Photos : ATHLE.ch
On l’a vu lors de la journée de vendredi, les athlètes suisses doivent absolument sortir leur tout grand jeu s’il veulent avoir une chance de jouer un rôle en vue dans cette compétition. Face à une élite européenne qui a forcément faim d’athlétisme, les choses peuvent être effectivement assez compliquées pour nos Helvètes, surtout si la chance n’est en plus pas de leur côté. Cette réalité possède également son lot de belles surprises et certains de nos compatriotes ont montré lors de la troisième journée de compétition que rien n’est impossible.
Simon Ehammer mène le bal dans l’heptathlon
Le décathlonien Simon Ehammer (TV Teufen) fait partie de cette nouvelle génération qui n’a peur de rien et qui fonce tout droit vers les sommets, en croyant en sa bonne étoile. La première épreuve de l’heptathlon permet à l’Appenzellois de marquer son territoire de manière on ne peut plus nette avec une victoire dans le 60 m en 6″75. D’entrée de jeu, Ehammer se retrouve en tête de cet heptathlon avec 40 points d’avance sur le Français Kevin Mayer et 69 sur le Néerlandais Rik Taam. Il enchaîne de la meilleure des façons au saut en longueur avec un troisième essai de grande classe mesuré à 7,89 m. Ce magnifique record personnel indoor lui permet d’augmenter son avance avec désormais 146 points sur Kevin Mayer et 151 sur l’Italien Dario Dester ! La lutte s’intensifie lors de la troisième épreuve avec Simon Ehammer qui réussit à lancer son poids à 14,75 m, ce qui lui assure un nombre de points très satisfaisant. Son total de 2’780 points est toujours celui qui le voit dominer le classement provisoire ; mais grâce à ses 16,32 m, Kevin Mayer revient très fort avec un retard désormais de 49 points. Ce début d’heptathlon est vraiment énorme et pour situer la prestation du jeune Appenzellois, il faut savoir qu’il possède également une avance de 65 points sur son record suisse réalisé il y a trois semaines à Francfort. La pause de l’après-midi lui donnera l’occasion de se recharger ses batteries avant le saut en hauteur programmé en début de soirée.
Les centièmes boudent les sprinters suisses
En parlant précédemment de chance, celle-ci ne s’est pas franchement manifestée lors des séries du 60 m des hommes. Déjà privée de son champion suisse Silvan Wicki, l’équipe suisse a dû constater à l’issue des neuf séries éliminatoires que ses sprinters n’ont effectivement pas eu les centièmes en leur faveur. En effet Pascal Mancini (FSG Estavayer) en 6″73 et William Jeff Reais (LC Zürich) en 6″74 sont malheureusement éliminés pour un et deux misérables centièmes. Le cruel verdict du chrono les classe à la 27e et 28e places.
La barre était trop haute pour Jonas Raess sur 3000 m
Il n’est pas vraiment question de chance dans les séries du 3000 m, mais plutôt de densité et de haut niveau. Dans la première série, Jonas Raess (LC Regensdorf) s’accroche du mieux qu’il peut et sa course courageuse le fait terminer en 6e position en 7’57″37. La barre était trop haute pour lui avec une qualification pour la finale manquée de plus de neuf secondes.
