De nos jours, le Lausannois Paul Martin suscite toujours l’admiration. Comment peut-il en être autrement lorsqu’on se penche en détail sur son palmarès ? Olympien à cinq reprises (d’Anvers 1920 à Berlin 1936), il a su mettre à la lumière de l’idéal olympique son talent d’athlète au grand cœur. Né le 11 août 1901 à Genève, le jeune « Paulet » débute l’athlétisme en 1918 du côté de Vidy. Deux années suffisent pour le voir remporter le titre suisse et le record national du 800 m, succès qui lui permettent de représenter les couleurs helvétiques aux Jeux Olympiques 1920 à Anvers. Arrivé malade en Belgique, le Lausannois Paul Martin se bat avec courage et malgré une sixième place synonyme d’élimination, son temps est excellent : 1’59″0, record suisse battu de près de trois secondes. Sa vocation de coureur olympique est lancée et il attend maintenant avec impatience les J.O. de Paris. Durant cette olympiade, il réussit de beaux exploits, à l’image de ce jour de juillet 1921 à Lyon où il pulvérise le record suisse du 800 m en 1’56″8. Invaincu en Suisse durant deux ans, il accepte volontiers la confrontation face à Willy Schärer, notamment lors des championnats suisses 1923 au stade du Eichholz à Berne. La finale du 1500 m tient toutes ses promesses et au terme d’un sprint de folie, les deux athlètes terminent ex-aequo avec un record suisse en 4’04″5. En grand gentleman, le Lausannois renonce au titre en faveur de son adversaire Bernois !
Son moment de bravoure absolu, il le réalise le 8 juillet 1924 au stade de Colombes à Paris, lors d’une somptueuse finale olympique du 800 m. Cette course épique – racontée de manière homérique par le dramaturge André Obey dans son livre « L’orgue du stade » – lui permet de remporter la médaille d’argent en 1’52″5, à un dixième du vainqueur, le Britannique Douglas Lowe.
Après sa finale héroïque du 800 m aux Jeux Olympiques de Paris, la notoriété de Paul Martin est montée en flèche. En surfant sur la belle plénitude de ses moyens physiques, le Lausannois a pu vivre pleinement son sport aux quatre coins de l’Europe. En 1925 à Paris, nos deux vice-champions olympiques Paul Martin et Willy Schärer s’affrontent sur un 1000 m de prestige, ce qui débouche sur un fantastique record suisse en 2’28″8 en faveur du Lausannois. Dans la foulée, Paul se rend en Finlande où il est accueilli et logé par Paavo Nurmi, le maître incontesté du demi-fond et du fond mondial ! Le contact entre les deux hommes est remarquable et le jeune Suisse apprend une quantité de « secrets » qui lui serviront pour la suite de sa carrière, notamment le fait qu’il n’y a pas de saison morte en hiver pour l’entraînement ! Durant cette tournée – dont il est la vedette en compagnie du sprinter Américain Charlie Paddock et du coureur de 400 m Néerlandais Adrian Paulen (photo ci-contre) – Paul restera invaincu. Deux courses méritent d’être mentionnées : ses 1’54″2 sur 800 m le 20 juillet 1925 à Helsinki et surtout ses 1’20″2 sur 660 yards (603,504 m) réalisés trois jours plus tard à Kotka, soit une performance qui lui permet de battre de deux dixièmes le record du monde de l’Américain Homer Baker (1’20″4 en 1914). Ce chrono est également admis comme étant la meilleure performance mondiale de tous les temps sur 600 m en 1’20″1.
