Interview | Hoffmann a réussi le meilleur résultat olympique romand depuis… 1988 ! TOKYO | En terminant 9e des Jeux olympiques sur 800 m, Lore Hoffmann a réussi l’un des meilleurs résultats romands de tous les temps en athlétisme à des Jeux olympiques. Sans compter le Romand de cœur Tadesse Abraham – 7e du marathon en 2016 mais licencié au LC Uster –, il faut remonter à 1988 et la 9e place d’Anita Protti sur 400 m haies pour retrouver pareille performance d’une athlète de la région. Interview deux jours après la demi-finale sur le chemin de retour vers la Suisse.

Photo : (c) Dan Vernon/World Athletics

Les Top 10 romands en athlétisme aux Jeux olympiques
Paris 1924 : Paul Martin (Stade Lausanne), médaille d’argent sur 800 m
Berlin 1936 : Paul Hänni (FC Biel/Tavannes), 4e sur 200 m
Londres 1948 : Gaston Godel (CA Payerne), argent sur 50 km marche
Séoul 1988 : Anita Protti (Lausanne-Sports), 9e place sur 400 m haies
(Rio 2016 : Tadesse Abraham (LC Uster), 7e place sur marathon)
Tokyo 2021 : Lore Hoffmann (ATHLE.ch), 9e place sur 800 m

***

Deux jours après les demi-finales, tu es sur le retour en direction de la Suisse. Quelle impression te reste de tes premiers JO ?

Je dois avouer que la première chose à laquelle je pense, maintenant, c’est que j’espère qu’ils ne demandent pas un test PCR à l’aéroport, parce que j’ai un test, bien sûr, mais c’est marqué antigénique sur la feuille… Sinon, quelle impression me reste ? Oh là là, il y a plein de choses, c’est trop vague. Je ne sais pas… C’est la fin d’un grand championnat. C’est toujours très très bizarre. On est en train de retourner progressivement à la normale. Surtout qu’il y a déjà eu un jour sans plus rien… Là, je suis en route pour la Suisse, je n’ai pas beaucoup dormi, donc… difficile à dire. Tout était grand. Tout était fort. C’était incroyable, en fait, comme expérience. Très puissant, très prenant. J’ai vraiment vécu quelque chose de très fort. A peu près tout le temps. C’était un grand championnat, c’était les Jeux. Là, au bilan, je crois que je suis plutôt contente. Je me rends compte que ce qui s’est passé est bien… oui…, non…, je suis contente, je suis contente.

Sur le moment, comment as-tu vécu le résultat de ta demi-finale, puis l’attente du résultat de la troisième série ?

Dans ma demi-finale, j’ai trouvé que j’avais la bonne attitude, déjà avant le départ. Une attitude où je sais que ça va jouer, où je n’ai rien à perdre – et que la meilleure gagne ! C’est l’attitude que j’avais déjà à Oslo et dans toutes mes courses avant les Jeux, après mon premier camp à St-Moritz. Ma série, j’ai trouvé que c’était dur, la course, c’était dur. Je pars plutôt rapidement, normalement. Ça ne suffit pas pour me mettre devant. Ça freine un peu. Je n’ai pas très envie de freiner, mais je dois le faire quand même pour ne pas foncer dans les filles. Dans le virage, je sens que j’ai envie d’aller plus vite. Je me replace dans la ligne droite, puis ne bouge plus. J’ai ma place, en quatrième position, je ne bouge plus. Je vais avec. Je sais que ça va accélérer. Je fais un « check » pour voir si je suis placée comme il faut. Je sens mes épaules un peu tendues, mais c’est trop tard pour corriger ça, il faut faire avec ce qui me reste. Puis ça accélère. Je sens que ça va vite. Je me dis qu’il faut que je m’accroche, que je tienne et fasse le plus juste possible pour essayer de suivre et pouvoir dépasser des filles sur la dernière ligne droite. A la fin, sur le coup, les jambes sont dures. Sur les 100 derniers mètres, j’ai mal aux jambes, mais j’essaie quand même, je fais tout ce que je peux. Je sens que ça revient derrière, que je suis limite. Quand je passe la ligne, je ne suis pas sûre d’être 4e. J’espère, parce que si je ne le suis pas, je ne suis pas en finale… Puis je vois que je suis 4e sur l’écran géant. Je me dis « Ah, ça peut passer, peut-être… », mais je n’en ai aucune idée. Là, je monte en zone mixte, mais ne récupère pas très bien. La course m’a vraiment coûté beaucoup. Je prends plus de temps que d’habitude pour récupérer. En zone mixte, je dois même demander aux journalistes de pouvoir récupérer avant de parler allemand. Ils m’ont proposé d’attendre le résultat de la troisième série, donc c’était très bien comme ça. Je ne stressais pas trop parce que je ne pouvais de toute façon rien faire. J’étais KO et n’avais plus beaucoup d’énergie pour stresser… J’espérais une course moins rapide, sans croire à une course lente… Quand elles passent la ligne, j’espère toujours. Et… ouais, c’est Raevyn Rogers (l’Américaine finalement 8e, ndlr) qui passe, avec un dixième d’avance sur moi. Donc pas de finale pour moi. Je me dis « dommage »… Sur le moment, je ne suis pas extrêmement déçue, je me dis « dommage ». En réfléchissant deux secondes, je me dis que je suis quand même 9e des Jeux, ce qui est vraiment cool !

