ATHLE.ch VINTAGE | TIMELINE LES MÉDAILLES SUISSES AUX JEUX OLYMPIQUES / ÉPISODE 1 | Imaginée par le baron Pierre de Coubertin en 1894 déjà, les Jeux Olympiques représentent certainement la compétition suprême. Au niveau de l'athlétisme suisse, on a pu vivre durant plus d'un siècle tout un florilège d'exploits et des histoires extraordinaires. ATHLE.ch VINTAGE revient en détail sur les événements qui ont permis à sept athlètes de remporter les huit seuls podiums olympiques de l'athlétisme suisse. La première médaille remportée fut l'œuvre de Paul Martin (CS Lausanne) lors du 800 m des Jeux Olympiques 1924 à Paris.

Après avoir vécu une grandiose cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris au stade de Colombes, Paul Martin (Cercle des Sports de Lausanne) est engagé dès le lendemain, le 6 juillet 1924, dans les séries du 800 m. Opposé à des adversaires de seconde classe, le Lausannois est à son affaire et il contient facilement le Suédois Sven Emil Lundgren, ainsi que le Canadien Jack Harris. Vainqueur en 2’00″2, Paul n’a pas eu besoin de puiser dans ses réserves, ce qui est une très bonne chose pour lui. Son entourage est néanmoins toujours inquiet car il se plaint toujours de douleurs à la hanche suite à une récente chute en moto ! Le bilan de ces séries du 800 m voit le Suédois Rudolf Johansson et le Britannique Henry Stallard réussir le meilleur chrono en 1’57″6, devant l’autre Britannique Douglas Lowe et le Sud-Africain Clarence Oldfield, crédités de 1’58″0. Les pions sont avancés par chacun, mais la partie d’échecs ne fait que commencer.

Le haut niveau des demi-finales du 800 m
Lundi 7 juillet, c’est le jour des Lausannois puisqu’on attend non seulement Constant Bucher au pentathlon, mais surtout Paul Martin lors des demi-finales du 800 m en fin d’après-midi. Les trois courses qui sont au programme s’annoncent aussi passionnantes qu’indécises. Paul Martin se retrouve dans la première avec trois adversaires coriaces: l’épouvantail Henry Stallard, l’Américain Bill Richardson, qu’on dit en très bonne forme, ainsi que Rudolf Johansson, de loin le meilleur des Suédois. C’est un véritable moment clé que le Lausannois est sur le point d’aborder car avec quatre favoris pour seulement trois places attribuées pour la finale, il y aura immanquablement un énorme déçu. Dès le départ le rythme est soutenu, tout est beaucoup plus nerveux que la veille lors des séries. Comme prévu, Stallard l’emporte facilement en 1’54″2 et il est accompagné de Richardson, crédité de 1’55″0. Ces deux chronos, mine de rien, se situent en-dessous du record suisse (1’55″3). Pour la troisième et dernière place qualificative pour la finale, la bataille fait rage entre Martin et Johansson. À un moment de la course, le Suisse cherche à se dégager. Mais dans ces long virages de Colombes, la manœuvre n’est pas vraiment idéale et elle lui fait perdre un temps précieux en devant courir un trajet bien plus important que notamment le Français Georges Baraton et le Suédois Johansson qui sont restés à la corde. Au prix d’un effort maximal dans la dernière ligne droite, Paul Martin passe Baraton et il doit tirer sa foulée jusqu’à la ligne d’arrivée pour laisser son adversaire Scandinave à peine derrière lui : 1’55″6 contre 1’55″7. Ouf, on était à deux doigts de la catastrophe !
Avec cette troisième place, l’essentiel est néanmoins acquis pour Paulet : les portes de la finale du 800 m se sont ouvertes à lui. Il peut d’une part savourer le fait d’être le premier athlète suisse de l’Histoire à se retrouver en finale olympique, mais il peut également suivre l’évolution des deux autres demi-finales de ce 800 m. Dans la deuxième course, il constate que les Anglais sont vraiment très forts puisque Douglas Lowe gagne en 1’56″8 devant Harry Houghton en 1’57″3 et l’Américain John Watters en 1’57″4. De nouveau c’est un Suédois, Sven Emil Lundgren, qui fait les frais de l’affaire en restant à deux dixièmes du coureur des USA. La troisième demi-finale est plus limpide dans sa réalisation et son verdict. L’Américain Ray Dodge s’impose en 1’57″0 devant son compatriote Schuyler Enck en 1’57″6 et le Norvégien Charles Hoff en 1’58″4. C’est le Néerlandais Adriaan Paulen – oui, le futur Président de l’I.A.A.F. entre 1976 et 1981 – qui se voit être éliminé pour quatre dixièmes. À l’issue de cette belle passe d’armes en trois actes, on ne peut s’empêcher de constater que les trois Britanniques semblent les plus forts et que parmi les quatre finalistes Américains, c’est Schuyler Enck qui a le mieux géré ses efforts. Cet aspect de la récupération demeure d’ailleurs le paramètre le plus important en vue de la finale.