Ditaji Kambundji et Noemi Zbären foncent en demi-finales du 60 m haies
Le 60 m haies est une discipline en plein boom en Suisse, ceci sous l’impulsion de la jeune Ditaji Kambundji (ST Bern). La petite sœur de Mujinga détient les trois meilleurs chronos européens chez les U20 cet hiver et elle est déterminée pour aller chercher mieux que ses 8″10 déjà très performants. Nerveuse avant sa course, le Bernoise lâche tout dès le coup de pistolet du starter. Ses enchaînements sont toniques et donnent une impression de vitesse évidente. Sur le plat, après la dernière haie – dans une portion de course où elle est souvent moins à l’aise – la jeune hurdleuse parvient à assurer la deuxième place en 8″05. Elle se qualifie avec panache pour les demi-finales en battant son record suisse U20 indoor de cinq centièmes et surtout en établissant la troisième performance suisse de tous les temps derrière les 7″95 de Julie Baumann (LC Zürich) en 1992 et les 8″00 de Lisa Urech (LK Langnau) en 2010. Dans la dernière série, on retrouve également Noemi Zbären (LK Langnau). Stimulée par l’avènement de sa jeune rivale cantonale, l’Emmentaloise réalise un retour très intéressant cet hiver et on était curieux de découvrir ce qu’elle pourrait réaliser à Torun. Son départ est certes moyen, mais on la voit enchaîner correctement les trois premières haies, puis effectuer une fin de parcours vraiment épatante pour obtenir elle aussi son ticket pour les demi-finales grâce à sa deuxième place en 8″20. On retrouvera les deux Bernoises avec grand plaisir dimanche en début d’après-midi. La troisième hurdleuse helvétique, Selina von Jackowski (Old Boys Basel), a quant à elle manqué de vitesse entre les obstacles et elle doit se contenter d’un chrono de 8″36.
Exploit pour Brahian Peña et poisse pour Finley Gaio sur 60 m haies
Les haies ont été montées à 106,7 cm par les organisateurs et on a droit maintenant à cinq séries pour les hommes. Dans la première course, Brahian Peña (GG Bern) signe un très bel exploit en se qualifiant pour les demi-finales avec son meilleur chrono de la saison en 7″82. Son compère Finley Gaio (SC Liestal) aurait pu le rejoindre avec ses bons 7″86 réalisés dans l’ultime série. Hélas, pour deux petits millièmes, il se voit être le premier non-qualifié face à l’Ukrainien Bohdan Chornomaz.
Lore Hoffmann exécute son plan de course à la perfection
La session du samedi soir promet à l’athlétisme suisse de vivre quelques moments intenses grâce à quatre de ses meilleurs atouts, parfaitement mis en scène sous les projecteurs de la Torun Arena. Tout s’enchaîne très vite avec d’abord la première demi-finale du 800 m de Lore Hoffmann (ATHLE.ch). La force tranquille de l’équipe suisse démarre très lentement pour flâner volontairement en queue de peloton. Elle se replace ensuite sans efforts apparents en quatrième position à la mi-course, puis elle passe aux choses sérieuses avec une nouvelle accélération, plus franche, qui lui permet de prendre la deuxième place aux 600 mètres, juste derrière la Britannique Keely Hodgkinson qui semble elle aussi bien en jambe. La Valaisanne est désormais dans un fauteuil pour obtenir l’une des deux places qualificatives pour la finale, mais elle doit encore faire attention au retour dans les derniers mètres de la grande Allemande Christina Hering. Lore repousse facilement cette attaque et termine brillante deuxième en 2’03″58, sans avoir vraiment puisé dans ses réserves. C’est important car dimanche soir en finale, face à trois Britanniques et deux Polonaises, l’aspect physique sera aussi déterminant que la tactique. Avec six coureuses séparées par 47 centièmes seulement à l’issue de ces demi-finales, la lutte pour le titre européen du 800 m féminin s’annonce plus chaude que jamais. En citant les nationalités des finalistes, on a bien compris que Selina Rutz-Büchel (KTV Bütschwil) n’a pas réussi d’exploit dans la deuxième demi-finale. La Saint-Galloise avait décidé de prendre la tête et de mener le plus longtemps possible. Elle a bien réussi dans cette entreprise, mais au moment de l’emballage final, à 150 m de l’arrivée, elle se fait passer facilement par ses cinq adversaires et elle termine loin, en 2’07″47. Ses problèmes d’asthme ne lui auront bien sûr pas permis de défendre ses chances idéalement; espérons qu’elle pourra retrouver la pleine santé pour les compétitions de cet été.
