Vivre et courir comme les Kenyans TRADUCTION | Julien Wanders mène sa carrière sans faire de compromis. Pourtant, le Genevois manque régulièrement ses objectifs. Traduction de l’excellent papier de Monica Schneider, publié le 27 juillet 2017 dans le Tages Anzeiger. Commentaire d’ATHLE.ch en bas d’article.

.
Photo : Julien Wanders à l’entraînement sur les hauts plateaux avec ses collègues kenyans (© Thomas Gmür/ATHLE.ch) et après son abandon à Athletissima début juillet (© Pablo Cassina).

On est fin juillet, seulement fin juillet et la saison de Julien Wanders est déjà terminée. Le spécialiste de longues distances s’est attaqué à plusieurs reprises en vain à la limite pour les Mondiaux sur 5000 m. Mais alors que d’autres s’envoleront la semaine prochaine pour Londres, il retournera au Kenya, jusqu’en avril. Le Genevois parle d’une « saison bousillée ». Une saison lors de laquelle il a abaissé son record de 11 secondes pour le porter à 13’37, pourtant largement en-deçà de la limite.

A 21 ans, Wanders est le plus grand talent de course à pied depuis André Bucher. Peter Haas, Chef de sport de performance à Swiss Athletics, dit qu’il n’a en ce pays encore jamais vécu une absence de compromis telle celle de Wanders. Il n’est pas le seul à voir les choses ainsi.

Depuis que Wanders a terminé son gymnase, il vit une grande partie de l’année à Iten, sur les Haut Plateaux kenyans. Il s’y est rendu pour la première fois en 2014, depuis il ne veut plus qu’une chose : vivre et courir comme les autochtones. Marco Jaeger, son entraîneur à Genève, a remarqué très tôt que Wanders était différent des autres athlètes de son âge. A 16 ans, avec les mêmes entraînements, il progressait beaucoup plus vite et avait besoin de la moitié de temps pour récupérer. Et quand il avait quelque chose en tête, il voulait aller au bout.

Wanders ne s’est pas qualifié cet été pour les Mondiaux. Wanders ne s’est pas qualifié pour les JO l’été dernier. Et lorsqu’il s’est attaqué à la limite plus facile pour les Europe 2016, il était trop fatigué pour la décrocher. Les objectifs de Wanders sont les plus hauts possibles. La lutte pour le titre aux Europe de sa catégorie (U23) n’entre pas dans ce cadre. Suite à la dernière saison, la Fédération est devenue critique et a cherché la discussion avec l’athlète. Haas raconte : « Nous n’avions aucune chance. Dans sa tête, il n’y a pas de plan B, il n’y a que ces objectifs ». Donc, Wanders appartient depuis aux ainsi nommés World Class Potentials, les plus grands espoirs de l’athlétisme suisse soutenus financièrement par la Fédération. Jaeger loue la souplesse et la confiance de Swiss Athletics malgré les chemins non-conventionnels empruntés.

La musique n’est pas comme le sport
Wanders est fils d’une musicienne professionnelle et d’un musicien également ambitieux. Il a grandi dans un environnement orienté vers la performance et avec beaucoup de liberté. Jaeger dit qu’il a d’abord dû expliquer à tous les trois que l’on pouvait bien travailler 12 heures par jour en musique, mais pas s’entraîner 12 heures par jour. Il est arrivé que Wanders abandonne dans un jeu de courses avant d’avouer qu’il avait 38,5° de fièvre. L’entraîneur trouve à la fois facile et compliqué de travailler avec lui. « Lorsque vous avez un tel talent, vous êtes toujours à la limite ». Son défi a été de ne pas enfermer Wanders dans un schéma, mais de lui laisser ses libertés.

Wanders se les est appropriées. Il s’est envolé avec l’accord de ses parents pour Iten, a d’abord vécu deux semaines à l’hôtel, puis dans une famille. Pas d’eau courante, pas d’électricité, une petite chambre : exactement ce qu’il voulait. Après 5 semaines, il était en surentraînement, avec des problèmes d’estomac. Les indispensables défenses immunitaires, il devait se les produire. Aussi cruel qu’ait été cette première expérience, le filiforme athlète s’était rapproché de son rêve de se mesurer, de s’entraîner et de vivre avec les meilleurs. Il dit que l’une de ses plus grandes performances est d’avoir réussi à s’habituer à la vie au Kenya : « Ce n’est qu’ainsi que je peux m’entraîner là-bas ». Iten, à 2400 m d’altitude au-dessus de la mer, est devenu sa deuxième patrie, qui exigeait pourtant une capacité d’adaptation physique tout à fait spéciale.

