Marathon nocturne | Est-ce que tous les chats sont gris ? CHRONIQUE DU VISIBLE ET DU CACHÉ 2 | Vous avez déjà couru de nuit ? Alors vous connaissez ce mélange enivrant de vitesse et de légèreté que le calme et l’obscurité procurent. Imaginez donc un peloton des meilleures marathoniennes du monde à l’heure des rêves les plus profonds ; l’idée a tout pour plaire. On nous avait pourtant prévenus : l’horaire nocturne de Doha n’a aucune prétention sensible ou esthétique. La raison du départ à minuit était purement pratique, ergonomique même : les coureurs doivent être le moins possible gênés par la chaleur et l’humidité suffocantes des journées qataries.

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Comme à Rome en 1960 ?
Reste qu’en coulisses, les organisateurs imaginait peut-être pouvoir recréer le féérique marathon olympique de 1960 à Rome, avec ses silhouettes glissant à travers la nuit le long de la Via Appia. Un arrière-plan qui s’estompe pour mieux mettre en lumière les athlètes. Des corps en démonstration dans un vide rempli d’histoire, de l’action surgissant du calme plat ! Avec des coureurs sortant de nulle part, comme cet extraordinaire éthiopien Abebe Bikila, qui n’avait jamais posé ses pieds nus sur le vieux Continent, et qui éblouissait tout le monde de sa foulée feutrée…

Du rêve à la réalité
A Doha, devant le marathon féminin, on a vite été sortis de ce rêve de « dramaturgie » que promettait Viktor Röthlin à la télévision suisse alémanique. D’abord réveillés par le coup de pistolet de cet émir milliardaire aux yeux ébahis de hibou, placé sous le feu des projecteurs et entouré de sa clique de conseillers en robes blanches et autres fameux fonctionnaires de la grande famille du sport mondial. Ensuite excités par des allers-retours agaçants sur la demi-lune de cette Corniche transformée en autoroute par des travailleurs de l’ombre pour faire la part belle aux gratte-ciels. Définitivement arrachés du sommeil par les puissants lampadaires plantés tous les 50 mètres pour placer le spectacle dans une lumière éblouissante. Alors qu’on se réjouissait que sortent furtivement de la nuit ces chats souvent gris tant ils se ressemblent, qu’ils exhibent peu à peu leurs maillots nationaux et puissent enfin s’exposer aux aléas d’une course sans lièvre, on nous a… aveuglés.

De quoi faire avant samedi prochain
D’ici la course masculine, avec notre Tade Abraham (inter)national, il faudra qu’on aiguise notre regard, qu’on le rende plus attentif aux ombres que dessinent encore les corps dans le sillage des grosses jeep blanches et autres d’ambulances ouvrant et fermant la route. Qu’on le fasse nous et notre illustre ami consultant, qui après deux heures de course avoue tout à coup non seulement se sentir presque coupable de cautionner par son commentaire un tel simulacre de marathon, mais surtout ne pas y voir grand-chose à travers ces images pour le moins inintelligibles. Et justement, à ce moment, les lucioles soudain se réveillent : l’Israélienne Lonah Chemtai Salpeter – que Röthlin voyait dès le début plus maline que les autres – disparaît dans la nuit ; la Kenyane Ruth Chepngetich fait exploser la course et s’envole vers la victoire ; les 40 survivantes (sur 70) ramènent leur carcasse trempée de sueurs vers la ligne d’arrivée avant de reprendre, gentiment, quelques couleurs.

Thomas Gmür

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