ATHLE.ch VINTAGE | TIMELINE ILS MÉRITAIENT MIEUX / EPISODE 7 | Tout au long de l'Histoire de l'athlétisme suisse, de magnifiques exploits se sont produits lors des principales compétitions internationales. Hélas on doit également déplorer quelques grands ratés au cours de ces mêmes compétitions, dus à un coup malheureux qui a prétérité des athlètes qui auraient, de toute évidence, mérité mieux que ce qu'ils ont finalement récolté. Parmi les dix événements négatifs les plus marquants de l'Histoire de l'athlétisme suisse, ATHLE.ch VINTAGE retrouve Pierre Délèze (CA Sion) lors des Jeux Olympiques de 1984 à Los Angeles, où un incroyable coup du sort va contrecarrer ses plans.

Le 15 décembre 1973, Pierre Délèze remporte à quinze ans la Course de Noël à Sion. C’est le point de départ d’une prodigieuse carrière qui va mener le Valaisan au top niveau de l’élite mondiale du demi-fond sur 1500 m. Chez les juniors en 1977, il termine quatrième des championnats du monde de cross à Düsseldorf, puis il décroche la médaille de bronze des championnats d’Europe juniors à Donetsk. En élite, Pierre doit gérer son statut de grand espoir du demi-fond mondial et il affirme son potentiel par de vrais coups d’éclats avec une médaille d’argent à l’Universiade d’été à Mexico en 1979 ou comme lors cette course record en 3’33″80 à Zurich en 1980. En parallèle, deux grosses erreurs d’inattention aux championnats d’Europe à Prague en 1978 et aux Jeux Olympiques à Moscou en 1980 font naître en lui le syndrome traumatisant des séries. De 1981 à 1983, ce sont les années de hautes luttes sur 1500 m face aux meilleurs coureurs de la planète, qui débouchent en 1983 sur une sixième place aux championnats du monde à Helsinki, puis dans la foulée sur un superbe record suisse en 3’32″97 à Zurich.

