ATHLE.ch VINTAGE | BIOGRAPHIE PHILIPPE CLERC / ÉPISODE 3 | Au milieu des années '60, un athlète fort prometteur nommé Philippe Clerc débarque au Stade Lausanne. Très vite le jeune sprinter va progresser en autodidacte pour devenir l'un des cadors du sprint mondial de 1969 à 1972 ! ATHLE.ch «VINTAGE propose de revivre la carrière exceptionnelle d'un athlète pris entre les deux feux de ses études de médecine et du top niveau mondial du sprint. Le troisième des quinze épisodes de cette biographie est consacré à la première partie de la saison 1967, qui voit Philippe Clerc planer sur le sprint helvétique, comme un albatros sur le Léman.

Si l’ascension de Philippe Clerc en 1966 a semblé rapide, elle n’en a pas moins été régulière. C’est que le sprinter de Territet possède, en plus des qualités de base, une excellente décontraction et une coordination des gestes qui lui permettent d’assimiler rapidement tous les mouvements, dans un style que beaucoup comparent – à juste titre – à celui de Livio Berruti. Aux Jeux Olympiques de Rome en 1960, cet étudiant en chimie Italien de 21 ans avait couru le 200 m en 20″5 lors des demi-finales, égalant ainsi le record du monde. Avec ses lunettes noires, Berruti rééditait en finale son chrono de 20″5 et remportait le titre olympique en battant les favoris américains.
Sans brûler les étapes, le jeune Lausannois de 20 ans (rappelons qu’il est né le 24 décembre 1946) vient de passer une période de préparation hivernale assez intense. Sous la houlette de Dave James, il s’est beaucoup et bien entraîné. Ainsi il est temps de voir comment il va en cueillir les fruits. Le 19 février, il se rend à Lyon pour une réunion en salle organisée au Palais de Sports. C’est un peu nouveau de courir en hiver, mais au fond pourquoi pas ? Sur 60 yards, Dave James gagne en 6″2 juste devant son élève Philippe Clerc qui est crédité d’un chrono de 6″4. La mise en action de ce dernier, bien qu’améliorée, reste toujours un point de perfection évident. Cette compétition de contrôle a surtout montré au duo James / Clerc qu’il se trouve actuellement sur les bons rails.
Le 21 avril, la Télévision Romande consacre son émission « Avant-première sportive » à Philippe Clerc. Intitulée « un autre médecin volant au stade ? », voici comment le journaliste Boris Acquadro introduit cette émission : «13″8 sur 80 mètres à 14 ans, ce n’est même pas un résultat moyen; c’est un temps franchement mauvais, qui correspond à peu près à 16″0 sur 100 mètres. Et un jeune homme qui court le 100 mètres en 16 secondes ne prouve pas de qualités pour le sprint, ni même pour l’athlétisme en général. Mais, six ans plus tard, ne voilà-t-il pas que ce jeune Vaudois inflige le plus cinglant démenti à ces constatations en s’installant d’autorité parmi l’élite des coureurs suisses. Philippe Clerc, puisque c’est de lui qu’il s’agit, décroche le titre national sur 200 m à Lugano! Sa meilleure performance sur 100 m : 10″5. Cet étonnant athlète a donc progressé de près de six secondes en six ans. Une moyenne d’une seconde par année ! C’est en 1963 que Philippe Clerc a fait un bond en avant; la réelle découverte de l’athlétisme et de ses joies. Cette année-là, il a passé de 12″5 à 11″3 sur 100 mètres. Et depuis, la progression que l’on connaît. Tout en poursuivant son entraînement, Philippe Clerc a d’ailleurs commencé ses études de médecine, dont il a subi avec succès le premier examen. Il accorde davantage d’importance à sa future profession qu’au sport, tout comme du reste le fameux Dave James, dont il a beaucoup appris et qui en est, lui, à la partie pratique des études de médecine. Un Dave James que l’on retrouvera aussi à l’occasion de ce sujet, tout comme le célèbre Dr Paul Martin qui fut, lui aussi il y a quelques années, étudiant en médecine et nommé lors de son séjour en 1930 aux États-Unis « The Flying Surgeon ». Une discussion avec Philippe Clerc, jeune homme intelligent qui a la tête sur les épaules, ne peut être qu’intéressante. Peut-être saura-t-il nous expliquer le pourquoi de ses résultats sportifs surprenants. Mais peut-être que finalement, en plus des dons, c’est aussi une question psychique. Comme le dit Dave James, le 100 mètres c’est vouloir aller vite…».