Revenons en arrière, comment s’est passée ta préparation pour ces Jeux ? Tu peux nous raconter ?

Ouh là…, c’est loin déjà, ça ! Ça me semble très loin… Ma préparation s’est bien passée. On a fait deux camps d’entraînement à St-Moritz : le premier fin mai-début juin, de trois semaines, avec Guillaume (Guillaume Laurent, un des meilleurs Suisses sur 800 m, volontiers son sparring, ndlr) et Michel (Michel Herren, son entraîneur). Ça s’est bien passé… En fait, il faut qu’on revienne encore plus en arrière. D’abord, on a fait une espèce de prè-camp, au printemps, pour préparer les compétitions du mois de mai. Compétitions qui ne se sont pas très bien passées. J’avais très envie de courir vite, mais j’avais trop envie, avec la tête, la volonté, pas assez avec les jambes, le feeling, les forces. Puis on est parti en camp d’entraînement en Engadine, avec Guillaume et Michel, et ça m’a fait du bien : je ne sais pas, mais il y a beaucoup de choses qui se mettent en place là-haut. En redescendant, ça allait beaucoup mieux : on a fait des bons tests avant de descendre, on s’est bien entraînés, c’était un bon camp. J’ai fait des bonnes compétitions, plusieurs. J’adore enchaîner les compétitions. J’avais l’impression, de compétition à compétition, de pouvoir gagner quelque chose. C’est comme ça, chez moi, plus les grandes compétitions approchent, plus les choses se mettent place, dans la tête, dans les jambes. Puis on est remonté une deuxième fois en camp, cette fois juste Michel et moi. Michel était aux petits soins pour moi, pour que ça se passe le mieux possible. Et ça s’est super bien passé. On a fait un super camp pendant deux semaines. Avant de partir au Japon, je me sentais prête !

Après, la préparation, le pré-camp, le Village olympique… D’abord, j’avais un peu peur de tout ça, parce que Michel n’était pas là, n’a pas eu le droit de venir. J’avais peur que d’un coup ça n’aille pas bien, que la foulée change. Que tout à coup il y ait des choses que Michel n’allait pas pouvoir voir et corriger, que ça prenne un mauvais tournant et que ça s’enfonce là-dedans… Par chance ça n’a pas été le cas. J’étais bien entourée par Louis (Louis Heyer, l’entraîneur national, ndlr) et étais beaucoup en contact avec Michel : tout le monde faisait le maximum pour que ça se passe bien. C’était cool. Le pré-camp, c’était bien. On arrive, il faut s’adapter au décalage-horaire, puis au climat. C’est comme si on court au sud de l’Europe. Il faut apprendre à être capable à courir dans ces conditions, sous le soleil, qui tape fort, avec beaucoup d’humidité. C’était vraiment une bonne idée de faire ce camp à Tsukuba. D’autant plus qu’on n’était que 9 dans la délégation. On n’avait pas encore vraiment l’impression d’être en grand championnat, parce qu’on ne voyait pas les autres nations. Et les gens qui étaient là étaient sérieux. En même temps, on sentait qu’il y avait quelque chose qui allait se passer… C’était une bonne ambiance, un bon truc. C’était calme, aussi, ce qui est important. Parce que le Village olympique, ce n’est pas calme du tout. C’est juste énorme, hyper-grand. 20 buildings de 10 étages, ou plus, avec toutes les délégations. Il y a du monde partout, ça grouille de partout. Il y a plein de choses à voir, plein d’activité proposées… Ce n’est pas calme du tout. On peut vite s’y perdre. Pour ça, Tsukuba, c’était très bien, avant d’arriver là-dedans, pour deux jours avant d’entrer en compétition. C’est impossible de s’adapter, de s’acclimater, au Village. Par chance, on peut s’isoler dans sa chambre… Là on rentre gentiment dans la compétition. On voit qu’il y a plein de monde. Mais en même temps c’est bizarre, beaucoup de monde qu’on ne connaît pas, des sportifs de différents sports. Ce n’est pas comme aux championnats du monde…

Et les séries, c’était comment ? T’étais tendue ?

Oh là là, j’étais super tendue, comme jamais. J’avais… C’était… J’étais vraiment très tendue… Ça faisait un moment que je n’avais plus fait de très grande compétition (l’Euro en salle, cet hiver, et au niveau mondial Doha, en automne 2019, ndlr). Pour moi, l’objectif était clairement de passer en demi-finales, parce que je savais que j’en avais les moyens. Ouais, j’étais très tendue pour ça…

C’était impressionnant ?

