A la conquête du podium sur 100 m
Ce mercredi 17 septembre doit consacrer l’homme le plus rapide d’Europe. Deux heures et demie avant cette course, Philippe Clerc arrive sur le stade d’entraînement et semble plus tendu que la veille, quand il avait éprouvé de la facilité dans les séries et les demi-finales. Il doit même avouer qu’il n’a pas très bien dormi la nuit passée. Il est maintenant dix-sept heures et le vent souffle toujours de manière assez soutenue et contraire à la course. Les huit sprinters sont maintenant en position « prêt » dans leurs starting-blocks. Le Français Alain Sarteur prend un départ absolument prodigieux, ce qui lui permet de rester en tête jusque dans les derniers mètres. Pendant que l’inattendu Français caracole en tête, Philippe Clerc éprouve de la difficulté à se mettre en action. S’est-il mal placé dans ses starting-blocks ? Ce n’est pas totalement impossible. Toujours est-il qu’il doit produire un sérieux effort dans son couloir 1 pour tenter de revenir. Dans les derniers mètres, le Soviétique Valerij Borzov se fait l’auteur d’un étonnant retour, passe sur le fil le Français et devient champion d’Europe en 10″49, face à 2,7 m/s de vent contraire. Alain Sarteur, qui se voyait longtemps vainqueur, prend la deuxième place en 10″50 et Philippe Clerc, finalement bien revenu, doit constater qu’il ne peut s’emparer que de la médaille de bronze en 10″56. Il devance le Français Gérard Fenouil de quinze centièmes.
Après la course, Philippe Clerc est assez déçu, même en colère. En effet, il vient de perdre le pari qu’il avait engagé il y a quelques semaines avec lui-même et qui consistait à gagner la plus difficile médaille d’or qui s’offrait à sa convoitise. On comprend sa réaction car on sait que Philippe Clerc est un éternel insatisfait et qu’il est d’une exigence folle envers lui-même. C’est aussi peut-être parce qu’il n’a pas été retenu pour les Jeux Olympiques de Mexico qu’il est monté sur le podium. C’est peut-être parce qu’il n’a pas vaincu sur 100 m qu’il pourra, dans quelques jours, triompher sur 200 m. L’ambition, chez Clerc, est à la hauteur de son talent. Elle est même dévorante. En revanche pour le grand public de notre pays, cette médaille de bronze constitue l’un des plus beaux fleurons de l’histoire de l’athlétisme suisse. Il y a sept ans à Belgrade, c’est dans une explosion de joie que l’on avait accueilli la médaille de bronze de nos relayeurs du 4 x 400 m. Aujourd’hui à Athènes, il faut prendre cette nouvelle médaille de bronze comme un événement positif pour le sport de notre pays, même si l’espoir d’une victoire s’est transformé dans la réalité en une médaille de bronze.
Valerij Borzov passe sur la ligne Alain Sarteur. Au couloir 1, Philippe Clerc constate qu’il ne va décrocher que le bronze
La remontada de Meta Antenen
Jeudi 18 septembre, la troisième journée des championnats d’Europe démarre à nouveau avec les concours multiples. Meta Antenen, qui avait laissé filer la veille l’Autrichienne Liesel Prokop vers la médaille d’or, se doit de jeter toutes ses forces sur les deux dernières disciplines du pentathlon, même si l’espoir de décrocher une médaille semble, apparemment, compromis. C’est avec une détermination étonnante que Meta prend part au saut en longueur. Comme pour les décathloniens la veille, le vent est très fortement favorable. Pour sa discipline de parade, elle va se lâcher complètement avec ce vent dans le dos, qui tranche radicalement avec celui subi au 100 m haies. Avec un bond de 6,42 m, elle pulvérise toutes ses adversaires et elle remonte maintenant à la 4e place. Le podium est à nouveau une réalité car on sait que les deux Soviétiques ne sont pas vraiment des spécialistes du sprint. Le 200 m voit la blonde Meta jouer les tornades en 25″0 et elle atomise là aussi ses adversaires directes. Il est temps d’effectuer et de vérifier tous les calculs; ça prend du temps, beaucoup de temps. Le verdict tombe enfin et il permet de constater une magnifique deuxième place finale pour Meta Antenen ! Auteur d’une remontée fantastique, la Schaffhousoise décroche à 20 ans la médaille d’argent avec 4’793 points, derrière Liesel Prokop, championne d’Europe avec 5’030 points, mais devant Mariya Sizyakova avec 20 points d’avance et Valentina Tikhomirova avec un écart de 78 points.
