Pékin 2015 | Critique : entre perfs et étonnements DÉBRIEFING | Retour sur neuf jours d’athlétisme au plus haut niveau aux Mondiaux de Pékin : exploits, surprises, déceptions et interrogations à la chaîne. Sur RTS, SRF, France Télévision, dans les journaux ou sur le web. ATHLE.ch revient sur les moments forts en relevant, pour chaque journée, d’abord une perf, puis une réaction marquante, amusante, voire… énervante. Côté suisse, européen et mondial.

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Photo : par Daniel Mitchell

J1 | Samedi 22 août

5000 m hommes, sériesLa perf : Mo Farah sur une autre planète
Au cœur de la polémique qui a frappé son groupe d’entraînement, Mo Farah se montre d’entrée de jeu fort, très fort, et même très, très fort. Il s’impose avec la manière sur 10’000 m, suite à un nouveau sprint à couper le souffle. Performance qui ne lève pas les soupçons, mais lui offre un 4e titre mondial, avant son 5e quelques jours plus tard sur 5000 m, avec un dernier 1000 m en… 2’19.

L’étonnement : Abraham lâché par son corps et son staff
Abraham Tadesse est en larme à l’arrivée du marathon. Après plusieurs mois de préparation intensive, tout n’a pas joué comme espéré. Non seulement une blessure passée sous silence est soudain apparue dès la mi-course ; mais encore son ravitaillement lui a fait défaut au 30e km. Pour son plus grand malheur, le responsable de Swiss Athletics – à ce jour resté anonyme – chargé de lui tendre son bidon est arrivé en retard, mettant un gros coup moral et physique à Abraham, qui sauve toutefois les meubles en finissant 19e.

J2 | Dimanche 23 août

La perf : trois Suissesses en demi-finales
Brillant début des Helvètes dimanche matin à Pékin : dans l’ordre, Lea Sprunger, Petra Fontanive et Mujinga Kambundji se qualifient toutes trois à la place pour les demi-finales mondiales. Un régal !

L’étonnement : Swiss Athletics veut qualifier Hussein sur le tapis vert
Après des séries moyennes, bonne nouvelle : notre champion d’Europe Kariem Hussein réussit à élever son niveau en demi-finale. Il réalise une belle course, propre, rapide. Tellement qu’il se retrouve en très bonne position à l’entrée de la dernière ligne droite. Assez pour revenir à l’une des deux places qualificatives ? On y croit, mais ça ne suffit pas. Juste pas. Pour un rien. Hussein finit 3e, alors que seuls les deux premiers passent en finale. Et voilà que Swiss Athletics, au lieu de vanter les qualités et les mérites de Hussein, la beauté et cruauté de l’athlétisme, dépose protêt. Protêt parce que Nicholas Bett (KEN) – futur champion du monde – aurait, en sortie de dernier virage, touché, sur une foulée, un chouia, la ligne. Au lieu de créer une vague avec les super perfs suisses de la journée, on a joué les petits bras.

J3 | Lundi 24 août

11900847_10152963962626536_388356061_oLa perf : Sprunger 13e des Mondiaux
Sprunger vit le plus grand moment de sa carrière. Elle se classe brillante 13e, et ce alors même qu’elle ne participe qu’au 7e 400 m haies de sa carrière. Voilà qui donne envie de plus.

L’étonnement : la RTS loupe l’exploit de Kambundji
Une demi-heure après Sprunger, la fête continue : Kambundji réalise le plus beau 100 m de sa vie. Même si elle ne sort pas parfaitement des blocs, elle tourne les jambes plus vite que jamais, avec la décontraction qu’on lui connaît depuis les Championnats suisses de Zoug. Elle remonte, remonte, remonte, et finit remarquable 5e, tout près des meilleures. Alors que ça se gagne en 10″87 ! On saute de joie, s’extasie, les bras levés : c’est juste extraordinaire, record suisse pulvérisé, c’est sûr ! Sur la RTS, la déception est de mise : Kambundji n’a pas bien couru, dommage, et patati et patata. Puis, annonce du chrono, et tout se renverse, après la pluie le beau temps : « Super course de la Suissesse Mujinga Kambundji qui abaisse son record de Suisse à 11″07 ! »

J4 | Mardi 25 août

La perf : Meilleures performances mondiales du 800 m… pendant le 1500 m
L’incroyable détentrice du record du monde Genzebe Dibaba (ETH) fait une démonstration en finale du 1500 m. Elle termine le dernier 800 m en… 1’56 haut. Si elle avait réussi ce chrono dans un 800 m officiel, ça aurait été ni plus ni moins la meilleure performance mondiale de l’année. Derrière elle, la troisième, Sifan Hassan (NED), fait presque pareil et finit en… 1’57 bas. Des extraterrestres !

