ATHLE.ch VINTAGE | BIOGRAPHIE PHILIPPE CLERC / ÉPISODE 4 | Au milieu des années '60, un athlète fort prometteur nommé Philippe Clerc débarque au Stade Lausanne. Très vite le jeune sprinter va progresser en autodidacte pour devenir l'un des cadors du sprint mondial de 1969 à 1972 ! ATHLE.ch «VINTAGE propose de revivre la carrière exceptionnelle d'un athlète pris entre les deux feux de ses études de médecine et du top niveau mondial du sprint. Le quatrième des quinze épisodes de cette biographie est consacré à la seconde partie de la saison 1967, qui permet à Philippe Clerc de briller sur 200 m.

En attendant les échéances importantes du mois de juillet, Philippe Clerc s’aère l’esprit athlétique en participant au… saut en hauteur des championnats romands qui se disputent les 1er et 2 juillet à Fribourg. Bien sûr le but n’est pas de rivaliser avec Michel Portmann ou Gérard Dyens, les meilleurs sauteurs du moment. Il tient simplement à se dépasser lui-même et ses 1,70 m le satisferont pleinement. La diversité est peut-être le seul dénominateur commun de l’activité humaine. Clerc en donne une nouvelle preuve. Bien sûr il a également pris part aux deux épreuves de sprint, mais cela ne s’est pas vraiment passé comme prévu. Battu sur 100 m par Dave James (les deux sont crédités de 10″6), il a ensuite dû subir un fort vent contraire au 200 m (-2,4 m/s) et le chrono a été bien décalé avec 22″4. À deux jours du meeting international de Zurich, on aurait évidemment espéré pour lui des courses plus sereines, mais il n’a pas de quoi s’affoler non plus…
Philippe Clerc débarque le 5 juillet au Letzigrund avec à l’esprit l’idée de bien faire. Pourtant lors des demi-finales du 100 m, rien n’est allé pour le Lausannois, un brin nerveux en l’occurrence. Crédité d’un premier faux-départ, il est dans un même coup lors de la deuxième tentative, heureusement imputée au Français Berger. Au troisième start, Clerc sort de ses starting-blocks « à la Hary » (c’est-à-dire dans le coup de pistolet), mais les coureurs sont encore une fois rappelés. Le Lausannois disparaît d’une épreuve où il aurait pu jouer un rôle en vue. Avec le 200 m, qui compte pour la sélection européenne en vue du match contre les États-Unis à Montréal, Philippe Clerc a une occasion en or de se racheter, de montrer que l’aventure du 100 m n’avait été qu’un accident. En dépit d’un trac bien compréhensible, il gagne sa série en 21″1 aux dépends des Italiens Livio Berruti, champion olympique à Rome, et Sergio Ottolina, co-recordman d’Europe. Pour la troisième fois cette saison il se voit crédité d’un chrono de 21″1. Cette belle prestation lui vaudra de prendre part à l’ultime course de sélection européenne à Wuppertal. Ce meeting aura aussi permis de constater que des promesses semblent se concrétiser gentiment; laissons-les venir naturellement.
En guise de préparation à sa demi-finale de Coupe d’Europe, l’équipe suisse se rend les 8 et juillet à Amsterdam pour y affronter les Pays-Bas et la Belgique. Facile vainqueurs de ce match triangulaire, les Helvètes ont fait le plein de confiance. Philippe Clerc compte deux nouvelles victoires dans son palmarès avec 10″5 sur 100 m et 21″3 sur 200 m obtenus au chronométrage électrique et non manuel. Dans ce cas, on peut estimer qu’il aurait réussi 10″3 et 21″1 avec un temps pris à la main, comme lors de ses courses en Suisse. La grande forme est de plus en plus évidente pour Philippe Clerc et c’est la meilleure chose qui puisse arriver avant d’affronter les meilleurs européens sur 200 m à Wuppertal.
Avant cette belle échéance en Allemagne, le Lausannois se rend le 14 juillet à Saint-Gall et court un 100 m en 10″4, puis un 200 m en 21″2. Même si ces chronos sont bons, on peut se demander s’il n’avait pas été préférable de jouer la carte de la fraîcheur, quarante-huit heures avant sa course de sélection européenne ?