Un début de saison impressionnant sur 100 m
Après la salle et les plateaux TV, il est temps maintenant d’aborder l’essentiel : la saison sur piste 1967. Celle-ci débute le 6 mai à Lyon, à l’occasion des championnats académiques français. Sur une mauvaise piste, Philippe Clerc remporte le 100 m en 10″8. La semaine suivante, le 13 mai à Fribourg, il s’améliore avec 10″7, puis il étonne en courant un très bon 300 m en 34″2. Le 20 mai se déroule à Vidy la première journée du Disque d’Or, qui va être marquée d’une pierre blanche. En effet, le 100 m donne l’occasion pour Philippe Clerc de battre pour la première fois son entraîneur Dave James. Dans un processus de métamorphose, il était évident qu’un jour l’élève allait dépasser le maître. Pourtant, malgré ce succès de prestige en 10″6 contre 10″7, Clerc n’est pas satisfait : «Le départ a été quelque peu douteux et ma fin de course n’a pas été bonne. Je me suis raidi et j’avais l’impression de ne plus avancer». Dans le relais 4 x 100 m qui clôt ce meeting, Philippe Clerc retrouve un relâchement qui le satisfait pleinement. Quant à son entraîneur, il a accepté la défaite avec le sourire, tout en se disant qu’il va pouvoir prendre sa revanche le lendemain lors du meeting national de Thoune. Au Lachen Stadion, il est vrai que Dave James a pu améliorer nettement son meilleur chrono de la saison en 10″4, mais il a de nouveau dû subir la loi de son jeune challenger. Ce qui veut dire que le chrono de ce dernier doit être monstrueux… Il l’est, en effet, car en 10″3 (+1,0 m/s), Philippe Clerc vient d’égaler le record suisse de Heinz Müller (trois fois en 1960) et de Max Barandun (en 1964 et en 1965) ! Cette performance n’est pas surprenante à vrai dire. Elle vient peut-être plus tôt qu’on ne le prévoyait. Simplement Philippe Clerc est un athlète de grand avenir, cela se confirme de plus en plus. Ces 10″3 constituent tout de même une performance de bonne valeur européenne, si l’on pense qu’un homme comme le Français Roger Bambuck vaut officiellement 10″2. Néanmoins avant d’escalader un nouveau palier, Clerc devra confirmer, courir plusieurs fois en 10″4, acquérir une grande régularité dans des chronos de bonne valeur; c’est aussi très important. Pour parfaire sa condition physique, Philippe a encore couru un 400 m en 50″5, un chrono honorable. Dès lors on attend avec une certaine impatience ses prochaines sorties sur 200 m.
Après son étonnante performance de Thoune, Philippe Clerc prend part le dimanche 28 mai aux championnats vaudois à Lausanne. Les récentes pluies n’ont pas trop endommagé la piste du stade Olympique de la Pontaise, donc on est en droit d’attendre un nouvel exploit du Stadiste. Néanmoins, en sprint plus encore que d’autres disciplines, les records ne viennent pas sur commande. La finale du 100 m de ces championnats vaudois est pourtant explosive. Le départ de James est comme d’habitude excellent, mais cette fois-ci Clerc a bien réagi. Après quinze mètres, les deux hommes sont sur une même ligne, mais l’Américain produit son effort et distance quelque peu son adversaire. Va-t-il prendre sa revanche sur les deux courses du week-end passé ? La réponse tombe négativement car Philippe réagit brutalement, remonte Dave et lui flanque un mètre dans la vue dans les dernières foulées. Deux chronomètres se sont arrêtés à 10″3 et un troisième à 10″4. Le record suisse est donc égalé pour la seconde fois en sept jours par Philippe Clerc. Une heure plus tard, les deux sprinters du Stade Lausanne sont à nouveau en lice sur 200 m, mais hors concours car ils ne se sont pas inscrits à temps pour cette épreuve. Cela ne les empêche pas de réaliser une très bonne course et à Clerc d’égaler son record personnel en 21″2, soit la meilleure performance suisse de la saison. Pourtant ce 100 m a été beaucoup moins beau que le 100 m. Clerc l’a couru en sautillant légèrement et en rentrant un peu la tête dans les épaules dans les derniers décamètres. Mais enfin, pour sa première apparition de l’année sur cette distance, le résultat ne manque pas d’être satisfaisant. L’an dernier, en se battant avec la cendrée, Clerc obtenait 22″0 ou 22″2. Aujourd’hui, il fait 21″2 dans les mêmes conditions. On mesure bien le chemin parcouru depuis sa victoire aux championnats suisse de Lugano.

