La saison 1970 ayant servi de test, Meta Antenen peut reprendre avec une certaine sérénité sa préparation hivernale dès la fin du mois d’octobre. Elle sait que Jack Müller a pu engranger et analyser tous les éléments de cette année de transition, les points positifs comme les négatifs.
Deux fois « chocolat » aux championnats d’Europe en salle
Pour la sixième fois consécutive, Meta prend part aux championnats d’Europe en salle qui se disputent les 13 et 14 mars 1971 à Sofia. Le samedi, la Schaffhousoise prend d’abord part aux séries du 60 m haies qu’elle maîtrise en 8″3, record suisse avec deux dixièmes de mieux qu’à Vienne l’an dernier à pareille époque. Toujours régulière, Meta égale ce chrono lors des demi-finales et parvient à se qualifier pour la finale de dimanche. Le plat de résistance du jour reste pourtant le saut en longueur. Étonnamment les athlètes éprouvent quelques difficultés avec la piste d’élan, mais au final les trois favorites ont trusté toutes les places du podium avec la victoire de l’Allemande Heide Rosendahl avec 6,64 m, la médaille d’argent de la Polonaise Irena Szewinska avec 6,56 m et la médaille de bronze de la Roumaine Viorica Viscopoleanu avec 6,53 m. Ce trio est beaucoup trop fort pour Meta Antenen, mais la Suissesse réussit à battre toutes les autres sauteuses grâce à ses jolis 6,33 m. Le lendemain, rebelote, elle termine une nouvelle fois au pied du podium en finale du 60 m haies avec 8″3.
Faute d’appuis financiers, Meta Antenen renonce définitivement au pentathlon
Juste avant d’entamer la saison 1971 en plein air, Jack Müller fait une déclaration à la presse le 17 avril. Comme on pouvait s’y attendre, l’entraîneur de Meta confirme qu’elle ne disputera pas le pentathlon aux championnats d’Europe d’Helsinki. La recordwoman suisse se concentrera uniquement sur deux épreuves individuelles : 100 m haies et longueur. Jack Müller précise que Meta a renoncé au pentathlon car elle n’a pas reçu l’appui espéré auprès de la Fondation de l’Aide Sportive Suisse. Il est évident, en effet, que la préparation d’une épreuve comme le pentathlon exige un entraînement très poussé. La championne schaffhousoise n’a pas la possibilité de s’astreindre à un tel effort. Il semble que ce désistement aurait pu être évité si les décisions administratives et financières avaient été prises en temps voulu. Meta Antenen avait adressé sa demande au mois de décembre 1970 et jusqu’à ce jour, aucune réponse ne lui a été donnée !
Un début de saison 1971 de très bon niveau
Dès les premières compétitions de cette nouvelle saison sur piste, on se rend compte qu’elle débute sur de très bonnes bases. À vrai dire, ce n’est pas difficile de faire mieux que la saison précédente. Le 15 mai à Zurich, Meta Antenen court le 100 m haies en 13″5, ce qui constitue à ce moment-là une meilleure performance mondiale de la saison. Avec ce chrono la Schaffhousoise ne reste qu’à un dixième de son record suisse. Un peu plus tard dans l’après-midi, elle réussit également 6,23 m au saut en longueur. Le 20 mai lors du meeting national de Küsnacht, Meta tient la vedette avec deux nouvelles prestations de bon niveau : 11″6 sur 100 m et 13″5 une fois encore au 100 m haies. Ce chrono est décidément un standard en ce début de saison puisqu’elle le réédite le 11 juin lors du meeting international de Barcelone. Le match triangulaire Suisse – Italie – Autriche se déroule cette année les 19 et 20 juin à Lugano. Les Suissesses sont battues par leurs deux adversaires, malgré une excellente Meta Antenen qui apporte un maximum de points à son équipe. Elle termine devant sur 100 m, ex-aequo en 11″6, elle franchit ensuite un très joli 6,54 m en longueur, soit la deuxième performance de sa carrière. Le lendemain elle court en… 13″5 pour la quatrième fois de la saison sur 100 m haies. Le week-end suivant, Meta se rend à Paris avec une petite délégation helvétique afin de participer au meeting Mémorial Méricamp. Toujours très inspirée sur les haies, qu’elle gagne en 13″6, elle déçoit en revanche au saut en longueur avec un petit 6,09 m. Cette première contre-performance de la saison n’est absolument pas grave; sur la route d’Helsinki, il fallait bien un ou deux virages pour rappeler qu’il faut rester toujours concentré sur l’objectif et ne pas se relâcher.