Le 16 juillet à Wuppertal, Philippe Clerc a donc l’honneur de participer au 200 m de sélection en vue du match USA vs Europe qui se disputera le 10 août prochain à Montréal. Le Lausannois doit cette invitation grâce à sa belle prestation lors du meeting de Zurich il y a deux semaines. Face aux meilleurs sprinters européens, Philippe termine au cinquième rang en 21″3. Ce n’est de loin pas une humiliation que de se faire battre par les Français Roger Bambuck et Marc Berger, par le Polonais Jan Werner (co-détenteur du record d’Europe) ou par l’Allemand de l’Ouest Gernot Hirscht. Il se dit que certains attendaient mieux; ceux-là même qui veulent aller sur Saturne sans avoir atteint la Lune… Quant au principal intéressé, très lucide, il explique sa course : «J’étais, je crois, en très bonne condition. J’aurais pu décrocher, disons une troisième place, peut-être la deuxième en 21″0, très objectivement. Mais je me suis crispé dans le virage et mes premiers 100 mètres ont été catastrophiques. Je suis entré bon dernier dans la ligne droite. J’ai mieux fini, mais la fable du lièvre et de la tortue n’a pas été démentie pour autant. Je me suis crispé par manque d’expérience, incontestablement. C’est pour cela que ce voyage de Wuppertal n’aura pas été inutile. Je sens que la forme revient». Pour arriver à un tel niveau, le Stadiste a quand même disposé au préalable des Italiens Sergio Ottolina et Livio Berruti, des Français Jean-Claude Nallet et Jocelyn Delecour et, à Wuppertal, du coureur de 400 m Polonais Andrzej Badenski (en bronze aux Jeux Olympiques de Tokyo en 1964 et en argent aux championnats d’Europe de Budapest en 1966). On peut affirmer sans trop se tromper que Clerc fait bel et bien partie désormais du top-6 européen sur le demi-tour de piste; c’est déjà très bien. Sera-t-il en mesure de progresser prochainement dans cette hiérarchie ? À court terme peut-être pas car le vaccin contre le choléra qu’il vient de subir (pour aller aux championnats du monde universitaires à Tokyo à la fin du mois d’août) provoque une réaction qui l’empêche de s’entraîner normalement durant les jours suivants.
Philippe Clerc, qui a tenté de récupérer au mieux durant la semaine, est engagé les 22 et 23 juillet avec l’équipe suisse du côté de Duisbourg pour les demi-finales de la Coupe d’Europe. Après avoir dominé la Grèce, l’Espagne et le Portugal il y a un mois lors des éliminatoires à Athènes, la tâche de nos compatriotes promet d’être bien plus compliquée en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, face à l’Allemagne de l’Ouest, la Grande-Bretagne, la Pologne, la Bulgarie et la Yougoslavie. Lors de la première journée, le Lausannois se ressent toujours des effets négatifs de son récent vaccin. Sans force au sortir des blocks sur 100 m, il se trouve en dernière position après vingt mètres de course. Au prix d’un formidable effort, Clerc parvient à arracher la troisième place en 10″5 (+1,3 m/s) derrière l’Allemand de l’Ouest Gert Metz en 10″3 et le Britannique Barrie Kelly en 10″4.Un autre troisième rang est atteint par le Lausannois avec le relais 4 x 100 m (Jules Jost / Ruedi Oegerli / Reto Diezi / Philippe Clerc) en 40″6. Le lendemain sur 200 m, il doit affronter notamment l’Allemand de l’Ouest Hans Nerlich et le Britannique Menzies Campbell, un épouvantail qui vaut 10″2 et 20″7. Comme la veille, le départ du Suisse n’est pas vraiment bon. Une belle sortie de virage et surtout une ligne droite remarquable sauvent la mise et permettent à Clerc de se classer deuxième en 21″4, derrière Nerlich (21″2), mais devant le fameux Campbell (21″6). La belle contribution du Stadiste pèse favorablement au classement final. En effet l’équipe suisse termine au quatrième rang de cette demi-finale en devançant la Bulgarie et la Yougoslavie.
