Kevin Mayer, Simon Ehammer : un vrai décathlon siouplaît ! Kevin Mayer a beau détenir depuis l’an passé le record du monde du décathlon, l'athlète le plus complet, polyvalent et équilibré de la planète s'appelle Curtis Beach ! Dans une chronique pleine de panache et d’inconvenance, le grand amoureux d’athlétisme Pierre-François Pahud explique pourquoi. Non sans revenir sur le jeune prodige suisse Simon Ehammer, qui vient de faire rêver l’Europe athlétique pendant… 9 épreuves à l’Euro U20. Texte à déguster sans modération.

Photo : (c) ATHLE.ch, Texte: Pierre-François Pahud

Curtis Beach est un inconnu. Il est de notoriété publique de le savoir. J’adore les inconnus. Surtout lorsqu’ils font du sport. Bien sûr, il y a sport et sport. L’athlétisme et le reste ; le nectar et la lie. Pas besoin de vous faire un dessin. Curtis Beach est un athlète. Un athlète inconnu donc. Ou presque. Et citoyen des Etats-Unis d’Amérique.

J’aime assez l’endroit. On y découvre plein de sports incompréhensibles et bien payés. Et on y retrouve aussi notre nectar sous diverses formes, mal payées pour la plupart, la plus impressionnante pour nous autres Européens étant l’activité athlétique universitaire. Or Curtis Beach est un produit de cette filière. Un touche-à-tout. Un comme je les aime. Qui n’a pas d’œillères. Qui sait que l’avenir est dans la diversité. Qui ne bétonne pas en défense mais attaque à tout crin.

Un vrai de vrai, qui parlait à l’oreille des chevaux
Curtis Beach est un décathlète. Un vrai de vrai. Un gars qui, gamin, avait l’habitude de parler à l’oreille des chevaux. Ceux de ses parents. A 16 miles/heure. Il courait, courait, les rattrapait, leur filait un ou deux mots doux à l’oreille avant de les laisser sur place. Bon, on ne connaît pas exactement les parts de légende et de vérité dans cette histoire. Peut-être que les chevaux le laissaient gagner pour avoir la paix. Peut-être que je l’ai embellie à l’insu de mon plein gré. Car il faut bien le dire, je manque d’objectivité sur ce coup-là. Je ne vous l’ai pas dit ? J’adore les mecs à plus de 8000 points. Bon, je préfère les nanas, c’est vrai. Mais là n’est pas la question. Curtis Beach est donc un décathlète, un vrai, inconnu, ou presque, à plus de 8000 points. Et je l’adore !

Performance de cadettes sur le 1500 m
Pourquoi je l’adore ? Réponse, sous forme d’une autre interrogation : faudra-t-il encore longtemps être obligés de voir ces athlètes extraordinaires que sont les décathlètes faire des prouesses neuf disciplines durant pour finir par se liquéfier sur la dixième avec des performances de cadettes, pardon, d’U16 ? Parce que là je dis : stop ! Ce manque de respect du décathlète (que pourtant j’adore, vous le savez) vis-à-vis du demi-fond me hérisse le poil à chaque fois que j’assiste à cette longue et lente procession se formant une fois le départ du 1500 m donné. Ont-ils compris, ces dieux du stade, qu’une fois le coup de pistolet donné, la période d’échauffement est terminée ? On peut légitimement se le demander… L’entrain du décathlète au moment d’aborder sa dernière épreuve n’a d’égal que celui que manifeste en quittant la pelouse le footballeur se faisant remplacer dans le temps additionnel alors que son équipe mène d’un but. C’est dire… Bref, vous m’avez compris, le décathlète fait vraiment pâle figure au moment de ce qui devrait être son bouquet final. Tellement que j’ai tendance à les appeler des « nonathlètes et demi ». Et encore, je suis gentil ; pour certains, le « demi », c’est vraiment cadeau !

Respect des 10 épreuves
Heureusement il y a des gars comme Curtis Beach, que j’adore, je vous l’ai dit, n’est-ce pas ? Curtis vaut 8084 points au déca. Et il court le 800 en 1’47 »36. C’est un gars qui a déjà couru le 1500 en moins de quatre minutes. Le mec, imaginez, il fait 8000 points et court 4′ au 1500 en déca ! Mayer a beau avoir le record de points sur un décathlon, pour moi, pas de doute, l’athlète le plus complet, le plus polyvalent, le plus équilibré sur cette planète s’appelle Curtis Beach ! Car lui respecte les dix épreuves du décathlon. Les perfs de cadettes, Curtis, il les laisse aux médiocres ; des médiocres se situant certes mille points plus haut que lui dans la hiérarchie du déca, mais médiocres quand même, dans la forme, le temps d’un 1500 m, et surtout dans l’esprit, le temps d’une carrière.

