Athlétisme mondial : il y a le feu ! L’athlétisme mondial file un mauvais coton. L’argent est en train de pervertir un sport qu’il a investi dès le début des années huitante. Pionnier, avec d’autres, de cette évolution alors qu’il était encore athlète, Sebastien Coe est sur le point de lui faire prendre un virage savonneux, le coupant de ses racines historiques ancrées dans une certaine simplicité et universalité. Chronique acerbe du grand amoureux d’athlétisme Pierre-François Pahud.

Aujourd’hui, World Athletics (WA) en vient à supprimer des épreuves du calendrier Diamond League, à raccourcir des concours dans certaines compétitions, à confectionner une aberration de classement mondial par points, afin de continuer de ramener des pépètes dans l’escarcelle des différents acteurs de ce qui devient une farce, les athlètes ne valant guère mieux que des marionnettes. Que serait l’athlétisme sans le dernier tour du 10’000 m hommes de Sydney en 2000 ? Que serait l’athlétisme sans Zatopek, sans Kuts, sans Radcliffe, sans Dibaba ? Sans Rono, Mamede, Aouita (capable de briller du 800 au 10000, magique…), athlètes ayant illuminé de leurs performances nombre de soirées inoubliables en meetings ?

Coquille vide ?
Comment leur expliquer que leur discipline ne fait plus rêver les sponsors, qu’ils appartiennent à une espèce en voie de disparition et que nous en viendrons, à terme, à oublier leurs noms ? Que serait l’athlétisme sans les 5e et 6e essais de Carl Lewis à Tokyo à la poursuite désespérée de Mike Powell ? Que serait l’athlétisme sans Edwards, Rojas, Taylor, Claye et consorts ? Une coquille tristounette à moitié vide. Empêcher des athlètes de s’exprimer au sein de la Diamond League ou ailleurs au nom du fric est inacceptable. Les solutions radicales n’ont jamais rien apporté de bon. Tout est affaire de compromis et nous en sommes loin.

Dopage technologique
Beaucoup plus grave encore à mon sens : alors qu’il y a quelques années, l’exemple de la natation et de ses combinaisons aurait dû permettre une certaine prise de conscience de la part des dirigeants de l’athlétisme mondial, nous sommes pourtant en train de sombrer dans le triste vaudeville des chaussures à ressorts sur le point de révolutionner les listes des records. Tout comme la natation, l’athlétisme est un sport de chiffres, dont la lisibilité fait sa force depuis une cinquantaine d’années et l’apparition des pistes synthétiques et des perches en fibre. Il était ainsi facile, jusqu’à aujourd’hui, de comparer les performances de ces dernières décennies les unes aux autres puisqu’une certaine stabilité s’était installée au niveau des équipements. Certes, des gains marginaux ont été réalisés (pistes synthétiques progressivement plus performantes, chaussures plus ergonomiques et légères, qualité du matériau des perches, caractéristiques techniques du javelot – pour raisons de sécurité dans ce cas précis –, techniques d’entraînement, nutrition, professionnalisation, récupération, etc.). Mais jamais, ou presque (on se souviendra du sauteur en hauteur Stepanov et de sa semelle surélevée en 1956, obligeant les instances à légiférer), n’avions-nous été confrontés au dopage technologique que les responsables de WA sont en train de laisser se développer sous la forme de chaussures permettant un gain ne pouvant plus être considéré comme marginal, notamment sur les courses hors-stade.

Valide contre handicapés
Si on ne réagit pas immédiatement, l’athlétisme sur piste ne sera pas en reste ces prochaines années. Attendez-vous à des sauts de performance dans le futur dans plusieurs disciplines, à une densification générale des performances, puisque tout part des appuis au sol. Une lame de carbone hier, deux aujourd’hui… Retour d’énergie électronique demain ? Où est la limite ? On interdit désormais (à bon escient) à Pistorius, Rehm et consorts et à leurs lames de côtoyer les valides, mais on ferme les yeux sur des améliorations bientôt équivalentes du matériel chez ces derniers ; valides qui n’auront bientôt de valide plus que le nom et qui pourront très vite aller défier les handicapés sur leur propre terrain !

Le monde à l’envers
Voulons-nous d’un athlétisme ressemblant à de la Formule 1, avec des classements en fonction de la qualité de la technologie embarquée et de la puissance économique des équipementiers ? Et les records… L’ADN, l’essence même de ce sport merveilleux… Quelle valeur leur accorder désormais ? Plus aucune, j’en ai peur. Et pourtant, WA possède un règlement clair en matière de chaussures (points 5.2 à 5.6 du règlement technique de WA) qu’il suffirait d’avoir la volonté d’appliquer.

Le loup dans la bergerie
Pendant que d’un côté on dépense des sommes considérables pour traquer les tricheurs de la dope chimique, on se permet de laisser entrer le loup du dopage technologique par l’entrée principale de la bergerie, sans même lui demander son badge ou de fouiller son sac. Pire : nous ne sommes pas loin de la haie d’honneur… Incompréhensible de la part de nos dirigeants. Mais leur manque de flair n’est pas vraiment étonnant : tout le monde sait que le fric n’a pas d’odeur. Et surtout pas celui de Nike et compagnie.

 Sinon, bonne année à toutes et à tous !

Pierre-François Pahud

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One Comment;

  1. Jacques Rérat said:

    Cher Monsieur Niederhaeuser, il est choquant qu’un ancien athlète de votre niveau prône un tel discours , quel exemple pour de jeunes sportifs en recherche de repères….votre raisonnement est simpliste , le dopage actuel ( EPO et hormones de croissances en courses de fond et demi-fond ) n’a rien à envier aux années 80 , il suffit de suivre l’actualité et ceci concerne l’ensemble des pays de ce monde et pas uniquement la Russie ou le Kenya , la France détient la palme cette année en athlétisme …concernant la chaussure de Nike , incorporer une ou plusieurs plaques en carbone pour profiter de l’effet ressort ( et donc de gagner en vitesse ) ça s’appelle du dopage technologique et sûr ce point le règlement de l’IAAF est clair , toute aide externe qu’elle soit physique ( plaque carbone ) ou physiologique ( EPO, hormones …) est interdite .- Si l’IAAF avait appliqué le règlement dès la sortie de cette chaussure , on en serait pas là, mais éthique et profit ne font pas bon ménage ….cela démontre bien que le sport et la politique n’ont rien à voir et dès que l’on mélange les deux cela dérape , l’exemple de Nike en est la preuve . 2) mettre d’un côté les jeunes  » intelligent  » et de l’autre les vieux con , quel raccourci simpliste , la connerie n’a pas d’âge et de frontière ,pour terminer vous attribuez ces nouvelles technologies comme des progrès , mais avez-vous déjà couru avec ces chaussures? Moi oui et je vous prédis pas mal de blessures chez les coureurs pronateur , tellement se modèle manque de stabilité . Pour qu’elle soit efficace , la lutte contre le dopage doit être sans compromis , qu’il s’agisse de dopage physique ou technologique .

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