Samedi 29 juillet, Philippe Clerc est présent à Pratteln pour une réunion nocturne où il devait, en principe, ne disputer que le 4 x 100 m avec ses coéquipiers Ruedi Oegerli, Reto Diezi et Jules Jost. Sa prestation ayant été excellente et vu aussi qu’il règne des conditions atmosphériques très favorables sur le petit stade de la banlieue bâloise, il est décidé qu’il s’aligne également sur 100 m et sur 200 m. Dans la première de ces courses, Dave James retrouve ses jambes des grands soirs, ce qui lui permet de triompher en 10″2 ! Battu pour trois dixièmes, Philippe Clerc n’est absolument pas content d’avoir dû subir un tel revers, ce d’autant plus que Ruedi Oegerli a lui aussi franchi la ligne quelques centimètres avant lui. Un peu plus tard, alors que le vent est toujours parfait dans la ligne droite, les deux Stadistes s’élancent dans leur 200 m, pour ce qu’on pourrait appeler une revanche. Désireux de battre son entraîneur, Philippe Clerc s’applique dans les cinquante derniers mètres, tout en se répétant intérieurement : «Tu vas le battre, tu vas le battre» ! Il continue sa chevauchée effrénée en observant son ombre sur la cendrée, pour ne pas faire de faute technique. Son esprit est résolument préoccupé par la victoire, qui se concrétise très nettement de surcroît. James étant en forme ce soir-là, on se dit que Clerc a peut-être réussi un très joli coup dans cette affaire. Quelque peu essoufflé, le duo de sprinters s’approche du journaliste Michel Busset et les trois attendent le verdict des chronométreurs. L’agitation des officiels ne trompe pas : une excellente performance chronométrique est sur le point d’être révélée. On parle de record, de 20″8 au plus mal (pour éviter toute mauvaise surprise). Clerc se montre déjà heureux; mais il exulte lorsqu’il entend le speaker du stade annoncer les résultats : «Erster, Philippe Clerc, Stade Lausanne, zwanzig komma sieben, Schweizer Rekord egalisiert !». Sous les vivats et les félicitations du public encore présent, Philippe Clerc réalise qu’il vient de marquer l’histoire de l’athlétisme suisse en égalant en 20″7 (+1,5 m/s) un fameux record suisse, celui de Peter Laeng réalisé en août 1962 à Zurich. Pendant ce temps-là, toujours très intéressé par les détails, Michel Busset est allé demander aux chronométreurs quels étaient les trois temps enregistrés : deux ont indiqué 20″7 et un autre 20″8. Cette fantastique performance du sprinter lausannois de vingt ans et demi lui fait prendre place parmi les cadors européens de la discipline. Le coup d’œil au bilan permet ainsi de voir Bambuck et Werner en 20″4, puis Campbell, Badenski et Clerc en 20″7. C’est contre ce genre d’athlètes que le p’tit Suisse de Territet va devoir croiser le fer désormais.
Une semaine se passe et l’excitation est toujours très grande autour des sprinters lausannois, qui se rendent le 5 août à Langenthal pour y affronter le champion de Grèce Haralabos Aivaliotis. Sur une piste à trois couloirs, très lourde après les récentes pluies, deux courses sont au programme : un 100 yards et un 100 m. Toujours en grande forme, Dave James s’impose en 9″7 et en 10″5. Battu de peu, le Grec est crédité de 9″7 et de 10″6, alors que Philippe Clerc doit se contenter de 9″8 et de 10″7, bien qu’il ait réussi à chaque fois de bons départs. Un peu au creux de la vague après avoir brillé de mille feux cette saison, il serait bien que Philippe fasse un petit break, histoire de récupérer de tant d’efforts. Tant mieux également qu’il ne se soit pas qualifié pour le 200 m du match USA vs Europe à Montréal. Car au-delà de la formidable expérience qu’aurait représenté cette prestigieuse compétition, un surplus de fatigue lui aurait certainement été néfaste pour la suite de sa saison. D’ailleurs au Québec, le vent contraire (-4,0 m/s) a plombé les chronos : l’Américain John Carlos s’est imposé en 20″58 devant le Français Roger Bambuck en 20″90.