Les Jeux Olympiques 1984 à Los Angeles
À 24 ans, Pierre Délèze a mené sa préparation olympique de manière idéale du côté de Saint-Moritz, ce qui lui permet d’arriver en Californie avec la toute la plénitude de ses moyens physiques. La perspective d’une médaille est plus que jamais une réalité pour le coureur du CA Sion; c’est avec une grande confiance qu’il aborde le 1500 m des Jeux Olympiques de Los Angeles au début du mois d’août 1984.
Les séries tant attendues ont lieu le vendredi 9 août. Cinquante-neuf concurrents sont inscrits, ce qui donne un total de six séries, dont les trois premiers se qualifient directement pour les demi-finales, plus les six meilleurs temps. La troisième série est celle qui concerne Pierre Délèze. Les forces en présences montrent que l’Anglais Steve Ovett est le favori de cette course et qu’il faudra faire attention au Brésilien Agberto Guimaraes et à l’Irlandais Marcus O’Sullivan. Comme prévu, la course part très lentement. C’est Steve Ovett qui assure le train et Pierre Délèze est bien calé dans sa foulée. Le passage au 800 mètres ne révèle rien de particulier, mais au kilomètre, on sent que les choses vont bientôt se décanter. Alors qu’il ne reste plus que 350 mètres de course, c’est O’Sullivan qui mène de front avec Ovett. Un autre duo suit avec Guimaraes et le Kenyan Josephat Muraya. Pierre Délèze se trouve en troisième rideau à la corde avec l’Algérien Mehdi Aidet. C’est à cet instant qu’on retrouve Boris Acquadro, le commentateur de la TSR, dans les conditions du direct : «Délèze, il faut qu’il fasse attention parce qu’il est un peu coincé à la corde, là. Il faut que Pierre passe un peu par l’extérieur, il évite la corde d’ailleurs vous pouvez le constater, il ne veut pas se faire coincer. [À 350 mètres] O’Sullivan, Ovett, le Kenyan, Délèze qui fait l’extérieur maintenant, Délèze passe très facilement, très très belle course tactique de Délèze. Ah, il sait courir maintenant, Pierre. On ne pourra plus lui reprocher des erreurs de courses comme à Moscou ou à Athènes. [À 180 mètres] Il y a eu une bousculade derrière, Délèze n’en a cure. Il est maintenant en deuxième position derrière Ovett et nous avons donc Ovett, Délèze, O’Sullivan, attention à Guimaraes le Brésilien qui va terminer en boulet de canon. [À 80 mètres] Délèze peut surveiller la course de l’endroit où il est. Pierre Délèze toujours, Pierre Délèze avec Guimaraes, c’est O’Sullivan qui sera éliminé. [À 15 mètres] Attention Pierre au retour d’O’Sullivan. PIERRE DÉLÈZE TOMBE ! VOILÀ LA CATASTROPHE ! Aaaah, quelle catastrophe. C’est ce qu’on… ça n’est pas possible. Quelle catastrophe, vraiment. Voilà ce que… Aaah ce pauvre Pierre, il l’avait dit j’ai peur dans ces courses, j’ai peur de ce qu’il peut arriver. Ça alors vraiment nous détestons le pathos, mais c’est toute la Suisse qui pleure en ce moment. Quelle catastrophe. Pierre Délèze vraiment tout seul là, au moment où on lui disait attention au retour d’O’Sullivan, parce qu’on le voyait revenir derrière. Et Pierre qui tombe à deux mètres de l’arrivée. C’est trop ridicule, dans une série qui se boucle en trois quarante-neuf. Aaaah vraiment alors là on en a les larmes aux yeux. C’est vraiment je crois une des émotions les pires que nous ayons eues d’une carrière, depuis vingt-cinq ans de téléreporter. Pierre alors vraiment on aimerait pleurer avec toi, c’est pas possible. On va d’ailleurs le revoir au ralenti. Regardez Pierre, c’est à ce moment-là qu’on disait fais attention au retour d’O’Sullivan. [À voix basse] Personne ne le touche pourtant pour l’instant, qu’est-ce qui se passe exactement ? Et il tombe tout seul ! Il tombe tout seul, Pierre. Il n’a été touché par personne. Et Pierre Délèze, affalé sur le sol. C’est fini pour Pierre Délèze, alors qu’on le voyait sur une marche du podium. Quelle catastrophe Pierre. Ça doit être épouvantable pour ce garçon». Ce moment d’anthologie signé Boris Acquadro nous laisse sans voix en Suisse. C’est la stupeur devant le petit écran. Voici ce qu’on a vu durant ces trois cent-cinquante derniers mètres : Pierre est effectivement un peu enfermé en troisième rideau, mais il se dégage de la corde à 300 mètres de l’arrivée. Au couloir deux il fait maintenant l’extérieur, mais Ovett et O’Sullivan sentent le coup et ils accélèrent aussi. Pierre est troisième à 200 mètres de l’arrivée quand une bousculade se passe entre Muraya et l’Italien Claudio Patrignani. Le Kenyan, un peu déséquilibré, touche le short de