Paul Martin peut-il être le héros de la finale du 800 m ?
Ce mardi 8 juillet 1924 sera-t-il un jour de gloire pour Paul Martin ? Possible, mais c’est aussi ce que veulent les huit autres coureurs de la finale du 800 m… Le spectacle promet d’être grandiose avec trois Britanniques (Harry Houghton, Douglas Lowe et le favori Henry Stallard) réputés imbattables, quatre Américains (Ray Dodge, Schuyler Enck, Bill Richardson et John Watters) qui ne vont rien lâcher et le duo composé du Norvégien Charles Hoff et du Suisse Paul Martin, qui vont quoiqu’il arrive faire de leur mieux. Deux heures avant la course, Paul Martin se trouve allongé sur une table de massage dans les vestiaires gris et froids du stade de Colombes. Alors qu’un de ses amis est venu donner à ses muscles une dernière souplesse, Paulet ressent l’angoisse qui précède tout départ de course importante. Il sait pourtant qu’il s’est bien préparé pour ces Jeux Olympiques de 1924. Depuis sa première expérience olympique en 1920 à Anvers, un esprit combatif s’était développé et une confiance s’était forgée peu à peu en lui. L’ardeur qu’il possède au moment de se présenter dans cette finale, mais également son enthousiasme pour les records dont il sent l’avènement probable à Paris, lui donnent un élan précieux. En gagnant sa série deux jours plus tôt, puis en se qualifiant pour la finale – in extremis – derrière Stallard et Richardson la veille lors d’une demi-finale qu’on peut considérer comme avoir été la plus dure de l’Histoire de la discipline, Paul Martin espère maintenant faire mieux dans la course suprême. Mais cela passera seulement au prix d’une lutte, sans merci, face aux trois Anglais et aux quatre Américains, deux groupes puissants qui vont se livrer à une bataille farouche et dont le Norvégien et le Suisse pourraient bien faire les frais. Les ingrédients essentiels et irremplaçables qui pourraient sauver le Lausannois sont la science et la tactique qu’il lui faudra appliquer, sans aucune erreur, face à ces meilleurs coureurs du monde. Mais est-il vraiment au sommet de son art de ce domaine ? Ce petit moment de gamberge, fait d’images multiples de luttes tragiques et de défaites assaillantes, est soudain rompu par un athlète qui s’est approché de lui. Il s’agit de l’Anglais Douglas Lowe qui, d’un signe de la main, lui demande de le suivre dans son vestiaire. Calme et impassible, le Britannique confie au Suisse un petit secret : «Stallard peut être vainqueur, mais il est un peu fatigué et éprouvé par le temps qu’il fait à Paris. Il ajoute que si Stallard ne court pas aussi bien que d’habitude, il s’efforcerait, lui, de donner la victoire à l’Angleterre». Ne dissimulant pas sa pensée, Lowe souhaite pourtant bonne chance au Suisse.

