Dopage | Résumé, remarques et questions sur l’affaire ARD DOCUMENTAIRE | On se le rappelle : le 3 décembre 2014, la chaîne de télévision allemande ARD avait ébranlé le monde de l’athlétisme en diffusant un reportage de son désormais fameux journaliste Hajo Seppelt, portant de graves accusations, principalement contre la Fédération russe. La vidéo de 55 minutes se basait avant tout sur les témoignages de la coureuse de 800 m Yuliya Stepanova et de son mari, ancien contrôleur auprès de l’Agence russe anti-dopage. Dans son nouveau documentaire diffusé le 1er août, Seppelt poursuit son enquête en s’occupant, en plus de la Russie, également du Kenya. Avant de se mettre à dévoiler et analyser une immense base de données sanguines faisant montre d’un dopage généralisé. Et le monde de l’athlétisme mondial d’être secoué comme jamais auparavant.

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Les résultats de plus de 12’000 tests sanguins effectués sur quelque 5000 athlètes entre 2001 et 2012 : voici le document le plus important présenté par Hajo Seppelt dans le deuxième épisode de son documentaire intitulé « Geheimsache Doping » qui signale un dopage généralisé en athlétisme, comparable à celui d’il y a vingt ans dans le cyclisme. Mais laisse aussi apparaître une passivité fautive, voire complicité de la part de la Fédération internationale (IAAF).

Selon les experts auxquels le journaliste allemand fait appel, ces valeurs indiquent qu’un tiers des médailles remportées dans les disciplines de fond et de demi-fond aux Mondiaux et JO entre 2001 et 2012 l’a été par des athlètes au profil sanguin très suspect (dont les valeurs attestent à 99% de chance l’usage de produits dopants). Mais aussi que 800 des 5000 athlètes listés présentent des valeurs de cet ordre. Problème de taille : l’immense majorité d’entre eux n’a jamais été inquiétée ni par l’IAAF, ni par l’Agence mondiale anti-dopage ni par aucune fédération.

Le reportage complet est à découvrir ici (en anglais)

415 Russes, 102 Ukrainiens, 82 Marocains, 81 Espagnols, etc.

Le Sunday Times, auteur de l’analyse des données de Seppelt, et à sa suite toute la presse britannique, a révélé la répartition des cas suspects par nation. Il apparaît ainsi que l’on retrouve, parmi les 800 athlètes qui se sont très certainement dopés entre 2001 et 2012 : 415 Russes, 102 Ukrainiens, 82 Marocains, 81 Espagnols, 77 Kenyans, 52 Turcs, 42 Grecs, 42 Biélorusses, 32 Roumains, 32 Portugais, 32 athlètes des Etats-Unis et 12 représentants de la Grande-Bretagne.

Quelques remarques en vrac

  • Bonne nouvelle : aucun Suisse ne figure dans cette liste. Et ce malgré la présence notamment d’André Bucher au sommet de la hiérarchie mondiale du 800 m au début des années 2000 (champion du monde 2001).
  • Si le reportage d’ARD se penche de près sur le Kenya, les chiffres indiquent que des nations avec nettement moins d’athlètes sur le devant de la scène, tels que l’Ukraine, le Maroc et l’Espagne présentent encore plus de cas suspects que la nation reine du fond et demi-fond mondial.
  • Nul athlète français, italien, allemand, autrichien, mais aussi éthiopien, baraïnien, qatarien, botswanais, sud-africain ne figure dans la base de données.
  • Si aucun nom de la liste n’est directement révélé dans le reportage, plusieurs médias anglais affirment en outre qu’une des stars de l’athlétisme britannique fait partie des athlètes au profil sanguin suspect. En alléguant cependant qu’il ne s’agit pas de l’idole Mo Farah. La BBC propose un bon résumé de l’affaire, à lire ici. La star en question a été contactée par le Sunday Times, affirmant vouloir dévoiler son identité, avant d’être menacé de poursuite.
  • Parmi les athlètes directement incriminés dans le reportage, on trouve la vice-championne d’Europe indoor de Prague sur 800 m Yekaterina Poistogova (RUS), battue d’un cheveu seulement cet hiver par… Selina Büchel. Dans une vidéo tournée en coulisses des Europe indoor, on entend Poistogova discuter de sa préparation médicalisée avec une de ses coéquipières.
  • Si la loi anti-dopage ne permettait pas jusqu’en 2009 de sanctionner des athlètes sur la seule base d’un profil sanguin suspect, il est possible de le faire depuis. Or, 70 cas issus de la liste datent d’après 2009 et n’ont pas fait l’objet de sanctions. D’où le grave laxisme, voire complicité reprochés à l’IAAF.