Après un retour en Suisse pour les championnats nationaux à Lausanne-Pontaise, il reprend le chemin de Paris pour courir un nouveau 800 m. Le 9 août au stade de Colombes, il réalise le deuxième chrono de sa carrière en 1’53″2, soit la cinquième performance mondiale de l’année. Le projet suivant du Lausannois est de se déplacer prochainement aux Etats-Unis. Il annonce aux dirigeants de l’A.F.S.A. qu’il ne pourra pas participer au match face à l’Allemagne à Bâle. Ceci n’a pas été du goût des instances, qui l’ont immédiatement suspendu pour douze mois ! La stupeur est si grande en ville de Lausanne, que les journalistes n’hésitent pas à monter aux créneaux en signe de protestation. Finalement l’affaire Martin connaît son dénouement en fin d’année, lorsque l’A.S.F.A. décide sagement de lever la disqualification.
La seconde partie de la carrière de Paul Martin passe à nouveau par le stade de Colombes à Paris en septembre 1926, où il court un 800 m en 1’53″0 (à ce moment-là le record du monde d’Otto Peltzer est de 1’51″6). Après avoir obtenu son diplôme en médecine en 1927, Paul Martin entame sa préparation pour sa troisième quête olympique. À Amsterdam, il ambitionne de courir sur 800 m et sur 1500 m. Sur la plus courte distance, il s’en sort très facilement en séries, mais il doit déchanter le lendemain lors d’une demi-finale ardue. Battu par l’Américain Lloyd Hahn, le Canadien Phil Edwards et le Français Séra Martin, Paul Martin se classe quatrième en 1’53″3. Il peut se tourner vers le 1500 m pour laver sa grosse déception, mais l’immense débauche d’énergie dépensée lors du 800 m ne lui permet pas de terminer mieux que sixième de la finale en 3’58″4. En grand connaisseur de l’athlétisme, l’ancien recordman du monde du 100 m Charlie Paddock donne son avis suite à cette finale : «Je n’en reviens pas de la course de Paul Martin. Je suis convaincu qu’avec sa vitesse et son endurance, Paul aurait dû se spécialiser sur cette distance. S’il l’avait fait, il aurait été champion olympique du 1500 m…». Cette affirmation donne de l’eau au moulin de la presse suisse qui, même si elle félicite leur compatriote pour cette belle sixième place, n’en démord pas et pense elle aussi que Paul Martin aurait dû se préparer uniquement sur 1500 m. Ce goût d’inachevé, il va l’atténuer un mois plus tard à Paris où, plus fort que jamais, il court d’abord un 400 m en 47″8, puis un 800 m en 1’51″8, soit le même chrono que le record olympique établi quelques semaines auparavant par Douglas Lowe à Amsterdam !
On l’a dit, le docteur Paul Martin aime voyager. En 1929 il se rend en Grèce pour un pèlerinage aux sources de l’olympisme avec son club. Il traverse ensuite l’Atlantique pour un séjour bien sûr sportif, mais également professionnel puisqu’en tant que chirurgien, il devient à New York l’assistant du célèbre professeur Albee, l’inventeur de la greffe osseuse. Surnommé « The Flying Surgeon » (le chirurgien volant) par la presse yankee, Paul Martin est l’un des premiers à avoir compris combien est grande l’avance des Américains en matière de sport de compétition. Son titre de champion des Etats-Unis des 1000 yards indoor en 1930 en donne ainsi encore plus de valeur. Le Lausannois participe à deux autres Jeux Olympiques, ceux de Los Angeles en 1932 et ceux de Berlin en 1936, les deux fois avec des éliminations en séries du 1500 m. Après sa carrière sportive, Paul Martin écrit deux livres de qualité : « Au dixième de seconde » et « Le sport et l’homme ». Il reste en prise directe avec le monde du sport, participant lui-même à de nombreuses courses populaires, que ce soit à pied ou en skis de fond. Visionnaire, il met sur pied en 1957 au stade Olympique de la Pontaise, le « Meeting USA », devançant ainsi de 20 ans la première édition d’Athletissima. Oui, Paul Martin fut constamment en avance sur son temps, même si Douglas Lowe lui brûla la politesse, un jour de juillet 1924 à Colombes.
PAB
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