Comment dire… oui… et non… Si on regarde un peu, on a un dossard avec marqué dessus « Tokyo 2020 ». Ça pourrait tout aussi bien être marqué « Doha 2019 ». C’est un grand championnat : un championnat du monde. Quand on va sur le stade, on reconnaît les gens de l’athlétisme. Bien sûr, c’est marqué Jeux olympiques, mais c’est un championnat du monde, quelque chose que j’ai déjà vécu. Ce qui est impressionnant, c’est plus le Village et tout le reste qui va autour, pas vraiment plus la compétition. Moi je voulais absolument passer en demi-finale. L’objectif n’était pas la demi-finale. L’objectif était de faire le mieux possible… et j’avais les moyens de faire quelque chose… Donc c’était très tendu.

Qu’as-tu pensé après les séries ? Quel a été le retour de ton coach ?

Après les séries, je me suis dit « aie aie aie ! Heureusement que ça a passé ! » Mon Dieu c’était… comment dire… c’était… J’ai fait un grand « ouf » de soulagement : j’ai passé en demi-finale. Je savais que je pouvais le faire, mais j’étais tellement tendue avant et ai couru de façon tellement tendue… Je n’aurais pas eu besoin d’être comme ça… J’aurais pu me calmer et être beaucoup plus sereine. Les gens ont trouvé super, mais… pas moi. Et pas Michel, qui a vu les choses comme moi. Il m’a dit que ce qui est fait est fait, mais qu’il fallait que j’apprenne tout de suite de ça, que j’arrive à être plus sereine, plus calme, plus souple, le lendemain… Parce qu’en courant comme ça, je perds beaucoup trop d’énergie.

Tu rentres maintenant en Suisse. Comment vois-tu la suite de la saison ?

Euh… ben… je pense que je vais faire encore des meetings. (Silence) Je vais continuer à courir, j’aime ça. Je ne sais plus bien ce qui est prévu, il y aura en tout cas Citius à Berne, Athletissima, peut-être d’autres courses à l’étranger, je ne sais plus vraiment, en fait…

Tu as franchi un premier cap cet hiver avec ta 5e place à l’Euro indoor en Pologne. A Tokyo, tu as franchi un nouveau grand pas. C’est maintenant officiel : tu fais partie des meilleures mondiales dans ta discipline. Comment tu t’en rends compte ?

De mieux en mieux… Oui, d’un jour à l’autre, ça change, ça fait bizarre, mais je commence à m’en rendre compte, de plus en plus, même qu’il faut du temps pour ça.

Comment en es-tu arrivé là ?

Ouh, il y a beaucoup de choses à dire, beaucoup de choses qui se sont passées, difficile à raconter comme ça…

Qui sont les personnes importantes sur ton parcours ?

Les gens les plus important sont très clairement ceux qui m’ont fait commencer l’athlétisme, qui m’ont accompagnée. Et les gens qui m’ont fait continuer, encore plus. D’abord, il y a mon premier entraîneur, au CA Sierre, Marc (Marc Zimmerlin, ndlr), qui m’a fait monter à bon niveau national, à mon rythme, qui m’a accompagné partout, qui a toujours été très présent. Depuis, il y a Michel, mon entraîneur actuel, qui sait ce qu’il faut pour m’amener au plus haut niveau, qui est très patient, qui a une approche de l’entraînement qui est… comme dire…, très bonne, je trouve. Il dépasse les théories scientifiques courantes par une approche qu’il appelle « phusique », en écho à ses travaux philosophiques : il travaille sur le potentiel, les jeux de tension, les forces cachées. Mais je préfère qu’on le questionne lui pour qu’il explique lui ce que c’est, comment il fait, pour qu’il puisse répondre juste. Tout ce que je sais, moi, c’est que ça marche… Ensuite, forcément, il y a tous mes proches, à l’entraînement : mes coéquipiers, qui m’aident tous les jours à devenir meilleure. Ma famille, qui me soutien aussi, évidemment. Tous les gens qui m’entourent, aussi au niveau médical, quand j’ai des petits bobos. Mon équipe de management. Tous les gens du club de Sierre, d’ATHLE.ch. Je ne veux pas citer de noms parce qu’il y a plein de monde et j’ai peur d’en oublier. Chacun m’aide à sa façon, me donne quelque chose. Mais les plus importants, sur le chemin, ça reste les entraîneurs et les copains d’entraînement sans qui tout ça ne serait pas possible. Et là-dedans, il y a surtout Michel.

***

En lice cet après-midi en demi-finales du 400 m haies, la championne d’Europe et double finaliste mondiale du COVA Nyon Lea Sprunger veut faire encore mieux que Hoffmann et se hisser en finale olympique. Si elle y parvient, elle deviendrait la troisième Romande à réussir pareil exploit après Paul Martin (Stade Lausanne) en 1924 sur 800 m et Paul Hänni (FC Biel/Tavannes) en 1936 sur 200 m !

 

Commentaires

commentaires

Auteur

Autres articles en lien avec ce sujet

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Top