Un scénario épique pour la finale du 800 m
Un peu avant dix-sept heures, les neuf concurrents de la finale du 800 m enlèvent leur survêtement afin de se mettre aux ordres du starter. Le temps est couvert, mais aucune pluie ne menace. Étonnamment, les spectateurs sont venus moins nombreux au stade de Colombes; c’est regrettable mais, comme l’on dit, les absents ont toujours tort. Le grand moment de ces Jeux arrive enfin. Les coureurs se trouvent dans l’aire de départ située au milieu de la ligne droite opposée (Ndlr : la piste du stade de Colombes mesure 500 m). Le starter leur tend un petit sac gris contenant neuf numéros – de 1 à 9 – qui vont déterminer l’emplacement de chacun sur la ligne de départ. Paul Martin tire le 1; il sera donc placé à la corde. Les neuf concurrents sont maintenant figés au bord de la ligne, attendant le coup de pistolet libérateur du starter. La tension est si grande que deux faux-départs sont causés, dont l’un du Suisse. Le coup de feu décisif éclate enfin et c’est parti pour un moment de pure anthologie. Le début de course est rapide, mené tour à tour par chacun des Anglais : Stallard, Houghton et Lowe. Le Lausannois ne s’affole pas, il mène sa course en la raisonnant le mieux possible. Au premier passage sur la ligne d’arrivée, soit après 300 m de course, la cloche sonne et l’on voit Henry Stallard et Harry Houghton mener le bal devant Schuyler Enck, Douglas Lowe, John Watters, Paul Martin, Charles Hoff, Ray Dodge et William Richardson.

Le rythme s’accélère encore au début du deuxième virage, mais à ce moment-là le Lausannois est enfermé et il devient urgent de réagir. En se décalant sur sa droite, Paul s’extirpe peu à peu du traquenard tenus par les Américains. Malheureusement il a perdu un temps précieux sur la tête de la course. Dans la ligne opposée, chacun essaie de se placer en essayant d’éviter au mieux les coups de coudes et les coups de pointes. Dans trente-cinq secondes, le verdict sera dit…
Au moment d’aborder le dernier virage, à 250 m de l’arrivée, Henry Stallard mène toujours devant Harry Houghton. Mais Douglas Lowe est à l’affût et il prépare déjà son attaque, bientôt suivi par Schuyler Enck. En sixième position, Paul Martin doit toujours se départir du marquage serré d’un des Américains. Il faut pourtant réagir une nouvelle fois car passé le virage, en connaissant le sprint final légendaire des Anglais, tout sera dit. Mais comment faire ? Foncer dans le tas, au risque de se blesser par les pointes reluisantes de ses adversaires ? Surement pas ! Il ne reste donc plus qu’une solution : ralentir d’un rien, laisser filer Richardson, passer derrière lui, puis le doubler par la droite en faisant l’extérieur. À ce moment de la course, c’est plus facile à dire qu’à faire et, surtout, cela ressemble presque à un suicide ! C’est pourtant ce que le Suisse va tenter de faire et, par miracle, ça marche : Richardson ne résiste pas. Dans ce dernier virage, la vitesse devient terrible et le peloton se disloque, mais débarrassé de son cerbère Yankee, Paul se sent pousser des ailes qui l’incitent à aller de l’avant, encore et encore. Il arrive maintenant à hauteur d’Enck, qu’il passe sans coup férir. Incroyable ! Dans cette fin de virage, le voilà proche de Lowe et de Stallard. Ce dernier tient fermement son rang de favori de la course, et c’est lui qu’il faut surveiller en abordant la ligne droite finale. La situation est la suivante : Lowe court à la corde juste derrière Stallard et Martin se tient derrière, sur leur droite. C’est le moment où tout le monde travaille, craint et souffre. À sa gauche, Paul constate que Lowe est bloqué par Stallard, mais il devine aussi dans son dos les efforts de ses adversaires. Il n’a pas besoin de regarder, il sait bien que ce sont les Américains Enck et Richardson qui défendent leurs chances becs et ongles.
Il ne reste plus que 100 mètres; c’est donc l’instant de vérité, avec cinq candidats au titre olympique. Martin, sentant qu’il y a véritablement un coup à jouer, se penche et fonce tant et plus. Ce nouvel élan, à trois mètres de la corde – donc avec une piste enfin dégagée – lui permet de lancer ses dernières forces dans la bagarre. Il transcende sa foulée, en dodelinant sa tête de droite et de gauche. Dans le même temps, Stallard, l’immense Stallard au finish habituellement imparable, est en train de coincer, comme l’avait prédit Douglas Lowe deux heures plus tôt ! Ce dernier passe son compatriote à la dérive et fonce droit vers la victoire. Mais Martin continue son effort et se jette aux trousses du Britannique dans les cinquante derniers mètres. Il revient fort en reprenant vingt, trente, cinquante centimètres, un mètre même, ce qui, vu depuis les tribunes, lui permet de franchir le fil d’arrivée sur le même plan que l’Anglais.