Les étonnements : Büchel blessée – Bosse exagère
Alors qu’elle s’apprête à entrer enfin en compétition, tout à coup c’est le choc : on apprend que Büchel, notre Selina Büchel, s’est tordu la cheville en fin de semaine précédente. Les médias reprennent le discours officiel de Swiss Athletics et de Büchel elle-même : tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Nous, on s’inquiète, se demande, doute. A ce niveau, quatre jours sans courir, c’est quand même quelque chose, non ?

A l’arrivée de la finale du 800 m, terminée en 5e position, le Français Pierre-Ambroise Bosse, déjà étrangement euphorique la veille, s’emballe au micro de France Télévision. Après avoir pris position quant à l’éventuelle disqualification pour bousculade d’Adam Kszczot (POL/2e), il ajoute qu’il pourrait bien récupérer une autre place encore, sur déclassement d’un athlète… dopé. On a tôt fait de comprendre qu’il s’agit du vainqueur surprise de Paris, le Bosniaque Amel Tuka. Affirmations scandaleuses, quelle que puisse être les suspicions. Et le journaliste Patrick Montel, au lieu de réfréner les ardeurs de Bosse, d’affirmer ne jamais avoir, à chaud, eu affaire à un athlète aussi lucide et analytique. Personne ne relaie l’histoire. Alors même qu’on se révolte à l’unisson contre la remarque, directe, par-dessus le filet, d’un joueur de tennis à propos de la copine de son adversaire…

J5 | Mercredi 26 août

11892140_10153773631587697_6897233082982243547_nLa performance : Isaac Makwala dépossédé
Le jeune prodige Sud-Africain Wayde Van Niekerk (RSA), entraîné par une grand-maman de 73 ans, écrase la finale du 400 m en 43″48 et reprend le record d’Afrique établi par Isaac Makwala au Résisprint international 2015 de La Chaux-de-Fonds. Suite à sa course de folie en demi-finale, suivie de cinq pompes juste pour rire – ou narguer ses adversaires –, ce dernier craque sur la fin et se classe 5e.

L’étonnement : Swiss Athletics à l’Ambassade de Suisse
Alors qu’on veut tout savoir sur l’équipe suisse, sur Selina Büchel, qui a fait le travail, mais sans brio, en séries du 800 m, sur Mujinga Kambundji, qui tient la forme de sa vie, sur Noemi Zbären, pas même encore entrée en compétition, alors qu’on reste plein d’espoirs de voir une des nôtres se hisser en finale, qu’on cherche partout des traces de vagues, de santé, d’enthousiasme, Swiss Athletics relate… l’après-midi dînatoire de la délégation helvétique à l’Ambassade de Suisse à Pékin.

J6 | Jeudi 27 août

Les perfs : Kambundji et Büchel excellentes
Après ses records suisses sur 100 m, Mujinga Kambundji remet ça sur 200 m : elle claque un impressionnant 22″64 (record battu de 16 centièmes) et se classe brillante 10e mondiale. Vingt minutes plus tard, nouveau grand moment : courageuse, Büchel fait la course devant, s’offre le 2e meilleur chrono suisse de tous les temps, mais… se fait passer d’un cheveu sur la ligne. Elle finit en 1’58″6 : chrono largement suffisant lors de toutes les éditions précédentes pour se qualifier pour la finale. Mais pas en 2015…

L’étonnement : quelle tactique ?
Dès les premiers mètres de course, on comprend la tactique de Selina Büchel : courir vite, et même très vite, pour déboulonner progressivement les adversaires a priori plus rapides qu’elle sur la dernière ligne droite et se ménager par là une grosse chance de passer au temps. C’est un choix. La question n’est pas de savoir si on aurait fait le même ou non. Par contre, on a tout à coup plus rien compris quand, à l’arrivée, Büchel s’est effondrée en constatant qu’elle était 3e. Avant d’affirmer, sur SRF, qu’elle était, à ce moment, sûre de passer à la trappe au vu du niveau de la dernière série. Est-ce qu’on est devenu fous ?

J7 | Vendredi 28 août

Les perfs : Noemi Zbären 6e – Rudisha avec style !
Moment de bonheur : la Suisse tient enfin sa place de finaliste ! Si ça ne l’a pas fait avec Hussein, Büchler, Kambundji ou encore Büchel, l’immense Noemi Zbären a su créer l’exploit. Soulagement. Et ce n’est pas tout : en finale, elle ramasse deux de ses adversaires pour nous offrir une extraordinaire 6e place. Jubilation, pour ne pas dire Wooow !