Record suisse au pentathlon
Malgré la déclaration de son entraîneur en avril dernier de ne pas prendre part au pentathlon des championnats d’Europe, Meta tient tout de même à participer aux championnats suisses multiples les 3 et 4 juillet à Zurich, non pas au Letzigrund, mais sur la toute nouvelle piste en tartan du stade Utogrund. Ce week-end zurichois va donner un plaisir monstre à la Schaffhousoise car les performances réussies ont été formidables. Samedi le vent est parfait, ce qui lui permet de débuter en fanfare avec un magnifique 13″3 sur 100 haies (+1,4 m/s), nouveau record suisse battu d’un dixième. Elle enchaîne avec un 10,85 m assez moyen au poids, puis avec un joli 1,70 m en hauteur. Elle vire bien entendu en tête à l’issue de la première journée avec 2’970 points, soit seulement dix de moins que son total intermédiaire lors du record du monde de 1969 à Liestal. Dimanche, elle parvient à continuer son récital avec 6,49 m en longueur (exactement comme à Liestal), puis avec un beau record personnel sur 200 m en 24″1. Ce chrono lui permet de battre son record suisse de 39 unités avec 5’085 points. Elle remporte ainsi pour la septième fois consécutive ce titre national du pentathlon. Derrière Antenen, Katrin Lardi (LAC REX Zürich) totalise 4’805 points et le podium est complété par une revenante : Elisabeth Waldburger, qui a semble-t-il fort bien récupéré de sa rupture du tendon d’Achille de l’an dernier, en totalisant 4’710 points.
Le week-end des 10 et 11 juillet permet à Meta Antenen de retourner à Paris avec l’équipe nationale pour participer au traditionnel match triangulaire France – Belgique – Suisse. Au stade Charléty, la Schaffhousoise évolue sous les feux de la rampe et sauve l’honneur de l’équipe helvétique en signant deux belles victoires sur 100 m haies en 13″4 et au saut en longueur avec un bond mesuré à 6,35 m. Le jeudi suivant, le 15 juillet, un meeting improvisé est organisé à Bâle. Meta s’aligne sur 100 m et parvient à égaler le record suisse qu’elle co-détient avec la Zurichoise Uschi Meyer en 11″5. Malheureusement cette performance ne sera pas homologuée par la Fédération Suisse d’Athlétisme car cette compétition n’a pas été annoncée réglementairement. Deux jours plus tard, Meta Antenen se rend à Brugg pour aider sa copine du LC Zürich Nanette Furginé à atteindre les minimas pour le pentathlon des championnats d’Europe. La Zurichoise échoue pourtant dans sa tentative avec 4’576 points.
Un exploit au saut en longueur lors des championnats suisses à Bâle
Il y a dix ans à peine, on ne pouvait décemment parler d’athlétisme féminin en Suisse sans éprouver une certaine gêne. Un préjugé poussait la plupart des gens à croire qu’une jeune fille n’était pas à sa place sur un terrain de sport. Il faut bien l’avouer, les résultats n’étaient guère faits pour changer quoi que ce fût à ces idées préconçues. Mais les choses ont bien changé depuis quelques années, dès l’avènement de Meta Antenen très exactement. Le vent ne souffle plus dans la même direction maintenant, l’entrée des championnes sur la pelouse est toujours applaudie. Elles accumulent les victoires internationales, l’une d’entre-elle nous a même donné un record du monde. Leurs visages sont rayonnants et elles promènent sur le stade des silhouettes d’une finesse et d’une beauté remarquables, de sorte qu’aujourd’hui, si on devait aborder avec un étranger un sujet touchant l’athlétisme helvétique, il s’inquiéterait bien sûr de la forme de Philippe Clerc, de la qualification d’Edy Hubacher en vue des Jeux olympiques de… Sapporo en bob, de la santé du Dr Paul Martin et il conclurait presque infailliblement par ces mots : «Mais vous avez des filles comme ça ?». Les championnats suisses simples qui se disputent les 24 et 25 juillet à Bâle promettent monts et merveilles car la nouvelle piste en Tartan de la Schützenmatte est susceptible de créer de nouveaux miracles. Meta Antenen sera une fois de plus la figure de proue de ce week-end car elle devrait être imbattable aussi bien sur 100 m, que sur 100 m haies et au saut en longueur, ces deux dernières disciplines étant son choix pour Helsinki. Elle devra malgré tout se méfier de Sieglinde Ammann qui, depuis qu’elle a établi un magnifique record suisse du saut en longueur à 6,64 m l’an dernier, cherche à retrouver ses sensations. Vu qu’elle tient absolument à accompagner son mari en Finlande, elle sera certainement redoutable à Bâle. Ces championnats représentent pour Meta Antenen une véritable répétition pour Helsinki et c’est dans cette optique qu’elle parvient à trouver tout au long du week-end des dispositions physiques