Wanders et Yeshanhe : chronique d’un échec et d’un record du monde à Ras Al Khaimah RÉSUMÉ | Tôt vendredi matin aux Emirats arabes unis, Julien Wanders (Stade Genève) a terminé 11e du semi-marathon de Ras Al Khaimah en 60’46, loin de son record d’Europe de l’an dernier (59’13) et de sa folle ambition de devenir le 21e homme de tous les temps et unique non-Africain à descendre sous les 59 minutes. Avant ce revers relatif – le chrono aurait représenté un record suisse il y a 5 ans encore –, le Genevois restait sur une incroyable série de succès sur route depuis 2016. Coup de tonnerre chez les femmes avec un record du monde pour l’Ethiopienne Ababel Yeshanhe en 1h04’31. Récit.

Photos : (c) ATHLE.ch

Drôle de monde de la course sur route de haut niveau
Ras Al Khaimah, février 2020. Bienvenue dans l’univers particulier des courses sur route du meilleur niveau mondial. Au menu : une métropole ambitieuse ou un hub touristique en devenir quelque part à travers le monde – ici l’immense presqu’île artificielle Al Marjan, à l’extrême Nord-Est des Emirats arabes unis –, une entreprise d’événementiel occidentale mandatée pour mettre sur pied la manifestation, un hôtel 5 étoiles, quelques managers et une cinquantaine de coureurs venus tout droit du Kenya, d’Ethiopie, d’Erythrée et depuis peu aussi d’Ouganda, de Tanzanie et de Djibouti. Parmi eux, arrivé lui aussi via un vol Nairobi-Dubaï : Julien Wanders. A première vue, le Genevois détonne à peine dans le groupe des athlètes : corps fébrile flottant dans un large training, démarche nonchalante. Comme ses adversaires, il semble avoir été projeté là, dans un monde qui n’est pas le sien. Tous attendent patiemment leur heure : celle de faire leurs preuves en course.

Les athlètes avant le départ pour l’échauffement à 5h45.

Athlètes d’exception en quantité et anonymité
Plus d’une dizaine d’hommes avec des références de moins d’une heure sur semi-marathon, plusieurs femmes plus rapides que les meilleurs coureurs masculins helvétiques : dans les couloirs du Hilton Double Tree, on ne compte même plus les athlètes évoluant à niveau stratosphérique dont même les spécialistes les plus pointus ignorent jusqu’au nom. Ils sont là, avec l’espoir de changer leur vie en décrochant le jackpot des primes d’arrivées : des fortunes inimaginables pour qui a grandi à Iten, Addis-Abeba ou Kampala, des sommes qu’un Genevois peut gagner d’une infinité d’autres manières, plus faciles et moins incertaines (17’000 dollars pour la victoire et 100’000 pour un record du monde).

Bien qu’il ne crache pas sur ces montants, Wanders n’est pas là pour ça. Il veut continuer son ascension dans la hiérarchie mondiale. Il rêve de réduire l’écart entre son record d’Europe (59’13) et le record du monde (58’01), de valider par une grosse perf les progrès qu’il constate tous les jours à l’entraînement et qui doivent le rapprocher de son but ultime : devenir le meilleur marathonien de la planète.

Une ambition qu’il laisse entendre lorsqu’il s’exprime avec assurance en conférence de presse, dans un anglais clair aux intonations franco-kenyanes, devant un parterre composé uniquement de photographes et de membres de l’organisation. Mis à part ATHLE.ch, aucun journaliste n’a fait le déplacement de Ras Al Khaimah pour médiatiser le « semi-marathon le plus rapide du monde ». Et ce malgré l’annonce d’une tentative de record du monde et de record d’Europe.

Organisation italienne
A Ras Al Khaimah, les Sheikhs locaux qui financent le semi-marathon ont choisi de mandater une nouvelle entreprise cette année pour mettre sur pieds l’épreuve élite et populaire (quelque 5000 coureurs de tout horizon avec des dossards vendus 100 dollars pièce). Adieu les Anglais de Premiere Sport, place aux Italiens de RSC, gigantesque groupe propriétaire notamment de la Gazetta dello Sport et organisateur du marathon de Milan. Comme leurs prédécesseurs, les Transalpins appliquent aux Emirats un concept éprouvé ailleurs dans le monde.

