Breaking4 sur le mile féminin avec Faith Kipyegon : autant en emporte le vent ! CARTE POSTALE | Jeudi soir, une semaine après la Diamond League de Paris et après des mois de propagande commerciale, la multiple championne du monde, championne olympique et détentrice de records du monde kenyane Faith Kipyegon était au centre d'une attraction toute particulière sur le même Stade Charléty. Sur le modèle des « Breaking 2 » du mythique marathonien Eliud Kipchoge et en présence d'innombrables autres stars passées, présente et en devenir, sa compatriote demi-fondeuse et soeur de marque s'est attaquée à un improbable « Breaking4 » sur la distance du mile. A l'issue de la course, Thomas Gmür lui a écrit une petite carte postale, qui lui (et nous) rappelle d'où on vient et... où on est en train d'aller...

Photo : (c) PHUSIS-ATHLE.ch

Chère Faith,

Accoutrée de pied en cap avec les gadgets dernier cri de ton équipementier, tu as donc échoué malgré un vaillant effort à devenir la première femme à courir un mile en moins de 4 minutes. On avait pourtant mis le paquet pour combler les quelque 8 secondes qui séparaient ton record de la marque mythique. Parmi les avancées les plus extravagantes, les designers annonçaient crânement « la combinaison de vitesse la plus aérodynamique de l’histoire de la course à pied ». En se penchant sur leur communiqué de presse, on découvrait le fleuron de cette clinquante innovation : les « Aeronodes », micro-aspérités sphériques dont l’objectif est de maintenir le vent « attaché » à l’athlète, c’est-à-dire de fuseler l’air autour de ton corps, et d’éviter ainsi que le flux devienne « impétueux et dérangeant » [noisy and nasty]. Chez Nike, on ne se contente pas de corriger les perturbations ; on arraisonne les souffles rebelles !

De simulations numériques en tests en soufflerie, les picots — qui rappellent étrangement les « Aeroblades » jadis développés pour le mythique Eliud Kipchoge, le cobaye qui t’a précédé — ont été déplacés, perfectionnés, calibrés, pour optimiser la capture de ces troubles potentiels liés au vent. Les ondulations ont ensuite été traquées jusque dans l’aspiration, grâce à un escadron d’une bonne douzaine de pacemakers censés définitivement t’isoler des traînées que tu pourrais toi-même créer — t’empêchant au passage de te sentir fendre l’air, peut-être une des sensations athlétiques les plus grisantes qui nous soient données à nous autres mortels.

Mais, tu l’auras compris, il n’a jamais vraiment été question de mortels dans cette vaste entreprise. C’est même une déesse, Niké, égérie de la marque à la virgule, que l’on a gravée pour l’occasion sur la semelle de tes pointes. Au fait, que dirait-elle, cette chère Niké, de tout le raffut autour de cette improbable tentative aérodynamique ? Palladas, le poète antique d’Alexandrie, nous souffle peut-être une réponse. Dans un de ses épigrammes satiriques, on y découvre une déesse Victoire à la mine renfrognée, elle d’ordinaire si resplendissante et glorieuse. Le quidam qui la rencontre attristée lui demande alors : « Déesse Victoire, quel malheur t’est donc arrivé ? » « Es-tu donc le seul à ne pas le savoir ? », répond Niké. « On m’a donnée à Patricius ! » Que déplore-t-elle ? D’avoir été capturée par un piètre vainqueur, à l’encontre de toute règle. « Il m’a saisie au vol, tel un capitaine qui profite d’une brise ! »

« La Victoire appartient au plus opiniâtre, » pouvait-on lire il y a quelques semaines sur les courts ocres de la capitale française. Ce soir, dans un Stade Charléty presque vide, c’est aux braconniers du vent que Paris a voulu l’offrir. Au grand dam de la Déesse et des mortels qui croient encore au pouvoir de ses grandes ailes.

Thomas Gmür

Commentaires

commentaires

Auteur

*

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

Top