maxresdefaultGros coup de tonnerre, donc, à trois semaines des Championnats du monde de Pékin : secoué comme jamais, le monde de l’athlétisme tombe dans une crise sans précédent. L’Agence mondiale antidopage (AMA) se dit très inquiète, la Fédération européenne d’athlétisme (European Athletics) et le Comité international olympique (CIO) demandent d’emblée des explications à l’IAAF, qui promet une réponse détaillée.

Trois jours plus tard (le 4 août), l’IAAF, tout en se montrant très consciente du problème du dopage, commence par discréditer le travail de Seppelt, le qualifiant de « journalisme faux, décevant et mal informé », relevant notamment l’existence d’une publication discutant la base de donnée en question en 2011 déjà. Non sans rappeler ses grands principe et se vanter d’être à la pointe en matière de lutte contre le dopage. Textes complets à lire ici.

Quelques questions (et une réponse) en vrac

  • Comment se fait-il que, par-delà toute instance policière, juridique et sportive, un simple journaliste puisse réaliser de telles découvertes et récolter des informations aussi alarmantes ?
  • Comment se fait-il que la liste soit soudain parvenue à Hajo Seppelt ?
  • Quelle taupe, issue de l’IAAF elle-même, a un intérêt pour déclencher cette crise ?
  • Est-il possible, comme d’aucuns l’insinuent, que la forte présence russe et ukrainienne – notamment vis-à-vis du petit nombre de Britanniques – soit liée à la future élection présidentielle de l’IAAF, qui opposera les anciennes gloires Sergei Bubka (UKR) à Sebastian Coe (GBR) ?
  • La justice peut-elle exiger le dévoilement complet du contenu de ladite liste, dont seuls quelques bribes et chiffres ont pour l’heure percé ? Réponse : non. A l’instar du secret médical, le journalisme bénéfice d’une protection de ses sources.
  • Comment se fait-il que certaines nations très présentes sur le devant de la scène athlétique dans les disciplines incriminées ne figurent a priori aucunement sur ladite liste ? Y aurait-il des traitements de faveur ?
  • Dans le même sens : pourquoi s’est-on empressé de blanchir les méga-stars que sont Bolt et Mo Farah ?
  • Quid du dopage dans les autres disciplines d’athlétisme, plutôt tributaires de la force, de la vitesse, de l’explosivité et de résistance pure ?
  • Quelle crédibilité donner aux tests et agences anti-dopage s’ils sont « prisonniers » des fédérations ?
  • Qui est responsable de cet apparent dopage généralisé ? Les athlètes ? Leur entourage ? Les fédérations ?
  • Quel rôle jouent les fédérations nationales et internationales, les plus grandes réunions d’athlétisme ainsi que les médias en matière de promotion du dopage ?
  • Comment notre sport qui, à l’image de notre société toute entière, se nourrit de reconnaissance, d’argent, de sponsoring, de performances et de records peut-il surmonter la problématique de la triche et du dopage ?
  • Comment va se poursuivre et terminer ce qui apparaît au plus grand nombre comme un divertissant feuilleton sportif estival ?
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