Afin de s’assurer une course élite à la hauteur des attentes de l’ambition locale, RSC s’est offert les services du plus célèbre manager athlétique italien : Federico Rosa et de son équipe (Rosa Associati). Ancien manager de Viktor Röthlin ; Rosa qui a une réputation sulfureuse dans le milieu suite à plusieurs contrôles positifs de ces athlètes ces dernières années (dont la championne olympique du marathon Jemima Sumgong et le multiple champion du monde du 1500 m Asbel Kiprop), mais qui est sympathique et continue à s’occuper d’un impressionnant panel d’athlètes.

La détentrice du record du monde du marathon (2h14’04) Brigid Kosgei à quelques minutes du départ.

Détentrice du record du monde et grandes écuries mondiales au départ
Pour assembler le peloton du semi de Ras Al Khaimah 2020, Rosa a avant tout pioché dans son propre réservoir de coureurs d’exception, amenant notamment au départ sa nouvelle détentrice du record du monde du marathon (2h14’04) Brigid Kosgei (KEN) et plusieurs jokers cachés, dont l’Ethiopienne relativement inconnue Ababel Yeshanhe. Les autres grandes écuries mondiales ont aussi été invitées à la fête, à commencer par le mangement de Wanders Global Sports Communication (NED) et leur très populaire NN Running Team, mais aussi celui de Tadesse Abraham avec Demadonna Athletics Promotion (ITA), qui s’est offert la victoire masculine aux Emirats avec sa dernière révélation Kibiwott Kandie (KEN), récent vainqueur des championnats du Kenya de cross devant la superstar et recordman du monde du semi Geoffrey Kamworor.

 

La nouvelle détentrice du record du monde du semi (1h04’31) Ababel Yeshanhe (ETH).

Triomphe italo-éthiopien
Mais le gros coup de l’édition 2020 du « RAK Half » avait une forte tonalité italienne : lorsque Ababel Yeshanhe a lâché la star Brigid Kosgei pour s’envoler vers un nouveau record du monde en 1h04’31 (3’03/km pendant 21,1 km), c’est l’entier du staff de la course qui s’est mis à jubiler et se congratuler, en italien. Pari doublement réussi avec : un record du monde offert aux généreux mais exigeants sheikhs et ce, cerise sur le gâteau, grâce à une perf « maison ». De son côté, après être restée de longues minutes au sol, la nouvelle star éthiopienne était aussi rayonnante que déboussolée. Escortée devant les caméras, aux vestiaires, sur le podium, en conférence de presse, au contrôle antidopage, avec un grand sourire et de très rares paroles, tout doucement et exclusivement en amharique. En contraste quasi complet avec le speaker britannique aux phrases toutes faites et à la voix tonitruante qui lui demande si elle a déjà réfléchi ce qu’elle allait faire avec les 100’000 dollars qu’elle vient de remporter.

Wanders relance les lièvres après 5 km de course.

Wanders impatient
Après deux jours d’attente à Ras Al Khaimah, Wanders se réjouissait de prendre le départ de la course vendredi matin. Suite aux expéditives dernières instructions de Rosa aux coureurs en fin de journée, puis une nuit débutée vers 20h et passée principalement à se retourner dans son lit, réveil à 2h15 du matin pour une mise en jambe d’une vingtaine de minutes et quelques exercices. Petit-déjeuner en chambre (pain et thé) et deux nouvelles heures d’attente avant le rendez-vous à 5h45 dans le hall de l’hôtel. Managers, organisateurs, athlètes : tout le monde sait d’avance qu’il faudra attendre au moins jusqu’à 6h pour que tout le monde soit au rendez-vous. Les derniers athlètes sortent encore du déjeuner.

Départ de la course à 7h, alors que le soleil vient de faire son apparition derrière une fine brume. Après 500 m de course, le premier lièvre se retrouve seul en tête avec une cinquantaine de mètres d’avance. Derrière, le grand groupe de trente coureurs semble plus préoccupé par la gagne que par le chrono. Sauf Wanders, qui très vite s’impatiente : « On n’était pas assez rapides et personne ne voulait courir. Je leur ai dit à ce moment qu’il y avait une prime supplémentaire pour un chrono sous les 59 minutes. Personne ne savait, ils n’avaient pas été informés, pas non plus du changement de parcours ; si je ne m’étais pas renseigné j’aurais été surpris ». En l’absence de réaction, le Genevois commence très tôt à se porter vers l’avant du groupe, à relancer lui-même et à discuter avec les meneurs d’allure. De l’extérieur, le groupe lancé à plus de 21 km/h dégage une force impressionnante, l’effort apparaît brutal, l’énergie immense.

