De Doha au Circuit de courses | L’Ouganda : vent de fraîcheur sur l’athlétisme mondial RÉCIT | L’équipe d’Ouganda a brillé de mille feux cette année : des Mondiaux de cross en début de saison aux Mondiaux de Doha en octobre, avec des médailles d’or et des athlètes à la joie communicative. Un succès inédit, appelé à se répéter. Pépite de l’athlétisme ougandais, la jeune Sarah Chelangat (18 ans) s’est adjugé la première étape du Circuit de courses samedi à la Corrida Bulloise. Récit de l’émergence de ce pays comme nouvelle puissance athlétique mondiale. Article publié dans le « Matin Dimanche » du 18 novembre 2019.

Photo : Joshua Cheptegei suite à son titre mondial sur 10’000 m à Doha (c) World Athletics

Triomphe aux Mondiaux de cross, victoire en finale de Diamond League à Zurich, titres mondiaux à Doha et élection de sa secrétaire générale au Conseil de l’IAAF : 2019 est l’année de consécration pour l’athlétisme ougandais qui présentait jusqu’alors un bilan comparable à celui de la Suisse : 4 médailles en 16 championnats du monde, contre 7 pour les Helvètes. Récit de l’émergence d’une nouvelle puissance athlétique, de Kampala à Doha, en passant par Kapchorwa et les Pays-Bas.

L’Ouganda partage avec son légendaire voisin kenyan 1000 km de frontière, une langue et les qualités génétiques et culturelles qui font depuis 30 ans des coureurs de la région les grands dominateurs planétaires. Connu comme « Perle de l’Afrique » et source du Nil, le pays a souffert depuis son indépendance en 1962 de plusieurs guerres civiles et de la dictature meurtrière d’Idi Amin Dada.

Sur le plan athlétique, la première star ougandaise est le coureur de 400 m haies Akii Bua, champion olympique à Munich en 1972 et premier homme sous les 48 secondes. L’initiateur de la nouvelle vague est Stephen Kiprotich, champion olympique du marathon à Londres en 2012 et du monde à Moscou en 2013, 18e à Doha.

Halimah Nakaayi et Winni Nayondo (c) Olympic Channel

« On aime être heureux, on vit une vie simple »
Choc en finale mondiale du 800 m : nouvelle reine annoncée de la discipline suite à l’exclusion de Caster Semenya et des athlètes hyperandrogènes, l’Américaine Ajee Wilson est battue par une inconnue : l’Ougandaise Halimah Nakaayi, qui danse sur la piste avec sa compatriote Winnie Nayondo, quatrième et tout aussi heureuse. Devant les journalistes, Wilson ne connaît pas le nom de son bourreau.

Trois jours plus tard, rendez-vous à Doha dans le hall de l’hôtel des Ougandais. La toute fraîche championne du monde est souriante, calme. Elle raconte volontiers son sacre inattendu. Avec fierté, assurance, mais une profonde modestie. Elle rigole : « Winnie [Nayondo] a perdu la médaille à cause de moi. Elle a levé les bras avant la ligne en me voyant gagner. Mais c’est égal, on est championnes du monde ! On a passé des moments durs pour en arriver là. La nuit avant la course, j’avais peur, alors elle m’a laissé venir dormir dans son lit ». Et à propos du tour d’honneur le plus joyeux et coloré des championnats : « C’est notre culture, on aime être heureux, on vit une vie simple. Danser c’est notre tradition. »

Jurrie van der Velden (c) ATHLE.ch

« Ça a été un long voyage »
Dans les tribunes du Khalifa Stadium, un Néerlandais a laissé échapper quelques larmes en voyant Nakaayi gagner : Jurrie Van der Velden a mis les pieds en Ouganda pour la première fois en 2007, à 23 ans, alors qu’il était engagé depuis peu dans l’une des plus fameuses entreprises de management athlétique : Global Sports Communication et son manitou Jos Hermans, connus pour gérer les intérêts des légendaires et lucratifs Africains Haile Gebrselassie, Kenenisa Bekele et Eliud Kipchoge.

« J’ai souhaité aller au Kenya, mais on m’a envoyé en Ouganda. C’était la première fois que j’allais en Afrique. Je n’étais pas très à l’aise. Ça a été un long voyage pour en arriver où on en est aujourd’hui, mais un beau voyage. La réalité est cruelle sur le circuit mondial pour les athlètes africains. En début d’année encore, impossible de faire entrer Halimah [Nakaayi] dans de bonnes courses. Jusqu’à Athletissima Lausanne, où elle a fini deuxième du préprogramme en 1’59″97 ».