Mariya Sizyakova, médaille de bronze / Liesel Prokop, championne d’Europe / Meta Antenen, médaille d’argent
Meta Antenen a renversé tous les pronostics pessimistes qu’on faisait déjà dans le camp suisse et remporte une médaille d’argent qu’on peut accueillir avec le plus grand des enthousiasmes. La Schaffhousoise analyse son exploit avec une lucidité qui n’enlève rien à son charme : «Je suis comblée, car je me retrouve finalement à la place que j’espérais conquérir. Dans son état de forme présentement, Liesel Prokop était imbattable. Certes, le vent qui m’a freiné mercredi dans le 100 m haies m’a fait perdre des points précieux. Sans cette contre-performance due uniquement au vent qui ne soufflait pas encore lorsque Liesel a disputé sa série, la marge de points me séparant finalement de ma rivale aurait été beaucoup plus modeste, ce d’autant plus que je n’aurais certainement pas raté le lancer de poids où, sur le coup de l’énervement, je réussis une performance que je réalisais déjà quand j’avais seize ans. Heureusement qu’à partir du saut en hauteur, j’ai commencé à remonter la pente. Je regrette aussi d’avoir battu cet été le record du monde du pentathlon au début du mois de juillet. Sur le plan technique et moral, ce record que Liesel Prokop allait d’ailleurs me reprendre, a faussé ma préparation en vue de ces championnats d’Europe. Là il me reste encore à disputer le saut en longueur. Puis pour un bout de temps, c’en sera fini des concours et des entraînements. Je suis à bout de ressources au point que je suis heureuse de n’avoir pas eu à disputer, à cause de l’horaire mal fichu, le 100 m haies de cet après-midi». Meta Antenen, après Philippe Clerc, demeure bien le porte-drapeau d’une équipe suisse qui provoque, de jour en jour, l’admiration. Comme d’habitude également, il faut associer à ce succès la très belle prestation d’Elisabeth Waldburger, qui réalise elle aussi une belle remontée et termine à une brillante 6e place avec 4’648 points. Elle réussit les belles performances de 6,01 m en longueur et de 25″4 sur 200 m.
Au décathlon, Urs Trautmann prend part à la seconde journée avec l’espoir d’améliorer la 9e place qui était la sienne la veille à l’issue des cinq premières épreuves. Il réalise des performances conformes à ses standards habituels avec 15″9 sur 110 m haies, 44,60 m au disque, 3,90 m à la perche, 61,86 m au javelot et 4’42″6 sur 1500 m, tout ceci pour un total de 7’487 points lui donnant la 9e place finale. Cependant le Néerlandais Edward de Noorlander, 6e du classement, a ensuite été disqualifié pour utilisation d’amphétamines. Il s’agit-là de la toute première disqualification pour dopage en athlétisme ! Sur ces faits, Urs Trautmann gagne un rang et se retrouve ainsi au 8e rang de ce décathlon des championnats d’Europe.
Hansjörg Wirz au pied du podium sur 400 m haies
Après la belle médaille de bronze de Philippe Clerc sur 100 m et surtout celle inespérée en argent de Meta Antenen, l’athlétisme suisse abat un troisième bel atout au 400 m haies en la personne de Hansjörg Wirz. Le Schaffhousois se bat comme un beau diable et ne commet pratiquement aucune faute sur les obstacles, mais il ne peut faire mieux que quatrième en 50″8, record suisse égalé. Après sa course, sous les tribunes, Wirz ne peut s’empêcher de penser à ce podium manqué de peu. La joie l’emporte pourtant largement, surtout lorsque Meta Antenen vient l’embrasser. Entre Schaffhousois, ce sont des choses permises ! Dans la finale du lancer du poids, Edy Hubacher n’a pas grand-chose à attendre. Après avoir lancé la veille en qualifications à 18,48 m, il parvient à faire un peu mieux avec un jet à 18,67 m qui lui assure la 10e place.
Parmi les autres athlètes suisses qui ont pris part à cette troisième journée de compétition, c’est assurément Hansueli Mumenthaler qui est le plus impressionnant lors de sa demi-finale du 800 m. Très attentif et parfaitement sûr de son sujet, le Bernois court en 1’49″1 et se qualifie pour la finale, qui sera l’un des grands moments de ces championnats avec le duel Josef Plachy vs Manfred Matuschewski. Sur 200 m, Philippe Clerc revient sur le stade pour se qualifier sans coup férir en vue de la demi-finale du 200 m en 21″7. Il paraît cependant traîner la jambe, ce qui est ensuite confirmé par l’intéressé : «C’est arrivé par ma faute. Hier soir, en remontant dans le car, toujours aussi déçu, j’ai vu arriver sur moi, poussé par le vent, un gobelet en carton. Par un réflexe incontrôlable, je l’ai frappé du pied comme si j’avais voulu marquer un but. Résultat : une douleur musculaire à la cuisse droite que j’ai dû faire soigner ce matin». Ce 200 m, Philippe Clerc le prépare méticuleusement; mais pour remporter le titre, il doit absolument effacer de sa mémoire celui qui lui a échappé mercredi sur 100 m. Pour l’instant le cœur n’y est plus et il va falloir rebondir pour remporter l’apothéose qu’il mérite mille fois. De son côté, Hansruedi Wiedmer assure avec brio sa place pour les demi-finales avec un deuxième rang dans sa série en 21″4.