Ce n’est pas que Wanders n’ait encore jamais fait ses preuves. En décembre, il a amélioré le record suisse du 10 km sur route vieux de 30 ans de Markus Ryffel ; au printemps, il s’est approché à une seconde du record suisse U23 de ce dernier sur 10’000 m sur piste et a pulvérisé la meilleure marque espoir de Viktor Röthlin sur le semi-marathon de plus de trois minutes et demie.

Mais ce n’étaient là que des courses sans pression de minima. Dans ces conditions, comme à l’entraînement, Wanders est « mentalement terriblement fort », estime Jaeger. Luca Noti, 14e des Europe U23 sur 5000 m, a le même âge que Wanders et a aussi vécu presque une année au Kenya. Il dit que « Wanders peut vraiment montrer sa puissance quand personne ne l’attend ». Le Kenyan Sylvester Kipchirchir, son sparring, prétend même que de s’entraîner avec lui est dangereux. Plus dur qu’avec les Kenyans eux-mêmes. Si, à ses débuts à Iten, Wanders intégrait un groupe, ce sont désormais les locaux qui se joignent à lui.

Le marathonien bernois Adrian Lehmann, qui a lui aussi déjà été au Kenya avec lui, est fasciné par la conséquence de Wanders : « Pour lui, tout ce qui est autre est de second plan. Je vis aussi volontiers en tant que sportif d’élite, mais j’ai envie d’avoir une vie à côté ». Noti considère Wanders comme exemple pour celui qui « ne se met pas de limites dans la tête ». Comme le dit Jaeger, mais Wanders aussi : sa force mentale devient souvent aussi son point faible.

La poitrine serrée
Lorsque Wanders a abandonné à Lausanne après 4000 m, il s’est effondré derrière les balustrades, se plaignant de problèmes de respiration. Le médecin n’a rien trouvé d’inquiétant. Wanders dit : « Cette sensation d’avoir la poitrine serrée, c’est la pression que je me mets dans de telles courses. Ce n’est pas une excuse, mais je dois apprendre à maîtriser ça ».

Jaeger connaît Wanders depuis son plus jeune âge et le décrit comme extrêmement sensible qui, à l’extérieur, se montre sûr de lui, mais au fond est marqué par le doute. Aux Championnats suisses à Zurich, Wanders a gagné « sur la frustration et la rage d’avoir manqué la limite mondiale » le 1500 m, avec un nouveau record personnel. « Ce n’était pas beau » dit Jaeger, « une performance de pure volonté ». C’était une victoire comme une conclusion d’une saison trop courte, qui a montré que son corps était prêt, mais que la tête était encore à la traîne.

Monica Schneider/Tages Anzeiger

***

Commentaire

Julien Wanders est comme ses parents, un musicien. A cette différence que son instrument à lui, c’est son corps. Son corps, qu’il exerce jour après jour, sans relâche, pour l’amadouer, le faire résonner, le maîtriser et lui permettre d’évoluer à son plus haut niveau. Au Kenya, il a rencontré des gens comme lui : des athlètes-musiciens, simples, travailleurs, volontaires, prêts à tout donner pour courir vite, trouver le rythme, le flow, faire performer le corps et jubiler la vie.

Dans nos contrées, Wanders a des milliers d’adeptes. Son travail, son engagement, son abnégation, sa liberté dans les chaînes est une source d’inspiration. Comme tous les artistes de la vie, Wanders fascine : parce qu’il fait les choses à sa manière, risquée, passionnée, selon sa vision, sa sensibilité, son expérience du monde. Parce qu’il préfère les voies de traverse aux autoroutes. Parce qu’il se découvre et se produit toujours et partout des possibilités insoupçonnées. Pour le meilleur et pour le pire. En même temps, comme tous les artistes de la vie, Wanders dérange. Les êtres pragmatiques et calculateurs qui font tout bien comme il faut ne le comprennent pas. Pour eux, au lieu de chercher les résonnances, de se plonger avec enthousiasme dans le jeu de l’existence pour en faire émerger des merveilles, il faut s’organiser pour trouver l’efficacité, la puissance, l’argent, gloire. Forcément, ils ne l’aiment pas.

Nous, Wanders, on l’aime, en musicien à la recherche des accords et des mélodies du meilleur niveau possible. Aujourd’hui sur 5000 m, demain peut-être sur marathon, après-demain dans tout autre chose.

 

Commentaires

commentaires

Auteur

Autres articles en lien avec ce sujet

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Top