Simon Ehammer marque le pas au saut en hauteur
L’heptathlon reprend également en début de soirée avec le saut en hauteur, où Simon Ehammer se présente en magnifique leader de ce concours multiple. L’Appenzellois débute sagement à 1,86 m, mais à 1,92 m il doit s’y reprendre à deux fois, tout comme à 1,95 m. Il discute longuement avec son entraîneur Karl Wyler car il y a apparemment quelque chose qui ne tourne pas rond ; cette impression se confirme malheureusement à 1,98 m, avec trois échecs et de nombreux points qui s’envolent. Simon Ehammer vire finalement en deuxième position à l’issue de cette première journée avec 3’538 points. Il possède désormais 33 points de retard sur Kevin Mayer (3’571 points), mais conserve un avantage d’un peu plus de 100 points sur un trio menaçant formé de l’Espagnol Jorge Urena (3’424 points), de l’Allemand Andreas Bechmann (3’419 points) et du Polonais Pawel Wiesiolek (3’407 points). Un éventuel podium, dimanche, passera par un 60 m haies de feu, un saut à la perche maîtrisé et un 1000 m animé d’abnégation et de pugnacité. Bonne nuit, Simon !
Le chef d’œuvre d’Angelica Moser
Le saut à la perche des femmes donne l’occasion de vibrer pour la fin de la soirée avec le concours d’Angelica Moser (LC Zürich). Au vu des forces en présence, on pense que la Britannique Holly Bradshaw et la Bélarusse Iryna Zhuk sont au-dessus du lot et que la lutte pour la place restante sur le podium se jouera à priori face à la Slovène Tina Sutej ou à la Grecque Eleni-Klaoudia Polak. C’est exactement ce qui se produit, puisqu’on retrouve le duo Bradshaw et Zhuk en tête après avoir passé 4,65 m au premier essai. Derrière, Sutej passe également au deuxième essai, tout comme Polak au troisième. Moser, qui avait réussi un saut impressionnant à 4,55 m, a dû s’y reprendre à trois reprises pour franchir 4,60 m et pour se retrouver à ce moment-là au pied du podium. Mais la Zurichoise est une bête de championnat et elle le prouve en franchissant elle aussi ces 4,65 m à son troisième essai. Le concours est absolument fantastique avec la présence de cinq sauteuses face à une barre désormais placée à 4,70 m. Tina Sutej – le poids plume de Ljubljana – est la première à franchir cette latte, en la tutoyant de tout son corps ; elle prend ainsi une sérieuse option sur le titre. C’est au tour maintenant d’Angelica Moser. Sa course d’élan est tout à coup plus rapide, limpide, fluide et elle aussi passe allégrement cette hauteur ! Derrière, certainement prises de panique, les trois favorites perdent leurs fondamentaux et encaissent trois échecs retentissants. Il ne reste plus que Sutej et Moser en course pour l’or à 4,75 m, avec un avantage à la Slovène. Cette dernière manque sa première tentative, ce qui donne une opportunité inouïe à la Suissesse de faire un break, sans aucun doute décisif. Elle se concentre longuement et s’élance de manière déterminée, mais doit stopper net sa course d’élan car un caméraman est en train de traverser la piste avec son gros matériel. Incroyable, le gars s’excuse à peine… Bravo à Angelica, qui garde son calme et se remet rapidement dans sa pleine concentration. Ce premier essai ne passe finalement pas, mais on a pu déceler un potentiel certain. Sutej manque encore une fois ces 4,75 m, ce qui donne une nouvelle balle de match à Moser. Comme à 4,70 m, la course d’élan est de nouveau super rapide, ce qui permet un appel efficace qui propulse la Suissesse dans les airs de la Torun Arena. Le retourné est parfait et l’esquive de la latte est tout simplement magistrale : Angelica Moser vient de passer 4,75 m ! Folle de joie sur le tapis de réception, la Zurichoise n’en revient pas de ce coup de maître. La bataille est presque gagnée, mais il faut attendre l’ultime essai de la Slovène, qui a demandé qu’on place la barre à 4,80 m. Sa tentative ne passe de loin pas et Angelica Moser peut maintenant savourer ces doux instants qui la voient savourer un titre de CHAMPIONNE D’EUROPE !