et mentales encore jamais vues chez elle. Samedi 24 juillet elle franchit en se promenant le cap des éliminatoires et des demi-finales du 100 m. Le vent est fortement contraire sur la ligne droite de la Schützenmatte, mais cela n’empêche pas la tornade blonde de dominer la finale, écrasant littéralement ses adversaires en s’imposant en 11″7. Sa déconcertante facilité est un véritable régal pour les yeux. Et pourtant, on n’avait encore rien vu ! En effet, le dimanche 25 juillet va être marqué plus que jamais de l’empreinte de Meta Antenen, qui va crever littéralement l’écran. Le vent est toujours contraire à la ligne droite du stade bâlois, dont les gradins et les places debout sont garnis jusqu’à leurs derniers recoins par un très nombreux public (12’000 spectateurs sur les deux jours). Il est temps d’assister à la finale du 100 m haies des femmes, l’un des grands moments, non pas par le suspense d’une course indécise, mais plutôt par la curiosité de voir quel chrono la jeune Schaffhousoise va bien pouvoir réaliser. Meta, toujours généreuse dans l’effort, réussit un départ canon, puis elle enchaîne les obstacles comme jamais elle ne l’avait fait. Loin, très loin devant toutes les autres finalistes, son cassé sur la ligne d’arrivée est rageur et il valide un deuxième titre suisse en 13″3, record suisse égalé malgré un fort vent contraire de 3,3 m/s ! C’est la toute grosse forme, qui va maintenant se manifester en brillant de mille feux devant la tribune principale, le long de la piste d’élan et de l’aire de réception du saut en longueur. Les deux titres du 100 m et du 100 m haies lui ont donné une motivation supplémentaire et c’est avec un esprit quasi neuf qu’elle aborde le dernier volet de son triptyque habituel des championnats suisses. Ce concours du saut en longueur, qui se déroule avec le vent dans le dos, va tenir en haleine le public du premier au dernier essai. Sa première tentative est superbe, au point de lui donner le sourire en sortant du bac à sable. Elle a bien senti que son saut était allé très loin. L’annonce de sa performance sur le panneau d’affichage corrobore son impression et arrache un cri d’admiration de la foule lorsqu’elle constate que Meta Antenen vient d’égaler le record national de Sieglinde Ammann grâce à un clinquant 6,64 m réussi avec l’aide d’un vent favorable de 1,85 m/s. La joie est grande, mais il n’est pas question de se déconcentrer car il y a de quoi faire mieux encore.

Le premier essai de Meta Antenen est mesuré à 6,64 m, record suisse égalé
En ayant annoncé la couleur lors de ce premier essai, la Schaffhousoise attire toute l’attention sur elle lorsqu’elle se prépare pour sa deuxième tentative. Elle se concentre relativement longuement. Dans le stade, le silence est quasi religieux. Puis elle se lance, de manière rageuse, mais élégante à la fois; c’est l’un de ses secrets. Sur la planche, elle explose littéralement pour retomber, après une énorme parabole, très loin, beaucoup plus loin que la marque du record qu’elle venait d’égaler quinze minutes plus tôt. Meta, qui a une nouvelle fois explosé de joie en sortant de la fosse de réception, se tient maintenant la tête dans ses mains. Elle sait qu’elle vient de réaliser un exploit monstrueux, mais elle n’ose pas encore y croire. La classique et combien impatiente attente qui précède l’annonce officielle de toutes grandes performances est à ce moment-là très longue. Les officiels, eux, se penchent sur la chevillière, tendue entre la planche d’appel et le point de chute de Meta. Puis, enfin, le préposé au tableau d’affichage tourne ses chiffres. 6 pour 6 mètres, ça on s’y attendait. Et ensuite un 8. Le public retient son souffle, car il se souvient que c’est l’Allemande Heide Rosendahl qui détient le record du monde avec un bond de 6,84 m. Puis c’est un 1 qui apparaît sur le tableau, tout modestement, serait-on tenté de dire. Meta Antenen n’a donc que frisé le record du monde avec 6,81 m. Tout compte fait, c’est heureux, car sa performance ne sera pas homologuée officiellement, en raison du vent qui soufflait au-delà de la limite autorisée de deux mètres à la seconde (2,85 m/s exactement). L’exploit, même atténué par cette aide illicite du vent, n’en reste pas moins entier. On peut le dire avec d’autant plus de certitude que ses essais suivants furent aussi remarquables : si le troisième n’est retombé qu’à 6,23 m, le quatrième est mesuré à 6,54 m, le cinquième à 6,52 m et son ultime tentative à 6,60 m. Est-ce qu’une autre athlète aurait réussi dans le monde une pareille série ? Il y en a, mais elles se comptent sur les doigts d’une main, et encore !