Comme un albatros sur le Léman…
Michel Busset, journaliste à la « Feuille d’Avis de Lausanne », signe le lendemain un très joli papier au titre évocateur : « Comme l’albatros sur le Léman… ». En fait il s’agit là du premier article d’une longue série sur son ami Philippe Clerc. En effet, Michel Busset ne quittera plus d’une semelle le sprinter lausannois, devenant son confident et même son sparring-partner dans certains entraînements de résistance. Voici son texte : «Impressionnant. Un adjectif qui est moins galvaudé que certains autres comme étonnant ou extraordinaire. Son utilisation n’en prend que plus de poids et dans le cas de Philippe Clerc, il colle parfaitement. Le 100 mètres couru hier par le Stadiste dans le cadre des championnats vaudois, fut un petit chef-d’œuvre. Non pas à la manière de Bob Hayes, ce laboureur de cendrées, plutôt à celle de Livio Berruti. Mais à quoi bon chercher des points de comparaison ? Clerc a maintenant dépassé ce stade de l’espoir du sprint helvétique qu’il était et impose son propre style : une souplesse presque féline, une beauté esthétique qui le distingue du commun des sprinters comme l’Albatros se distingue du Simplon en glissant sur les eaux du Léman. Philippe Clerc est un coureur de grande valeur, qui vient d’accéder en sept jours au niveau européen. Après Thoune, on a pu être surpris; après les 10″3 de la Pontaise, on en est convaincu. Clerc a bien franchi une étape importante dans sa carrière. Toutefois, si un tel présent aurait de quoi satisfaire plus d’un athlète, c’est vers l’avenir que Clerc va se tourner. Cet avenir, c’est 10″2, ce sont les Universiades de Tokyo, ce seront ensuite les Jeux Olympiques de Mexico. Ce n’est pas être présomptueux ou vouloir demander toujours plus à l’athlète du Stade Lausanne que de dire qu’il réalisera 10″2; nous ne sommes pas de ceux qui sautent sur l’occasion pour prédire à un sportif des sommets qui lui sont momentanément inaccessibles. C’est simplement prévoir l’évolution normale d’un garçon pétri de qualités. Cette nouvelle escalade s’effectuera peut-être plus tard dans la saison, voire l’an prochain. Cela n’a finalement qu’une importance secondaire pour cet étudiant âgé de 21 ans. Même si Clerc réalisait lors de ses prochaines sorties des temps de l’ordre de 10″5, nous ne changerions pas d’avis. Ce que Clerc vient de réaliser en une semaine, il ne peut pas le répéter tout au long d’une saison. Le but essentiel est atteint : Clerc a prouvé qu’il n’avait jamais été le faux champion de Lugano, comme on l’a dit à l’époque outre-Sarine, et qu’il s’apprêtait à riposter à sa manière en dominant le sprint helvétique. À deux reprises il égale un record suisse, que Max Barandun n’avait pu obtenir que dans des conditions pour le moins suspectes. Clerc, sur le plan helvétique, n’est certainement pas près d’être battu, à moins d’une baisse de forme surprenante. Au fond, l’homme qui lui donnera encore le plus de fil à retordre cette saison, ce sera Dave James. L’Américain n’est pas encore en pleine condition et, dans une quinzaine de jours, il pourra faire jeu égal avec celui qui vient de le battre à quatre reprises. Philippe Clerc, qui n’a jamais fait partie de ceux qui se vantent de leurs victoires pour en annoncer de plus fracassantes, nous disait d’ailleurs hier : «J’avais encore un mètre d’avance sur James aujourd’hui. Mais, dans quelques temps, j’ai bien l’impression que nous partagerons les victoires».