« Déca » signifie bien 10, non ?
Oui, je sais bien, pas grand monde ne va être d’accord avec moi. Surtout pas les entraîneurs de ces messieurs, exclusivement issus des disciplines techniques et donc des filières courtes. Ce manque d’imagination des acteurs des épreuves multiples vis-à-vis du 1500 m m’a toujours sidéré. Respecter cette dixième épreuve, pour un décathlète de niveau mondial, c’est à mon sens faire en sorte de l’accomplir en moins de 4’10 », voire 4’15 »-4’20 » pour les moins entreprenants. Au-delà, il perd beaucoup de sa crédibilité à mes yeux. Par contre, en tant que nonathlètes et demi, je suis d’accord pour reconnaître que Mayer et consorts en imposent. Mais « déca » signifie bien dix, non ?

Un peu de courage et d’ouverture d’esprit, siouplaît
C’est ainsi : j’adore le panache et les choses pas trop convenues. Car il n’y a rien de pire dans la vie que les idées reçues. Non, entraîner le 1500 mètres de manière efficace n’est pas pénalisant pour les autres disciplines si l’on s’en donne les moyens ! Cela demande certes une dose de courage supplémentaire, une certaine ouverture d’esprit également ; et surtout une véritable envie de s’améliorer dans une discipline que les décathlètes et leurs entraîneurs traînent derrière eux douze mois sur douze tels des forçats traînant leur boulet à la cheville. Un léger penchant « aventurier » sera un petit plus pour les candidats motivés. Ceux-ci ne se bousculent malheureusement pas au portillon. Avez-vous vu souvent des décathlètes se mettre au départ d’une course de demi-fond (600, 800, 1000 m) en meeting ? Pourtant, c’est ainsi que l’on peut commencer à apprivoiser ses angoisses, sa souffrance…

Vous n’entendrez peut-être plus jamais parler de Curtis Beach, athlète des Amériques inconnu ou presque. Mais vous aurez su, au moins une fois dans votre vie, à quoi ressemble un vrai décathlète. Et vous y repenserez, peut-être, avec un petit sourire quand votre écran plat, dans quelques semaines, vous restituera le martyre de quelques-uns un soir de décathlon du côté de Doha, le temps de presque cinq longues, très très longues minutes.

PS : Les filles ? Ctrl-C/Ctrl-V, mais au moins ça dure moins longtemps.

PS (bis) : Mise à jour post Euro U20. Vous risquez d’entendre encore souvent parler par ici de Simon Ehammer, nouveau champion d’Europe juniors, pardon, U20, de déc…nonathlon : 7851 points, avec des performances parfois époustouflantes. Un talent hors norme, certainement. Mais… 5’04 » au 1500 m. Quelqu’un pourrait-il lui signaler qu’à son âge (il n’est pas encore retraité non ?), courir le 15 cents en 4’40 » ne devrait pas être une tâche insurmontable ? Et qu’accessoirement, cela lui aurait valu de passer la barre des 8000 points (4’39″33 pour être tout-à-fait exact) ? Mais comme je vois qu’avant de remporter ce titre sa meilleure performance de la saison sur 1500 n’était que de 5’20 », cela démontre une fois de plus le peu d’intérêt que la plupart des soi-disants décathlètes portent à leur dixième épreuve, puisqu’ils ne la pratiquent jamais avec le sérieux requis, pas plus à l’entraînement qu’en meeting. Pas étonnant qu’ils crachent leurs poumons rien qu’à s’imaginer au départ du 15 cents ! Moi, ça me fait couiner…

PS (ter) : Un peu de provoc ne fera jamais de mal. Bonne route vers les sommets, Simon !

Pierre-François Pahud

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2 Comments

  1. Jacques Jacot said:

    Le décathlon est une discipline admirable aussi parce que des athlètes très différents les uns des autres font des performances finales très proches. Un gars très explosif, fort dans les jambes et dans le haut du corps aura certes moins de possibilités sur un 1500 mètres, mais il va aussi le courir. Il fera les point en sauts, lancers, haies et limitera les dégâts ailleurs. On voit aussi des athlètes minables à la perche, ils n’ont pas tous le physique qui permet d’y briller. Pour mon compte j’admire sans réserve tous ceux qui font 8’000 points et plus, bravo et vive le décathlon.

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