Délèze mais sans conséquence. A 140 mètres du but, il passe O’Sullivan et il se retrouve en deuxième position derrière Ovett qui se retourne sur sa droite tous les dix mètres pour juger de la situation. Pierre ne fait aucun mouvement de la tête, mais il sent certainement bien la course et ce qui se passe derrière. À vingt mètres du fil, Guimaraes passe le Valaisan et c’est sur la ligne des dix mètres que Pierre Délèze perd son appui et tombe lourdement sur le sol, les deux bras en avant pour s’arrêter net sur la ligne des cinq mètres. Dans ce même temps, Ovett se retourne sur sa gauche pour voir ce qui se passe et il franchit la ligne en vainqueur en 3’49″23 et trois centièmes devant Guimaraes. Cinq autres coureurs ont franchi l’arrivée, dont O’Sullivan qui se qualifie en 3’49″65. Pierre, tel un boxeur groggy, se relève en quatre secondes puis il reste debout au couloir deux, les deux mains sur les hanches et le dossard arraché qui pend sur sa droite. Un mouvement du bras droit de haut en bas montre tout le désarroi du coureur, qui se déplace maintenant en direction de la corde. Le Jordanien Mouteb Al-Faouri en termine avec sa course et Pierre fait un pas rapide en avant pour ne pas le gêner dans son finish. Pierre se trouve dans l’herbe et il secoue la tête plusieurs fois. Tout en marchant, ou faudrait-il dire en titubant, il se prend la tête entre les deux mains pendant deux secondes puis il se penche en avant les deux mains sur les genoux. Visiblement très touché par ce qui vient d’arriver, Steve Ovett est revenu vers Pierre et il lui tape de la main gauche dans le dos trois fois de suite, dont la dernière un peu plus longuement. Pierre se redresse, il marche tout en regardant le haut des tribunes et se passe la main sur la bouche, toujours essoufflé. Il secoue la tête encore plusieurs fois, incrédule. Le ralenti arrive et on revoit la bousculade aux 200 mètres, puis on attend, attentif, la fin de course pour voir ce qui s’est passé. Boris Acquadro dit que Pierre est tombé tout seul, mais ce n’est pas si sûr, surtout si on voit la réaction de Steve Ovett. Bon, voilà ! Pierre Délèze est éliminé, comme à Moscou, au stade des séries. Oui Boris a raison : c’est la catastrophe ! Pour quitter le Coliseum, les athlètes doivent passer au travers de ce que les Américains ont appelé la « mixed-zone », où les journalistes peuvent les happer au passage. Pierre Délèze se serait sans doute passé de cette épreuve supplémentaire. Mais la notoriété a ses obligations, même quand l’envie serait de tout jeter par-dessus les moulins, chaussures à pointes, maillot national et dossard. Les faits, on les connaît; mais écoutons Pierre Délèze : «Il n’y a pas à chercher de midi à quatorze heures. C’est un incident de course. Ovett n’y est pour rien et je n’ai rien non plus à me reprocher». Délèze essaie d’être philosophe, mais il avoue qu’il n’a pas encore pris l’exacte mesure de ce qui vient de lui arriver : «J’y verrai sans doute plus clair dans vingt-quatre heures». Le film, en vérité, ne cesse de repasser sur son écran intérieur. «Si j’avais été plus près de la ligne, j’aurais essayé de plonger, mais là, rien à faire… Dommage, car je m’étais senti relativement bien durant la course». En 1980, à Moscou, il avait été éliminé dès les séries déjà, à la suite d’une bourde monumentale sur le plan tactique. Et voilà qu’à Los Angeles, alors qu’il pouvait raisonnablement rêver d’une médaille, c’est la guigne qui s’en est mêlée. «J’avais pourtant pris garde, tout au long de la course, de bien éviter tous les pièges possibles. C’est pour cela, notamment, qu’on a pu me voir faire l’extérieur en plusieurs occasions. J’avais tout axé sur les Jeux Olympiques. Pour me préparer, j’ai même fait l’impasse sur les championnats nationaux. Voilà le résultat !». Il y a eu des précédents célèbres. En 1972 à Munich, Jim Ryun avait lui aussi été éliminé sur chute, dans la seule course qui aurait pu couronner sa prodigieuse carrière. On le sait, c’est une bien piètre consolation. Mais il fallait bien démontrer que ce sont des choses qui arrivent. Malheureusement.

Ce coup du sort a malheureusement contrecarré les bons plans de Pierre Délèze et on ne saura jamais ce qu’il serait advenu à Los Angeles s’il n’était pas tombé lors de ces séries du 1500 m. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : il méritait mieux que ce qui lui est arrivé lors de ces Jeux Olympiques.

PAB

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