Trois autres satisfactions sont encore à mettre au compte de Werner Kuhn qui se qualifie aisément pour les demi-finales du 110 m haies en 14″1, de Hans Menet qui accède de justesse à la finale du 3000 m steeple en 8’47″2 et d’Uschi Meyer qui atteint brillamment les demi-finales du 200 m. Par contre, et c’est finalement bien normal au vu du niveau de ces championnats, les choses se sont moins bien passées pour quatre de nos compatriotes. Sur 1500 m, Hansruedi Knill se bat comme à son habitude farouchement, mais ses 3’47″9 en séries ne lui permettent pas d’aller plus loin. Le jeune Toni Feldmann, encore peu expérimenté du niveau européen, sombre rapidement dans les séries du 3000 m steeple en 9’01″2. Enfin, et cela constitue les seules réelles déceptions, Michel Portmann et Thomas Wieser sont purement et simplement éliminés en qualifications du saut en hauteur avec 2,05 m. Il faut le préciser, tous les deux se sont présentés légèrement blessés.
Hansueli Mumenthaler décroche une brillante cinquième place sur 800 m
Le 4e jour de ces championnats d’Europe, le vendredi 19 septembre, débute mal pour l’équipe suisse. Le matin, Peter Von Arx ne réussit pas un seul de ses essais à 4,50 m lors des qualifications du saut la perche. Il se console peut-être en pensant que deux prétendants au podium, le Grec Dionisis et le Français Tracanelli, n’ont guère fait mieux. Ernst Ammann, en raison d’un torticolis, ne peut pas se qualifier pour la finale avec ses 60,88 m des qualifications. Les affaires se redressent fort heureusement durant l’après-midi. Pour la première fois dans l’histoire de notre athlétisme, deux Suisses vont se retrouver en finale d’un 200 m européen. En effet lors des demi-finales, Philippe Clerc dans l’excellent temps de 20″9 et Hansruedi Wiedmer en 21″4 obtiennent tous les deux le droit d’en découdre samedi pour une finale du 200 m qui aura lieu à 18:30. Ensuite, Werner Kuhn frise la qualification pour la finale sur 110 m haies. Quatre athlètes de chaque série sont retenus pour la finale et on croit un instant que Kuhn arrache cette fameuse quatrième place sur le fil. Mais la toute-puissante photo finish des chronométreurs en décide autrement, Kuhn n’étant finalement que 6e en 14″1. Comme la veille pour le saut en hauteur des hommes, une grosse et double déception accompagne nos sauteuses en longueur. Dans une discipline où on attendait beaucoup de Meta Antenen et de Sieglinde Ammann, il a fallu déchanter puisqu’elle ne disputent que les trois premiers essais de la finale avant d’être éliminées. Meta, toujours fatiguée après son exténuante deuxième journée du pentathlon saute 6,13 m et ne se classe que 12e. Sieglinde franchit quant à elle 6,14 m et pointe au 11e rang, ce qui est loin de ses ambitions et de son énorme potentiel. Ce concours est remporté par la Polonaise Miroslawa Sarna avec 6,49 m, devant la Roumaine Viorica Viscopoleanu avec 6,45 m et la Norvégienne Berit Berthelsen avec 6,44 m. Les regrets sont grands car on voit qu’il y avait peut-être de la place pour l’une de nos deux Suissesses.
La finale du 3000 m steeple voit la participation de Hans Menet. Un peu débordé, le Zurichois termine douzième en 9’02″6. Enfin la dernière épreuve de la journée n’est autre que la finale du 800 m. Un moment rare car il s’agit-là d’une course de niveau mondial. La bagarre est de toute beauté entre les coureurs des pays de l’Est. Josef Plachy, favori de cette finale, est dominé par l’Allemand de l’Est Dieter Fromm, vainqueur en 1’46″2. Au troisième rang, on retrouve l’ancien Manfred Matuschewski en 1’46″8, puis le Soviétique Evgeni Arzhanov en 1’47″1. Dans ce contexte fort relevé, le Bernois Hansueli Mumenthaler se défend avec un calme et une autorité stupéfiante. Il se tient constamment aux avant-postes du peloton, cherchant à s’abriter du vent et à ne pas faire l’extérieur dans les virages. Cette course toute d’intelligence lui vaut une fort belle 5e place en égalant son propre record suisse en 1’47″2. Mumenthaler, peut-être plus encore que Philippe Clerc ou Meta Antenen (qu’on attendait plus ou moins), illustre parfaitement la combativité et la lucidité de cette remarquable équipe suisse.
PAB
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Philippe Clerc / Le 100 m des championnats d’Europe à Athènes
Saison 1969
| Titre | Thème | Site | |
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| Episode 8 | Meeting de Zurich 1969 | | |
| Episode 9 | Record du monde pour Meta Antenen | | |
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| Publication | Le livre de la saison 1969 | | |
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