Après avoir dominé le 800 m de la tête et des épaules de 2009 à 2012, avec un incroyable record du monde aux Jeux olympiques de Londres, David Rudisha (KEN) a été ralenti par des blessures et mis à mal par de jeunes adversaires aux dents longues et foulées chaotiques. A Pékin, le maître s’est annoncé de retour en bloquant la course avant de s’imposer facile, avec style.

L’étonnement : Les Américains déchantent
La délégation américaine a déçu. Arrivés avec de très grosses ambitions (26 médailles), USA Track and Field n’a au total récolté que 18 breloques. Loin de ses standards habituels, elle s’est fait battre sur la piste et au tableau des médailles, non par la Russie, mais par… le Kenya et la Jamaïque. Sur 100 m haies, les quatre ultra-favorites ont soit chuté, soit planté, soit été disqualifiées – facilitant bien entendu au passage la tâche de notre Zbären nationale…

J8 | Samedi 19 août

La perf : record du monde pour Eaton
Même si la plupart des Américains a déchanté, l’homme fort des Mondiaux 2015 vient d’outre-Atlantique. Il s’appelle Ashton Eaton, est décathlonien et, au terme de ses dix disciplines, a récolté la bagatelle de 9046 points, battant le record du monde en réussissant notamment 10″23 sur 100 m, 45″00 sur 400 m, 5,20 m à la perche ou encore 13″69 sur 110 m haies.

11960520_10152978624596536_750729877_oL’étonnement : Les Chinois mondialisés
Alors qu’on attendait les athlètes chinois au meilleur niveau aux Jeux olympiques de 2008, les voilà qui pointent le bout de leur nez en 2015. Leur secret ? Loin du sang de tortue ou des procédés communistes mécanisés, c’est bien plutôt l’engagement d’entraîneurs occidentaux au service d’un immense réservoir d’athlètes qui semble faire la différence dans quasi toutes les disciplines. Triomphe de la mondialisation à l’occidentale.

J9 | Dimanche 20 août

La perf : Ayana plus forte que Dibaba
Le 5000 m féminin accouche d’une grosse surprise. L’extraterrestre Genzebe Dibaba (ETH), archi-dominatrice et recordwoman du monde sur 1500 m, trouve plus « fort » qu’elle. Encore plus « fort » ! Sa compatriote Almaz Ayana, annoncée battue d’avance bien que toute proche du record du monde en début d’année, prend les choses en main après deux kilomètres et impose un tempo toujours plus rapide – 67 secondes par tour, puis 66, puis 65, puis 64. Au point de faire dramatiquement exploser Dibaba, accrochée à sa roue jusqu’à trois tours de l’arrivée. Dernier 3000 m en… 8’19. Surhumain !

L’étonnement : fun ou violence ?
Alors que l’athlétisme essaie depuis un quart de siècle par tous les moyens, de garder sa place sur le devant de la scène sportive mondiale et de résister à la montée en puissance des sports émergents – plus faciles, plus funs, plus ludiques et par suite plus médiatiques –, les Mondiaux de Pékin 2015 ont montré de belles traces de santé.

Et si, au lieu de chercher à créer à tout prix des spectacles éblouissants, l’athlétisme, aussi compliqué qu’il soit, retournait à sa simplicité, revenait en toute honnêteté à ses forces fondamentales : misait à fond sur la mise en scène de violence et du drame constitutifs de tout corps et de toute vie ? Et si, avec des modes de qualifications encore plus impitoyables qu’à Pékin, on valorisait l’intensité suprême de l’effort exigé par chaque discipline et le fait que, tout compte fait, l’incertitude est toujours de mise et que tout ne tient qu’à un fil.

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2 Comments

  1. Athlos said:

    Par rapport à votre dernière remarque, je valoriserais avant tout sur une plus grande qualité de l’animation en athlétisme. Des petites courses aux plus grandes compétitions, chacune a le droit être animée correctement. Il s’agit d’engager des gens compétentes et motivées pour ce faire: pas facile à trouver, certes, mais faisable… même bénévolement.

  2. Hugo said:

    La palme revient quand même à Swiss Athletic qui, après la bourde (impardonnable) envers Tadesse, se permet de poser protêt pour Karim Hussein et un pied kenyan qui n’a absolument pas remis en cause le déroulement de la course. Et que dire du protêt déposé – contre le gré de S. Büchel – sur 800 m pour le micro sur le couloir 1? Il faudra qu’on m’explique…

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