Patience, Clerc se réalise comme un fruit qui mûrit
Pour sa première tentative de la saison dans le championnat suisse interclubs, le Stade Lausanne se déplace le 3 juin à Zurich pour y affronter le LC Zürich et le BTV Aarau. Philippe Clerc remporte le 100 m en 10″4 devant Dave James en 10″5 et Reto Diezi, la nouvelle pépite zurichoise, en 10″6. Si sa course a semblé manquer d’énergie, il en va tout autrement un peu plus tard sur un 200 m bouclé en 21″1. Ce nouveau record personnel prouve qu’il est actuellement, et de loin, le meilleur sprinter du pays. Philippe Clerc se réalise comme un fruit qui mûrit. Appliqué et sérieux, mais qui ne se prend pas trop au sérieux et qui ne se fait surtout pas du sport une montagne, Philippe court simplement parce qu’il aime la course et l’amitié. Il cherche à s’améliorer parce que c’est dans la nature des hommes ouverts et que s’améliorer, c’est enrichissant ! Le grand public commence lui aussi à se passionner pour ce sprinter vaudois et beaucoup se demandent quand il va battre le record suisse du 100 m. Logique au vu de ses 10″3 réussis à deux reprises en ce début de saison. Pourtant il faut laisser du temps à Philippe Clerc car de 10″3 à 10″2, il y a en réalité un bond énorme. Pour cent coureurs à 10″3,il n’y en a guère que dix à 10″2. Et à ce niveau-là, un dixième, ça compte. Il ne faut pas s’imaginer que l’on court en 10″2 à chaque fois qu’on en a l’intention. Il faut donc laisser Clerc faire son petit bonhomme de chemin; de toutes façons le fruit finira bien par être mûr prochainement…
Au lendemain des CSI, les meilleurs sprinters helvétiques se retrouvent à Aarau pour participer à une épreuve de sélection en vue de former l’équipe nationale qui se rendra dans deux semaines à Athènes pour une rencontre éliminatoire comptant pour la Coupe d’Europe des nations. Le Stadiste Philippe Clerc s’impose nettement sur un 100 m couru en 10″5 dans de mauvaises conditions de température et de piste.
Le 16 juin se déroulent à Genève les championnats suisses universitaires et c’est sans surprise qu’on retrouve Philippe Clerc sur la plus haute marche du podium du 100 m. Malgré un mauvais départ, il obtient un nouveau chrono de 10″5.
Les compétitions intéressantes s’enchaînent puisque le week-end des 18 et 19 juin ont lieu à La Chaux-de-Fonds les championnats suisses de relais. Pour la prometteuse finale du 4 x 100 m, la question qui revient dans les travées du stade de la Charrière est de savoir si le Stade Lausanne peut battre le LC Zürich. Avec deux jeunes dans l’équipe, Jean Auberson et Nekrouf, et Dave James diminué par une blessure lors des suisses universitaires, la tâche de Clerc pour revenir dans la dernière ligne droite sur Peter Laeng est une mission impossible : «Je m’étais pourtant préparé moralement à recevoir le témoin avec presque cinq mètres de retard sur Laeng. J’étais prêt à rattraper un tel handicap et je crois que c’était possible. Malheureusement j’ai reçu le témoin avec en tout cas huit mètres de retard». Il n’a manqué finalement que trois dixièmes avec 41″3 pour le LCZ et 41″6 pour le SL.
Les 24 et 25 juin à Athènes, l’équipe suisse se bat lors de l’éliminatoire de la Coupe d’Europe contre la Grèce, l’Espagne et le Portugal. Philippe Clerc, dans le style des grands jours, apporte trois victoires à son pays, mais il a fallu lutter face au puissant Grec Haralabos Aivaliotis. Samedi, le Lausannois s’impose en 10″5 sur 100 m, puis avec Markus Bieri (BTV Aarau), Reto Diezi et Max Barandun sur 4 x 100 m en 40″8. Dimanche pour le 200 m, avec l’aisance qui le caractérise, il gagne de manière indiscutable en 21″1, record personnel égalé. À l’image de Clerc, la Suisse a été brillante et elle se qualifie facilement pour les demi-finales qui auront lieu dans un mois à Duisbourg; ce sera une autre paire de manche face à des nations nettement plus huppées.

PAB

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Philippe Clerc

TitreSaisonThèmeSitePDF
Accueil1961-1975Philippe Clerc, sur la voie express
Episode 11961-1965Les années jeunesse
Episode 21966Avènement au niveau national
Episode 31967Comme un albatros sur le Léman
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