Tsegay atomise Gidey aux Championnats d’Ethiopie : commentaire sur les records du monde (bis) POLÉMIQUE | Le 23 octobre dernier, ATHLE.ch publiait un article intitulé « Chaussures, wavelight et records du monde en cascade : l’athlétisme en mutation ? » pour clarifier la situation et nos impressions quant aux récents records du monde « sur demande ». Une de nos conclusions était : les nouveaux formats de courses au record dénaturent au moins autant notre sport que les chaussures à plaque de carbone. Démonstration éclatante le week-end dernier sur 5000 m aux Championnats d’Ethiopie.

Photo : Letesenbet Gidey à l’entraînement mi-mars à Addis-Abeba, (c) ATHLE.ch

Championnats d’Ethiopie, Addis-Abeba, début avril 2020. Duel au sommet sur 5000 m féminin : Letesenbet Gidey, détentrice du record du monde du 5000 m (14’06) depuis une course montée (avec lièvres et wavelight) à Valence l’an passé, face à Gudaf Tsegay, détentrice du record monde du 1500 m indoor suite à une fin de course du tonnerre à Liévin cet hiver. Face à face entre deux athlètes d’exception, réfugiées dans la capitale éthiopienne pour cause de guerre civile chez elles au Tigray.

Après avoir imposé un rythme rapide tout du long (moins de 3 minutes au kilomètre à 2300 m d’altitude), Gidey voit son adversaire s’envoler sur la fin et lui prendre… 7 secondes dans les 300 derniers mètres ! Incroyable démonstration de force et de vitesse terminale, qui fait de Tsegay l’immense favorite pour le titre olympique et qui relègue la toute fraîche détentrice du record du monde de la spécialité au rôle d’outsider.

Vidéo du 5000 m des Championnats d’Ethiopie (femmes dès 24 minutes)
Lien vers notre article/commentaire d’octobre 2020

Tsegay gagne en 14’49, ce qui équivaut selon la « tabelle de conversion » utilisée par la NCAA pour évaluer les performances en altitude à un temps de… 14’01 au niveau de la mer. Pour info : les deux filles étaient chaussées de « Dragonfly » (chaussures Nike avec mousse, mais sans carbone) ; alors même que Tsegay est sponsorisée par Adidas.

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Notre commentaire d’octobre 2020

C’est incontestable : les évolutions technologiques (chaussures et wavelight) jouent un rôle dans les nombreux records tombés cet été. Mais ce n’est peut-être pas là l’essentiel : avec l’émergence de cette chasse aux records programmée et soutenue à grand renfort de science et de technique – particulièrement adaptée aux mesures anti-Covid –, c’est à vrai dire une nouvelle discipline qui est en train de voir le jour, forte d’un nouveau profil d’athlètes. Contrairement à il y a 15 ans, ce n’est plus forcément le meilleur coureur du monde, le grand favori aux titres mondiaux et olympiques, qui établit les records planétaires, mais le mieux entouré et plus à même de jouer le métronome dans des conditions optimales.

L’exemple de Gidey, nouvelle détentrice du record du monde du 5000 m dans un monstrueux chrono de 14’06 (4e chrono suisse masculin 2020), est particulièrement frappant. Bien que la foulée de la jeune Ethiopienne soit d’une incroyable douceur et que ce soit un régal de la voir caresser la piste à des vitesses hallucinantes, peu de spécialistes feraient aujourd’hui d’elle la favorite de la finale du 5000 m des JO. Gidey est en effet systématiquement battue, en meetings comme en championnats, par des filles au bénéfice d’un meilleur finish.

Malgré son palmarès déjà bien fourni, la même question peut se poser avec la légende en devenir Cheptegei, qui ne possède pas le punch des meilleurs fondeurs de la planète en fin de course. Suite à sa 4e place de samedi aux Mondiaux de semi, on peut légitiment se demander de quoi seraient capables les médaillés d’or et d’argent Jacob Kiplimo (UGA) et Kibiwott Kandie (KEN) si on les plaçait eux aussi dans des conditions optimales sur semi, 10 km ou 10’000 m. En poussant la réflexion plus loin, on peut même aller jusqu’à questionner si, tout compte fait, Kipchoge est vraiment aujourd’hui le meilleur marathonien de la planète.

Les détenteurs de records du monde du futur seront-ils l’équivalent de vainqueurs de grands tours en cyclisme ? Des athlètes exceptionnels, complets, extrêmement fiables et bien entourés, mais plus souvent qu’à leur tour battus lors d’arrivées au sprint ou sur des courses d’un jour ? L’évolution technique des chaussures semble aller dans ce sens, avec un gain important non pas tant de vitesse pure que d’économie, de régularité, de fluidité, d’assurance. La chasse téléphonée à la pure performance (chronométrique et commerciale) est-elle en train de remplacer la lutte, toujours incertaine, entre les meilleurs pour la victoire ? Une nouvelle discipline et un nouveau type d’athlètes sont-ils nés sans qu’on ne s’en rende compte ?

 

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