Suite à un passage en 28’05 aux 10 km (au lieu des 27’40 prévus) et l’arrêt des lièvres, ça se regarde encore plus, avant le début des attaques autour du 13e kilomètre. Wanders répond d’abord avec entrain, avant de tempérer, de laisser quelques mètres, de s’accrocher et finalement de devoir lâcher : « Dès la mi-course j’ai senti que ça allait être dur et les 5 derniers kilomètres je n’avais plus rien. Un moment je me suis demandé si ça valait la peine de finir. D’abord c’était physique, puis aussi mental : quand tu sais que t’es loin, c’est plus dur de se battre », le Genevois termine « en roue-libre » à 3’/km, à près de 2 minutes du vainqueur et de la barre des 59 minutes. « A l’entraînement, je suis plus fort que jamais, je ne sais pas ce qui s’est passé. J’étais peut-être trop focalisé sur le chrono. Maintenant je vais me préparer pour les Mondiaux de semi en Pologne fin mars : c’est le grand objectif de l’hiver ».

Commentaire | Première déception pour Wanders sur route depuis plus de 3 ans
Avant cette course, Wanders semblait inarrêtable sur la route, multipliant les succès à toujours plus haut niveau sans jamais connaître de défaillance. Cette déception est la première ( !) depuis longtemps. Depuis son record suisse du 10 km en décembre 2016 à Houilles (28’22), il a frappé très fort à chacune de ses 19 sorties sur le bitume, donnant l’impression qu’il pouvait améliorer encore et encore d’abord les records suisses, puis continentaux. Ces trois dernières années, il a en effet battu : 8 records suisses, 5 records d’Europe et un record du monde. Lors de ses autres sorties, il a établi un record suisse et un autre d’Europe U23 et remporté trois fois la Course de l’Escalade (avec record du parcours), deux fois la Corrida bulloise (avec record du parcours), deux fois le Baslerstadtlauf et une fois la Course Titzé de Noël.

Toutes les courses sur route de Wanders depuis décembre 2016
Décembre 2016 : 28’22 sur 10 km à Houilles, RECORD SUISSE

Mars 2017 : 61’47 sur semi-marathon à Milan, RECORD SUISSE U23
Octobre 2017 : 28’13 sur 10 km à Durban, RECORD SUISSE
Novembre 2017 : VICTOIRE de la Corrida Bulloise
Novembre 2017 : VICTOIRE du Baslerstadtlauf
Décembre 2017 : VICTOIRE de la Course de Escalade
Décembre 2017 : 28’02 sur 10 km à Houilles, RECORD SUISSE

Février 2018 : 60’09 sur semi-marathon à Barcelone, RECORD SUISSE, RECORD D’EUROPE U23
Mars 2018 : 8e DES MONDIAUX de semi-marathon à Valence
Octobre 2018 : 27’32 sur 10 km à Durban, RECORD D’EUROPE
Novembre 2018 : VICTOIRE de la Corrida Bulloise
Novembre 2018: VICTOIRE du Baslerstadtlauf
Décembre 2018 : VICTOIRE de la Course de Escalade
Décembre 2018 : 27’25 sur 10 km à Houilles, RECORD D’EUROPE

Février 2019 : 59’13 surs semi-marathon à Ras Al Khaimah, RECORD D’EUROPE
Février 2019 : 13’29 sur 5 km, RECORD DU MONDE
Décembre 2019 : VICTOIRE de la Course de Escalade
Décembre 2019 : VICTOIRE de la Course Titzé de Noël à Sion

Janvier 2020 : 27’13 sur 10 km à Valence, RECORD D’EUROPE
Février 2020 : 60’46 sur semi-marathon à Ras Al Khaimah

Images et interview d’après-course

Lien vers notre vidéo d’avant-course
Lien vers les résultats complets du semi de RAK

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