Il s’agit là du douzième titre décroché par un ou une athlète suisse dans cette compétition. Meta Antenen avait ouvert la voie en 1974 à Göteborg avec un record suisse du saut en longueur. Markus Ryffel avait enchaîné avec deux victoires sur 3000 m en 1978 à Milan et en 1979 à Vienne, avant que les deux sauteurs Roland Dalhäuser et Rolf Bernhard ne remportent la hauteur et la longueur en 1981 à Grenoble. Ensuite trois athlètes du ST Bern avaient conquis l’or : Peter Wirz sur 1500 m en 1984 à Göteborg, Werner Günthör au poids en 1986 à Madrid et Sandra Gasser sur 1500 m en 1987 à Liévin. Après une disette de 28 ans, Selina Büchel avait gagné coup sur coup le 800 m en 2015 à Prague et en 2017 à Belgrade, alors que Lea Sprunger avait conquis le toit de l’Europe sur 400 m en 2019 à Glasgow. Tout ça pour dire que l’exploit d’Angelica est absolument grandiose et que son nom dans cette belle liste d’athlètes fait tout sauf tache. Ce succès récompense un formidable talent qui a gagné toutes les compétitions internationales chez les jeunes : le F.O.J.E. à Bakou et les Jeux Olympiques de la Jeunesse à Nanjing en 2014, les championnats d’Europe U20 à Eskilstuna en 2015, les championnats du monde U20 à Bydgoszcz en 2016, les championnats d’Europe U23 à Bydgoszcz en 2017 et à Gävle en 2019. Née le 9 octobre 1997, Angelica Moser détient tous les records suisses U18, U20 et U23. Avec ses 4,66 m réussis l’an dernier lors des championnats suisses à Bâle, elle se dirigeait vers les performances de Nicole Büchler, la recordwoman suisse (4,78 m en plein air et 4,80 m en salle). On dirait bien que la jonction, voire la passation du pouvoir, va se produire très bientôt.
Ce troisième jour des championnats d’Europe en salle à Torun se conclut de façon merveilleuse pour l’athlétisme de notre pays. Il ne reste plus qu’à vivre la journée de dimanche qui, on en est persuadé, va produire son lot d’émotions à tous les suiveurs de l’athlétisme helvétique.
Championnats d’Europe en salle | 06.03.2021 | Torun
Résultats
Hommes
60 m | : | 28. | William Jeff Reais (LC Zürich) 6″74 en séries |
: | 27. | Pascal Mancini (FSG Estavayer) 6″73 en séries | |
3000 m | : | 21. | Jonas Raess (LC Regensdorf) 7’57″37 en séries |
60 m haies | : | Brahian Peña (GG Bern) 7″82 en séries (Q) | |
: | 25. | Finley Gaio (SC Liestal) 7″86 en séries | |
Heptathlon | : | Simon Ehammer (TV Teufen) 3’538 pts (6″75 – 7,89 m – 14,75 m – 1,95 m) |
Femmes
800 m | : | Lore Hoffmann (ATHLE.ch) 2’03″58 en demi-finales (Q) | |
: | 17. | Selina Rutz-Büchel (KTV Bütschwil) 2’07″47 en demi-finales | |
60 m haies | : | Ditaji Kambundji (ST Bern) 8″05 en séries (Q) | |
: | Noemi Zbären (SK Langnau) 8″20 en séries (Q) | ||
: | 40. | Selina von Jackowski (Old Boys Basel) 8″36 en séries | |
Perche | : | 1. | Angelica Moser (LC Zürich) 4,75 m |
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