Joshua Cheptegei (c) ATHLE.ch

La révolution Cheptegei
Dès 2008, les premiers athlètes ougandais encadrés par Global Sports sont envoyés au Kenya, à Kaptagat, à une centaine de kilomètres de la frontière ougandaise. Le camp géré par Patrick Sang (ancien médaillé olympique et sociétaire du LC Zürich, coach de Kipchoge) fait déjà office de référence et Stephen Kiprotich y devient la figure de proue de la nouvelle vague ougandaise en remportant l’or olympique sur marathon à Londres en 2012.

L’élan semble donné, mais Kiprotich demeure une exception et ne s’entraîne pas en Ouganda. Le tournant se joue quelques années plus tard, autour de l’immense talent Joshua Cheptegei. Alors sous la houlette de Sang, il émet en 2015 le voeux d’une structure similaire à Kaptagat en Ouganda. Quatre ans plus tard, Cheptegei (23 ans) est peut-être le meilleur coureur de la planète : champion du monde 2019 en cross et sur 10’000 m, vainqueur de la Diamond League sur 5000 m.

(c) Facebook Addy Ruiter

D’entraîneur amateur à double champion du monde
Fin 2015 naît le camp de Kapchorwa, région d’origine de Cheptegei, sur le flan du Mont Elgon, à 2000 m d’altitude, 5h de route de la capitale Kampala et 150 km des hauts-lieux d’entraînement kenyans d’Iten et Kaptagat.

A 8000 km de là, aux Pays-Bas, Addy Ruiter (55 ans) est alors entraîneur d’un groupe de coureurs de bon niveau national : « Jurrie van der Velden s’occupait de deux de mes athlètes. Un jour, il est venu vers moi et m’a dit : « je sais que tu aimes voyager. Je cherche un bon coach pour des athlètes ougandais ». Depuis, j’ai adoré chaque instant ». Quatre ans plus tard, le timide entraîneur néerlandais triomphe à Doha dans la tenue jaune de l’Ouganda, dont il entraîne la moitié de l’équipe, deux champions du monde y compris.

Au début, Ruiter se rendait en Ouganda pour de courts séjours. Cette année, il y a passé six mois : « Coacher les meilleurs coureurs du monde, c’est une chance exceptionnelle. Comme je vois les choses, les athlètes que j’entraîne doivent aussi être des proches. Je suis le seul « Muzungu » (blanc, occidental, ndlr.) à coacher là-bas. L’Ouganda a un immense potentiel. Les athlètes ont les mêmes gènes que leurs voisins kenyans et les conditions de vie sont comparables. Pas comme en Occident où un jeune coureur découvre très vite beaucoup de choses bien plus intéressantes à faire que de s’entraîner ».

Montagne : les rois ougandais privés de Mondiaux
Première nation africaine à s’intéresser à la course de montagne, l’Ouganda fait le désespoir des meilleurs pays occidentaux : les Ougandais ont raflé 17 des 30 médailles masculines en jeu depuis leur arrivée il y a 10 ans, dont deux triplés en 2017 et 2018. L’édition 2019 disputée le week-end dernier en Argentine s’est jouée sans eux, le pays organisateur ne leur ayant pas accordé de visa.

Global Sports : Kipchoge, Hassan, l’Ouganda et… Wanders
Global Sports Communication s’occupe du management de 14 des 22 athlètes ougandais présents à Doha. La compagnie néerlandaise gère entre autres également les intérêts de la double championne du monde Sifan Hassan (NED) et du prodige suisse Julien Wanders. Elle est aussi derrière le récent et très médiatique « INEOS 1:59 Challenge ».

Sarah Chelangat (c) ATHLE.ch

Démonstration ougandaise à Bulle
Etoile montante de l’athlétisme ougandais, la jeune et rayonnante Sarah Chelangat (18 ans) s’est adjugée samedi soir une édition 2019 de la Corrida Bulloise d’un niveau inédit. La junior a résisté de justesse au retour de la star éthiopienne du Stade Genève Helen Bekele Tola, grande favorite de l’épreuve. Aux côtés de sa compatriote Esther Chebet (3e à Bulle), Chelangat sera encore en démonstration cet hiver sur les routes romandes dans le cadre du Circuit de courses : à la Course de l’Escalade de Genève (1er décembre) et à la Course de Noël à Sion (14 décembre). Revanche garantie au plus haut niveau. La course masculine de la Corrida a vu la victoire du vice-champion d’Europe de cross, le Belge aux origines kenyane Isaac Kimeli. Le Genevois Tadesse Abraham termine solide troisième.

Lien vers l’article dans le « Matin Dimanche »
Lien vers le Circuit de courses

 

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