Groslimond
Adrienne Kaenel
Javelot "two-handed"
Disque"two-handed"
Triple
1922-1925
Episode 4Ilsebill PfenningHauteur1941
Episode 5Meta AntenenPentathlon1969
Episode 6Edy HubacherPoids (décathlon)1969
Episode 7Werner GünthörPoids en salle1987
Episode 8Julien Wanders5 km sur route2019
Episode 9Simon EhammerLongueur (heptathlon en salle)
Longueur (décathlon)
2022

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