Meta Antenen a prouvé lors de ces championnats suisses qu’elle est actuellement la meilleure spécialiste mondiale du saut en longueur et qu’il est hors de doute qu’elle figurera parmi les trois favorites des prochains championnats d’Europe à Helsinki. Cette jeune Schaffhousoise de 22 ans, qui nous habitue depuis 1966 à la voir battre record sur record, a réussi une nouvelle fois à faire bondir de leur siège les suiveurs de l’athlétisme. L’exploit n’est pas mince, à une époque où l’on devient plus vite blasé que riche. Reléguée au titre de second rôle, Sieglinde Ammann ne faillit pourtant pas à son devoir en se qualifiant pour Helsinki grâce aux 6,47 m de son cinquième essai.
La presse helvétique publie des articles dithyrambiques
Après ce concours de folie, chaque journaliste y va de son papier dithyrambique à propos de Meta Antenen. La synthèse de ces comptes-rendus ont deux dénominateurs communs : la performance intrinsèque de la Schaffhousoise et la projection en direction d’Helsinki. La constatation est que seul le bond à 6,81 m échappe à la régularité totale, puisqu’il a été favorisé par un vent de 2,85 m à la seconde, alors que le règlement admet une vitesse limite de 2 m/s. Il n’en est pas moins vrai que, même si l’on fait abstraction de cet essai, les quatre autres meilleurs sauts lui auraient permis de devenir championne d’Europe l’an dernier à Athènes, puisque la Polonaise Miroslawa Sarna avait alors remporté le concours avec 6,49 m. Ceci est de bon augure pour Helsinki où elle a de réelles chances de monter sur l’une des trois marches du podium. La technique de Meta Antenen au saut en longueur s’est considérablement améliorée depuis l’année dernière : sa vitesse l’élan, en particulier, est plus grande; et son extension, au moment du ramener de jambes est parfaite. Sa performance inofficielle à 6,81 m la situe au troisième rang de la hiérarchie mondiale de tous les temps, à égalité avec l’Allemande de l’Est Margrit Herbst, la Roumaine Viorica Viscopoleanu ayant franchi quant à elle 6,82 m et l’Allemande de l’Ouest Heide Rosendahl étant détentrice du record du monde depuis le 3 septembre 1970 à Turin avec 6,84 m.
Dans la Feuille d’Avis de Lausanne, Michel Busset se lâche sur sa spontanéité et sa sportivité : « Meta Antenen gagne le 100 m plat, elle saute de joie. Meta Antenen remporte le 100 m haies et égale son propre record national, elle bondit et elle étreint ses adversaires malheureuses. Meta Antenen réussit un bond de 6,81 m au saut en longueur, elle ne sait tout à coup plus ni son âge ni son prénom. Elle reste un grand moment la tête dans les mains. Puis elle fonce vers son entraîneur Jack Müller et elle l’embrasse. Trix Rechner bat le record suisse du saut en hauteur, Meta traverse la pelouse au pas de course pour aller la féliciter. Philippe Clerc gagne la finale du 100 m et, en le croisant à l’échauffement, lui dit simplement : «Gratuliere»; un seul mot, mais celui qu’il fallait. Au-delà même de la valeur intrinsèque de son extraordinaire saut de 6,81 m, c’est ce que nous retiendrons du formidable « Show Antenen » à Bâle : cette joie explosive, presque communicative, d’où ne transperce pas un brin de cabotinage. Meta Antenen est une vedette, mais elle n’en reste pas moins constamment prête à l’émerveillement. C’est tout simplement remarquable ».
Vient ensuite la question que personne n’ose poser : « Meta Antenen a-t-elle le record du monde du saut en longueur dans les jambes ? » Michel Busset argumente qu’elle a réussi 6,81 m avec l’aide du vent, certes, mais aussi au terme d’un championnat au cours duquel elle avait déjà disputé trois 100 m le samedi et un 100 m haies le dimanche après-midi. Ceci compense peut-être cela ». Pour conclure, le journaliste lausannois s’aventure à une ultime réflexion : « Et si Meta Antenen avait la puissance musculaire de sa rivale Sieglinde Ammann ? Elle serait peut-être déjà à sept mètres… ».
Enfin Yves Jeannotat, qui est toujours sous le charme de la gente féminine, écrit son ode dans la Tribune de Lausanne : « Elle est la plus belle, la plus grande par le talent, elle est farouche et volontaire, elle sait d’où elle vient et où elle va, lorsqu’elle court, les lois de la pesanteur changent de formule. Elle est investie de la classe mondiale et est, cette année, celle qui peut ramener une médaille des championnats d’Europe d’Helsinki. Elle est celle dont on ne peut que parler et parler encore : Meta Antenen ! ».
PAB
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