Affaire Wilson : médias suisses dociles et naïfs CRISE DES MÉDIAS | Coup de tonnerre dimanche il y a une semaine : la Fédération suisse d’athlétisme (Swiss Athletics) annonce deux incroyables records suisses – et même un record d’Europe – d’Alex Wilson ! Nos médias nationaux reprennent aveuglément la news, sans la moindre mise en perspective. Avant de se rétracter progressivement. Exemple d’un journalisme docile et naïf, qui se targue de ne s’occuper que de « faits ». Deuxième article sur la crise des médias à partir d’exemples de notre sport.

Photos : ATHLE.ch

Dimanche 18 juillet, coup de tonnerre à Swiss Athletics et incrédulité dans le monde de l’athlétisme : Alex Wilson a couru en 9″84 et 19″89 à Marietta, aux Etats-Unis ! Le Bâlois a pulvérisé ses records suisses du 100 et du 200 m (10″08 et 19″98 depuis le Résisprint international de La Chaux-de-Fonds 2019) et battu de deux centièmes le record d’Europe du 100 m détenu depuis 2004 par Francis Obikwelu et 2015 par Jimmy Vicaut !

Le soir même, tous les médias helvétiques reprennent à l’unisson la news, sans questionnement ni mise en perspective. Nul journaliste (ou agence de presse) ne relève l’énormité de la performance du Bâlois d’origine jamaïcaine, devenu du jour au lendemain le deuxième performeur mondial de l’année et le 12e homme le plus rapide de l’histoire ! Notre presse se contente de noter que Wilson est en très bonne forme préolympique et compte désormais parmi les favoris pour les JO.

Sur les réseaux, les likes et félicitations abondent : la complaisance l’emporte sur les doutes et mises en garde critiques néanmoins présentes. A l’étranger, la presse ignore l’exploit. Idem sur les sites et réseaux des Fédérations continentales (European Athletics) et mondiales (World Athletics). Le même soir, les chronos de Wilson apparaissent (automatiquement) dans les listes des meilleurs. Du côté des spécialistes, on secoue la tête, on s’offusque et/ou rigole : il faut être bien naïf et crédule, pour ne pas dire imbécile et incompétent, pour relayer sans mise en question ni perspective une telle information. En fin de soirée, L’Equipe publie un bon papier interrogateur : « Alex Wilson a-t-il vraiment battu le record d’Europe ? »

Progression tout simplement impossible

Comment peut-on croire qu’il est possible, du jour au lendemain, de pulvériser ainsi ses chronos en sprint ? Comment peut-on omettre d’aller regarder les performances de la saison et de constater que, jusqu’ici, Wilson a couru six fois entre 10″66 et 10″38 sur 100 m (très loin des minima olympiques de 10″05) et quatre fois entre 21″17 et 20″68 sur 200 m (minima 20″24) ? Comment ne pas indiquer que même avec des températures (30°C), un vent (+1,9 m/s), une volonté, un entraînement, des chaussures, des conseils parfaits, coach sulfureux (et banni par World Athletics) y compris, une telle progression est tout simplement impossible ? Et pourtant : nos médias ont repris aveuglément la dépêche de Swiss Athletics.

La suite et fin de l’affaire est connue : le lendemain, on se met à douter et se rétracte progressivement. Trois jours plus tard, les chronos de Wilson sont retirés de la liste des meilleurs mondiaux. Et Swiss Athletics annonce finalement une semaine plus tard que les chronos ne seront pas homologués. Le Suisse ne figure plus aux 2e (100 m) et 6e (200 m) positions de la hiérarchie mondiale de l’année, mais à la 421e et 157e. Wilson ne compte plus parmi les favoris aux JO.

Affaires Chengere et Wilson : deux cas d’école de la déliquescence de nos médias

Comme l’affaire Chengere, l’affaire Wilson permet de pointer plusieurs éléments qui participent de l’inquiétant déclin de nos médias ; et par suite de la diffusion d’informations biaisées et dangereuses – dans le sport mais pas seulement – pour la bonne compréhension du monde et la bonne constitution de l’âme humaine.

  • Absence de vraie enquête de terrain : on préfère rester à son bureau, consulter des dépêches et documents, envoyer des mails, passer des coups de fil plutôt que de sortir faire un vrai reportage
  • Tendance à la simplification, au parti-pris et au jugement : au lieu de présenter des événements et/ou personnes en leur complexité – nature multidimensionnelle et multifactorielle de toute phénomène –, on sélectionne et tisse ensemble quelques « faits » pour alimenter une idée préalable (article à charge ou d’éloge)
  • Crédulité envers la communication officielle : on ne vérifie ni ne met en question les informations d’agences
  • Naïveté vis-à-vis des « faits » et « événements » : on considère les « faits » comme des réalités ou vérités brutes et néglige qu’ils ne sont que le résultat d’une multitude de facteurs, opinions et interprétations
  • Abandon des règles journalistiques de base que sont la neutralité et l’esprit critique
  • Volonté de faire du clic

Cela alors que le journalisme, en tant que quatrième pouvoir, a pour rôle de lutter critiquement contre la mainmise de l’Etat, des puissants, des faits donnés, du manichéisme et des idées reçues.

 

Commentaires

commentaires

Auteur

Autres articles en lien avec ce sujet

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Top