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Photo : Renate Leuenberger (Zbären aux côtés de la détentrice du record du monde Kendra Harrison et son entraîneur Gaby Schwarz)
Traduction de l’article de Monica Schneider dans le Tages Anzeiger du 28 décembre 2016.
Crac – et terminé
Pour beaucoup de sportifs suisses 2016 a été une année de fête – pour d’autres une longue pause forcée. La spécialiste de 100 m haies Noemi Zbären est passée du statut de « Rising Star » à blessée de longue durée.
Tout à coup, les buts étaient tout autres. Amener sans encombre la tasse de la machine à café jusque sur la table ; avoir besoin de moins de trente minutes pour prendre la douche ; ne pas pleurer toute la journée. Les sportifs d’élite ont l’habitude de se fixer des buts. Ils apprennent à le faire jeune, alors qu’ils ne sont pas encore sportifs d’élite. Cette année, chez Noemi Zbären, les buts étaient de grimper sur le podium des Championnats d’Europe à Amsterdam et de se qualifier pour la finale des Jeux olympiques de Rio de Janeiro. Mais le 2 mai, avant même la première course en plein air, ça a tout à coup fait « crac – et terminé ». La spécialiste de haies haute de 22 ans de Langnau dans l’Emmental n’aime pas se retourner sur le passé. « J’ai été lourdement touchée », raconte-t-elle. Il y a près de huit mois, elle s’est déchiré les ligaments croisés du genou gauche en jouant au basket avant l’entraînement. Crac – et terminé.
Comment s’est passée l’année de l’étudiante en microbiologie et immunologie qui avait tout préparé pour que le sport, les études, les stages et la vie privée puissent s’agencer de manière supportable ? Elle aime quand tout est bien planifié, raison pour laquelle son idée était de se consacrer un peu moins aux études pour avoir un peu plus de temps pour les grands moments sportifs. Les conditions étaient excellentes. Zbären venait de vivre une ascension quasi incomparable. Cinq années durant, elle a tous les ans remporté une médaille internationale. En 2015, elle a été sacrée championne d’Europe U23 et ne s’est pas non plus laissé impressionner par l’ambiance et le niveau de performance des Mondiaux élite à Pékin. En finale, elle a volé sur les obstacles pour terminer 6e. La plus jeune athlète de la délégation a offert à l’équipe suisse son meilleur résultat. La Fédération européenne d’athlétisme a valorisé ses performances plus haut encore et l’a élue « Rising star 2015 ».
Sa mère comme soutien mental
La chute a été énorme. « Les deux premières semaines, j’allais salement mal », se rappelle-t-elle. La première auscultation a encore laissé espérer une absence de courte durée, « l’IRM a fait office de coup de massue. Suite à l’espoir, le trou, c’était terrible. » Ce n’est qu’une semaine plus tard, quand elle s’est fait opérer, qu’elle a eu l’impression d’avoir fait un premier petit pas en avant.
Quand elle se retourne maintenant sur l’année écoulée, elle dit : « Sportivement, c’était mauvais, mais dans d’autres domaines il y a eu du bon ». Les premiers jours avec les béquilles, elle a dû endurer comment ça se passe quand on est toujours tributaire des autres. « Avant, je me levais tous les jours et tout était toujours bien. Je ne le savais pas », raconte-t-elle. La voilà qui apprécie de pouvoir se lever et simplement se mettre à marcher.
Zbären vit avec son ami à Berne. Au début de la phase de rééducation, elle est retournée dans sa maison familiale dans l’Emmental – parce qu’elle avait besoin d’aide, mais aussi parce que son physiothérapeute travaille à Langnau. Le fait que ce soit la jambe gauche et pas la droite qui soit touchée était une chance dans son malheur, dit-elle. « J’ai rapidement retrouvé la petite liberté de pouvoir conduire, de sorte à être un peu autonome ». Le rôle le plus important dans les temps difficiles, c’est pour sûr sa maman qui l’a joué. « Au contraire de la plupart, elle a vite compris qu’il fallait me parler d’autre chose que de ma déchirure des ligaments », raconte Zbären, qui a tôt fait de souffrir en devant raconter sans cesse sa blessure. Sa mère l’a mentalement beaucoup aidée, elle l’a aussi poussée à chercher la discussion avec son prof pour avancer son stage de septembre à août. Avec succès. Zbären est contente de sa place de recherche en allergologie à l’Hôpital de l’Île à Berne.
Elle a changé. Elle s’en est rendue compte elle-même, mais d’autres de son entourage l’on également remarqué. Elle n’a pas appris à connaître de nouvelles faces d’elle-même, mais est devenue plus « calme ». « Avant l’accident, je pouvais m’énerver de choses dont je peux désormais me défaire d’un sourire », dit-elle. Et l’impatiente Zbären est devenue beaucoup plus patiente. Elle a dû le devenir. « De ce point de vue, j’ai grandi avec cette blessure. Il m’est toujours difficile de faire un cinq, mais je peux plus facilement passer à autre chose », dit-elle convaincue. Il se pourrait que ces deux traits de caractère puissent être tout bonus pour sa vie d’athlète.
Ne pas laisser poindre les doutes
Depuis novembre, Zbären est de retour à l’entraînement. Jusque-là, elle a passé beaucoup d’heures à faire de la rééducation, physiothérapie comprise. « Maintenant », dit-elle, « le volume d’entraînement est de nouveau le même qu’au printemps. Je fais des sprints, travaille mon endurance, il me manque seulement encore des charges – mais je suis très dans les plans. » La question est inévitable : est-ce qu’il y a des doutes quant au fait de retrouver ses forces d’antan ? Zbären répond d’un réflexe : « Je ne les laisse pas poindre, non ! » Est-ce que, cet été ou le suivant, elle va de nouveau réussir à courir sous les 13 secondes ? « On verra. J’ai appris à fixer la planification de la saison en fonction de mon état. » Sa nouvelle patience lui fait aussi dire : « Ce temps, je dois me le donner, je travaille en vue de la saison 2018. »
L’année 2016 a-t-elle été une année perdue ? Elle le sent comme ça, oui, avoue-elle franchement. Mais toutes les peines vont peut-être amener du bon pour l’avenir. « Mais pour le moment, c’est… », dit-elle en employant un gros mot, qui laisse plus nettement encore sentir la frustration. Mais ce qu’il y a eu aussi : pour la première fois depuis six ans, elle s’est offert des vacances. Etendues. Comme d’autres jeunes gens. Aux Maldives. Un peu de baume au cœur. « J’avais besoin d’une île avec une salle de musculation, ce n’était pas si simple », dit-elle un sourire en coin.
Elle n’est pas seulement devenue plus calme et patiente, elle est aussi devenue plus ouverte et sensible. Ce n’est que maintenant qu’elle se rend compte combien de gens se blessent, en particulier au genou. Crac – et terminé.
Lien vers notre article « Noemi Zbären | Le très haut niveau, en jouant » du 10 mai 2016