Un scénario catastrophe à Celje
Les 12 et 13 août à Celje, l’équipe suisse est en lice pour y affronter la Yougoslavie. Supérieurs en Coupe d’Europe à Duisbourg, l’équipe dirigée par Armin Scheurer doit subir une étonnante défaite. Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, Philippe Clerc a certainement hypothéqué en Slovénie la fin de sa saison. Peu à l’aise dans sa mise en action sur 100 m, le Lausannois a essayé sans succès de revenir sur Ivica Karasi, vainqueur en 10″6. En fin d’après-midi lors du 4 x 100 m, Clerc entame le dernier parcours avec dix bons mètres d’avance sur son adversaire Yougoslave. Alors qu’il file certainement vers un chrono proche du record suisse, il est stoppé par un claquage à vingt mètres du but. Pour l’équipe, il tente de rallier l’arrivée sur une jambe, mais il se fait passer au dernier moment. Bien au-delà des points gâchés, on doit déplorer amèrement cet accident musculaire qui empêchera peut-être Philippe Clerc d’aller à Tokyo pour les championnats du monde universitaires. Sera-t-il rétabli assez tôt pour que son beau rêve se réalise ? L’intéressé reste tout de même optimiste deux jours plus tard : «Je suis allé voir le Dr Gianoli à Lausanne et il a qualifié ma blessure de petit claquage. C’est rassurant, mais je traîne toujours la jambe. En vérité, ce n’est que vendredi vraisemblablement que je serai fixé. À ce moment-là, si tout va bien, je pourrai recommencer à trottiner. Ensuite, comme dix jours séparent notre arrivée à Tokyo du début des Universiades, j’aurai le temps de me remettre en condition». On espère bien entendu que Clerc sera du voyage nippon car un tel contact avec quelques-unes des stars américaines sera intéressant pour lui, bien qu’il ne pourra pas nourrir les mêmes espoirs qu’avant son claquage.
Philippe Clerc est finalement retenu Tokyo. Le Dr Gianoli a convaincu les sélectionneurs de l’Association Sportive Universitaire Suisse que le sprinter lausannois ne participera qu’au 200 m, une course fixée plus tardivement que le 100 m. La délégation helvétique s’envole le 20 août de Kloten à destination de la capitale japonaise. Contrairement à ce qui avait été prévu pour lui, Philippe Clerc s’aligne tout de même sur 100 m, dont les séries se déroulent le 30 août. Dans sa course, où il est notamment opposé au prodige Américain Tommie Smith, il prend la troisième place en 10″9, se qualifiant ainsi pour les demi-finales. Au cours de celles-ci, son récent claquage réapparaît et il doit se contenter de la dernière place en 11″3, après avoir terminé en boitillant. Trois jours plus tard, contre toute attente, il prend part aux séries du 200 m. Sans forcer outre mesure, Clerc prend la quatrième place en 22″6, ce qui est tout de même suffisant pour passer en demi-finales. Trop meurtri pour assurer le coup, Philippe n’arrive plus à accélérer comme il le faisait encore si bien il y a un mois de cela. Dernier de sa course en 22″4, la coupe est définitivement pleine pour le sprinter du Stade Lausanne, qui ne méritait absolument pas un tel sort. Sa saison 1967 s’achève sur cette très mauvaise note. Cruel…

Un bond énorme dans les différents bilans athlétiques
Malgré une fin en véritable queue de poisson, la saison 1967 de Philippe Clerc aura été fantastique. Ses performances de 10″3 sur 100 m et de 20″7 sur 200 m lui ont permis d’égaler les records suisses, ce qui est la juste logique de sa progression amorcée depuis qu’il s’est retrouvé sous les couleurs du Stade Lausanne au début de la saison 1966. Il a surtout réussi à convaincre la presse suisse-allemande, dont le journal « Sport » qui a titré après son record de Pratteln : «Clerc : le doute n’est plus permis !».
Au-delà de nos frontières, la révélation de ce sprinter helvétique est également prise très au sérieux. Sur le plan européen, il pointait en 1966 au-delà de la 100ème place sur 100 m avec 10″5 et en 47ème position sur 200 m avec 21″2. Une année plus tard en 1967, le voilà 14ème sur 100 m avec 10″3 et 5ème sur 200 m en 20″7. Enfin au niveau mondial, s’il ne figure pas encore parmi les 150 meilleurs sur 100 m, il pointe par contre à une excellente 29ème position sur 200 m.

PAB

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