À bout de souffle, aucun des deux coureurs ne sait qui est le vainqueur de cette finale endiablée. Debout côte à côte un peu plus loin de l’arrivée, les deux hommes récupèrent comme ils peuvent. Martin apprend le verdict avant l’Anglais et se tourne vers lui pour le féliciter.
– «Est-ce que vous avez gagné, Martin ?» dit Lowe en lui tendant la main.
– «Non, c’est vous !», répond le Suisse.
En véritable gentleman, les premières paroles de Lowe ne sont pas un cri de joie, mais bien :
– «Oh ! Comme je regrette, Martin, que vous n’ayez pas gagné !».
Dans un premier temps, le même chrono est affiché pour les deux athlètes. Mais très vite le classement est modifié en 1’52″4 pour Douglas Lowe et en 1’52″5 pour Paul Martin, qui se repasse maintenant dans son esprit les péripéties de la course. Évidemment des regrets l’assaillent : «Si je ne m’étais pas laissé enfermer par Richardson ? Si j’avais montré plus de tactique ?». Mais il se ravise, sûr d’avoir accompli au mieux son devoir d’athlète, pour son pays et pour la gloire du sport.

Pour la première fois dans l’Histoire des Jeux Olympiques, un athlète suisse est monté sur le podium. Il s’en est même fallu de peu pour que cette belle médaille d’argent ait été l’or olympique. Mais, très satisfait de son sort, il ne manquera pas de déclarer un peu plus tard, et avec plein d’éloges, ce qu’il pense de son vainqueur de Paris : «Lowe, le type parfait de ce coureur gentleman, outsider gagnant magnifiquement. S’il y eut deux athlètes qui furent opposés de toute leur nature tendue vers un même but que l’un ne peut atteindre sans que l’autre ne soit battu, ce furent précisément Lowe et moi-même. Il eut pour moi des gestes si amicaux, des propos d’une camaraderie si spontanée, que ma place de deuxième dans ce 800 mètres m’en apporta un réel enrichissement et me fit faire un nouveau progrès dans la compréhension de l’esprit olympique, chevaleresque avant tout».

Le classement final de ce 800 m des Jeux Olympiques de 1924 à Paris est le suivant :

1. Douglas Lowe GBR 1’52″4
2. Paul Martin SUI 1’52″5
3. Schuyler Enck USA 1’52″9
4. Henry Stallard GBR 1’53″0
5. William Richardson USA 1’53″8
6. Ray Dodge USA 1’54″2
7. John Watters USA 1’54″2
8. Charles Hoff NOR 1’56″7
9. Harry Houghton GBR 1’58″0

PAB

Version imprimable de l’article (PDF)

 

A découvrir prochainement

Les médailles suisses aux Jeux Olympiques

Episode 2 / 8 : Jeux Olympiques 1924 à Paris | Willy Schärer, médaille d’argent du 1500 m

 

ATHLE.ch VINTAGE – Accueil

ATHLE.ch VINTAGE – Facebook

ATHLE.ch VINTAGE – Instagram

 

Les médailles suisses aux Jeux Olympiques

CompétitionAthlèteDisciplineMédailleSitePDF
Les médailles suisses aux JOAcceuil
Jeux Olympiques 1924 à ParisPaul Martin800 mArgent
Jeux Olympiques 1924 à ParisWilly Schärer1500 mArgent
Jeux Olympiques 1936 à BerlinArthur Tell Schwab50 km marcheArgent
Jeux Olympiques 1948 à LondresGaston Godel50 km marcheArgent
Jeux Olympiques 1948 à LondresFritz Schwab10000 m marcheBronze
Jeux Olympiques 1952 à HelsinkiFritz Schwab10000 m marcheArgent
Jeux Olympiques 1984 à Los AngelesMarkus Ryffel5000 mArgent
Jeux Olympiques 1988 à SéoulWerner GünthörPoidsBronze
Jeux OlympiquesBilan helvétique
Les médailles suisses aux JOLivre

 

Commentaires

commentaires

Auteur

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Top